Comment aborder une parcelle insérée dans un projet futur encore inconnu, la livraison du schéma directeur de l’agence LIN (Finn Geipel) n’étant prévue qu’à l’été 2016 ? Batigère Ile-de-France, maître d’ouvrage, et l’agence parisienne PetitdidierPrioux (PPX pour les besoins de cet article) ont pourtant su trouver, en matière de logements, une réponse sensible aux problèmes d’aujourd’hui sans injurier l’avenir. Visite.
L’opération de la «Cité-jardin des 3 hectares» à Sevran (93) s’insère dans un projet plus large de renouvellement urbain et de dynamisation du territoire en lien avec le contrat de développement territorial du Grand Paris. Il s’agit en l’occurrence du premier maillon du PRU du quartier Montceleux.
Pour les architectes Cédric Petitdidier et Vincent Prioux et le maître d’ouvrage, l’enjeu était de taille. «Ce futur quartier doit contribuer de manière décisive à la requalification de l’image de la ville de Sevran et du territoire. Il faut que les maîtres d’ouvrage mettent en œuvre l’ensemble des critères d’exigence qui caractérisent la vision actuelle de la qualité urbaine : qualité environnementale, qualité architecturale et urbanisation respectueuse du site et de sa connexion à l’existant», avait exigé Stéphane Gatignon, maire de la ville (voir à ce sujet notre article A ville sinistrée, les hommes de l’art sont pompiers de service). Dans le cadre de l’ANRU, une tour devait être détruite, ce projet était donc destiné au relogement des locataires.
François Maspero*, écrivain et éditeur, se demandait en 1990 si Sevran «était une ville de pionniers ou une zone de transit ?» Ici, une quarantaine de familles a pourtant souhaité continuer à demeurer sur cet espace de la plaine de Montceleux encore en devenir ! Ce qui démontre encore qu’il ne faut pas sous-estimer l’attachement des gens à leur quartier. Ces familles relogées ont-elles senti qu’il y avait peut-être finalement là un avenir meilleur pour elles ? Car ce n’est pas le moindre mérite de ce projet d’incarner, dans des lieux symboliques de la ghettoïsation sociale, économique et spatiale de certains quartiers de banlieue, tant la volonté du maire de rechercher une nouvelle urbanité que la qualité de la réponse du maître d’ouvrage et des maîtres d’œuvre.
Il y a parfois des mots justes qui renvoient pourtant à des impressions erronées. Ainsi en est-il de la Cité-jardin des trois hectares, nom du projet des 82 logements livrés en octobre 2015 et occupés depuis.
Lauréate en 2012 dans le cadre d’une procédure adaptée, l’agence PPX fut retenue sur un projet «très dessiné faisant la part belle à la qualité paysagère dans un ensemble collectif à taille humaine». La Cité-jardin donc ? Pas tout à fait, en tout cas pas à première vue, tant la référence n’est ici que le fil conducteur d’une réflexion et des intentions des architectes et non une nouvelle variation sur un modèle. Pourtant, même si de façon subtile, presque invisible, le jardin et la cité sont bien présents.
«Il s’agit d’une nouvelle partition urbaine, ni des pavillons, ni des tours avec un nouveau rapport à l’espace public», indique Madjid Beloucif, directeur immobilier chez Batigère Ile-de-France. Le site recelait pourtant toutes les contradictions d’un urbanisme dévoyé : des tours – beaucoup, plus ou moins réussies, héritage des années ’70 -, les zones d’habitat pavillonnaire de Villepinte, commune limitrophe, et un collège célibataire posé là comme une excuse. Pour le coup, les six petits immeubles résidentialisés du projet de PPX, presque incongrus, en tout cas une surprise, semblent en effet proposer une nouvelle offre locative, un avenir possible avec une articulation claire entre espace privé et espace public.
La réalité tangible du quartier tel qu’il est n’est jamais loin pourtant. Pourquoi tous les parkings en surface ? Pour éviter les endroits sombres propices aux trafics. Pourquoi seulement des R+3 ? Parce qu’à R+4, il faut un ascenseur et les cages d’ascenseurs, et les ascenseurs eux-mêmes, peuvent vite devenir anxiogènes. Voilà des contraintes retorses. Pourtant PPX sont parvenus à dessiner trois typologies de parking et les cheminements afférents tout en préservant l’intégrité de la parcelle.
La stratégie des architectes pour parvenir à cette composition de six petits immeubles devait aussi tenir compte du fait de la demande, expressément exprimée, de Batigère de concevoir sur ce site 2 x 41 plutôt que 82 logements, ceci pour des facilités de gestion qui lui sont propres. «Nous tenions à la continuité du paysage et ne voulions pas créer une rue en cul de sac», expliquent cependant les architectes.
De fait, si la résidence, à défaut d’un meilleur mot, est un ensemble dans sa conception, il y a bien deux accès différents, deux adresses mais seule une noue marque dans l’îlot cette séparation formelle qui en devient symbolique donc. Les habitants trouveront sans doute leurs propres circulations dans cet espace. En attendant, si le fait qu’il n’y ait ni parkings souterrains ni d’ascenseurs a permis de financer le «surplus» d’architecture, le maître d’ouvrage avait avec les architectes fait le pari que plus de bâtiments, plus de façades et plus de parties communes, un projet plus cher en coût de construction donc, permettraient au final une appropriation source de facilité de gestion à moyen et long termes. De fait, ces logements occupés depuis plus de quatre mois au moment de la visite, aucune dégradation, aucun graffiti n’est à déplorer. Premier résultat notable : «les habitants se connaissent un peu mieux qu’avant», souligne Madjid Beloucif.
Ne pas perdre de vue cependant qu’une telle opération ne put être réalisée telle quelle que grâce au soutien de l’Etat. Le quartier Montceleux, symptomatique des enjeux sociaux et urbains qui assomment Sevran, bénéficie depuis 2010 d’une convention ANRU1, qui a financé environ 25% des 14 M€ du budget de l’opération (9M€ en coût de construction). Comme quoi, Stéphane Gatignon, le maire de la commune, fait bien d’aller régulièrement et bruyamment rappeler l’Etat à ses devoirs.
Les contradictions abondent cependant. L’opération de la Cité-jardin des 3 hectares s’inscrit dans le cadre d’une démolition / reconstruction, une tour de 100 logements située à proximité étant vouée à destruction maintenant que les 82 appartements conçus par PPX sont livrés. Sauf que ces nouveaux logements du XXIe siècle sont (beaucoup) plus petits que ceux des années ’70. Il a fallu expliquer ce paradoxe dans le cadre de la concertation instaurée entre le bailleur, les locataires et les hommes de l’art. Les architectes en ont d’ailleurs tenu compte dans la conception de leurs appartements, privilégiant les espaces extérieurs et des dimensions intérieures supérieures au strict respect des normes.
La visite d’un appartement en témoigne, deux orientations, une cuisine de belle dimension – on peut y manger – un salon qui sans être vaste rend l’espace généreux et utile, deux chambres dont une suffisamment grande pour y accueillir aisément un bureau. Compter aussi des finitions soignées dont des menuiseries en bois, un carrelage et des volets de qualité, des luminaires qui ajoutent au traitement sensible des couloirs et des balcons en maille ajourée qui se révèlent être un bon intermédiaire entre transparence et opacité. Vincent Prioux se félicite même d’avoir pu mettre aux portes des poignées à rosaces plutôt que les sempiternels modèles standards.
Un balcon ouvre sur le vaste paysage singulier des toits des pavillons environnants, tous couverts de tuiles mécaniques dans des tons de l’ocre au brun. C’est pour s’inscrire dans ce paysage que les architectes ont choisi le ton ‘chocolat’ des quatre immeubles aux coins du site.
Certes la résidence est aujourd’hui fermée mais il y aura bientôt une crèche, un commerce est prévu ainsi qu’un cabinet médical, trois équipements en projet. «Nous voulions un lieu clos par sécurité mais ouvert et poreux et inscrire le bâti dans un cadre évolutif, ne pas figer le projet avec un bâti trop linéaire», disent les architectes. De fait, les halls d’entrée sont traversants et susceptibles eux-aussi d’être un jour plus ouverts sur l’extérieur et permettre de rendre ainsi accessible le cœur d’îlot paysagé.
Très bien mais alors, la cité-jardin ? En fait, en y regardant bien, dans l’espace paysagé en cœur d’îlot, d’aucuns remarquent que des petites parcelles, non closes, de l’espace vert central ne sont pas ‘tenues’, à défaut d’un autre mot, ou tondues ; une petite section ici, un butte là, une autre parcelle là encore, sont laissées dans un état d’apparent abandon. Des espaces suffisamment petits pour ne pas laisser une impression de non fini à l’ensemble mais qui sont justement dans cet état à dessein. L’esprit de la cité-jardin ayant été insufflé au projet, l’avenir dira si les locataires, comme l’espèrent maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, s’approprieront ces espaces et en feront leur jardin partagé. Offrir des possibles plutôt qu’imposer un usage, la résidentialisation de l’espace le permet sans doute mais c’est surtout la démonstration des intentions des architectes de rendre aux locataires leur propre capacité d’’empowerment’ (mot à la mode).
«Ce projet est une vraie réussite, nous nous en sommes aperçus dès les premières semaines», conclut Madjid Beloucif qui sait sans doute, de par sa fonction et du lieu où il l’exerce, de quoi il parle.
Christophe Leray (avec L.M.)