En deux ans, Pierre Sartoux et Augustin Rosenstiehl (atelier SoA architectes) ont bâti une agence de plus en plus efficace sans rien renier de leurs convictions que la responsabilité sociale est intrinsèque à leur profession et que leur métier devait s’appuyer sur des disciplines extérieures à l’architecture pour s’enrichir. Rencontre.
A l’automne 2005, Pierre Sartoux et Augustin Rosenstiehl (atelier SoA architectes) aménageaient dans leurs nouveaux locaux du XVIIIe arrondissement de Paris avec à leur actif deux concours d’idées gagnés peu auparavant, quelques maisons individuelles intéressantes construites ou en projet, un bouquin fascinant autour d’un concept de restructuration de la prison de Fleury-Mérogis et une idée assez précise de ce qu’ils voulaient et ne voulaient pas être. « Nous étions trois (avec Aline Aviron, architecte d’intérieur et coloriste. NdR) plus un stagiaire« , se souvient Pierre Sartoux. La moitié de l’agence était occupée par une galerie d’art.
Aujourd’hui, en semaine, quand tout le monde est là, il faut compter douze personnes ou presque sur un long linéaire en profondeur perpendiculaire à la rue. La galerie a disparu. Pierre et Augustin, 33 ans tous les deux, se sont repliés dans un petit bureau en sous-sol et une assistante répond désormais au téléphone. Entre le printemps et l’été 2006, ils ont gagné les trois premiers concours auxquels ils ont été conviés. « On ne gagne jamais où on l’attend« , remarque Augustin. Baraka exceptionnelle ? « Ce fut au fond assez lent, même si cela paraît rapide de l’extérieur« , dit Pierre. « Nous avions la rage de les gagner ces concours depuis deux ans que nous envoyions des dossiers », dit le premier. SoA fut officiellement créée en 2001 par Pierre mais n’est en ordre de marche que depuis 2004 avec l’arrivée d’Augustin.
Il y eu plusieurs phases concernant ces dossiers : Imprimés à la maison ? « Pas de réponses! » ; Imprimés sur imprimante laser couleur ? « Quelques réponses ! » ; Impression sur papier bristol ? « Plus de réponses » ; De beaux dossiers bien pensés ? « Encore plus de réponses !« . « A la fin, ces dossiers avaient des allures de petit magazine ; « les maîtres d’ouvrage ont du penser ‘il y a un peu d’argent dans cette agence‘ », raconte Pierre. De leur propre aveu, la communication n’est pas leur fort mais, surtout, ils ne veulent pas que la communication, plus qu’eux-mêmes, soit la représentation de ce qu’ils sont.
L’agence donne sur la rue Danrémont par une grande baie vitrée, moins par souci de transparence que d’ouverture sur le monde extérieur. Alors le monde s’invite. « Les gens viennent nous voir pour réparer la plomberie, consulter Internet, faire des photocopies« , disent-ils. Il y a pourtant écrit Atelier d’architectes sur la façade. « On prend des jeunes de 3ème à l’agence parce qu’on a reçu un coup de fil d’une maman ou parce qu’ils ont frappé à la porte, ce n’est pas toujours positif mais bon…« , dit Pierre. « Nous sommes attachés à la responsabilité sociale de notre profession« , dit Augustin. « La politique – la Polis – nous intéresse« , précise le premier. Ils sont arrivés dans le milieu comme des « martiens« , disent-ils. La différence, ils l’ont senti dès leur entrée en 2ème année (via des équivalences) à l’Ecole de Marne-la-Vallée. Ils avaient 25 ans.
A 18 ans, Augustin, parisien pur jus, a passé un an au Guatemala où il a construit deux maisons avec des pêcheurs. La « rencontre avec les hommes » et avec le chantier lui a plu. Rentré en France, tout en travaillant dans le « BTP underground » – « j’ai dirigé une équipe de 10 mecs pendant six ans« , dit-il – il fait un master d’ethnologie. Il a très vite envie de « faire de l’archi » mais les choses traînent (il sera DPLG – Paris Malaquais en 2003 seulement, en même temps que Pierre) car il faut bosser (des passages à l’Atelier Dahan et chez Lipsky-Rollet). « [En arrivant à l’école d’architecture], je constate que je rentre dans un monde assez dogmatique, qui ne m’impressionne pas plus que ça. Je me dis que je ne serais jamais chez moi dans ce milieu ; pas d’étiquette, pas de confrérie, non merci« , dit-il.
« Il y avait un manque d’expérience de la vie incroyable chez ces jeunes issus pour la plupart d’un milieu favorisé« , témoigne Pierre. Pour sa part, il vient de la Creuse où ses parents 68ards s’étaient installés dans une vieille maison sans chauffage. Un oncle électricien, un grand-père et un père maçon… dès 10 ans, il aide à la retape de la maison. « C’était ambiance truelle et compagnie très formatrice« , se souvient-il. Son père devient architecte (agréé) en 1977. Une adolescence dissipée le conduit à surtout « ne pas être le fils de son père« . Le destin l’aiguille pourtant naturellement vers l’école des Beaux-arts de Tours, puis l’Institut d’Arts Visuel d’Orléans, dans un milieu en définitive cohérent avec son éducation. La découverte de l’art est un coup de foudre. Puis il glisse du design à l’architecture intérieure, « un univers lié à la commercialisation et au marketing, finalement très enrichissant« , dit-il aujourd’hui. Enfin, « à tâtons » il s’inscrit à l’école de Marne-la-Vallée qui « revendique des dimensions sociale et contextuelles« . Et que découvre-t-il ? « Une démarche assez dogmatique, difficile à concilier avec des convictions déjà très présentes« . Bref, les deux francs-tireurs ne pouvaient pas se rater. « On a bien senti qu’on pouvait faire un truc ensemble« , dit Augustin.
Leur diplôme Construire l’abolition était déjà une bonne façon de prendre le milieu à rebrousse-poil. « La question sociale est aussi importante que l’architecture. Ce sujet nous garantissait de se plonger dans des lectures diverses et garantissait que notre production serait une somme d’interrogations plutôt qu’un résultat figé ; l’architecture est un questionnement« , explique Augustin. « Aborder un projet en partant du fond, sans aborder l’architecture tout de suite, permet de ne pas arriver avec un projet tout ficelé, d’arriver avec des possibles et non ‘il est beau mon lavabo‘ », ajoute Pierre.
La méthode est restée et le concours d’idée fut un terrain propice à l’expérimentation et la recherche parce qu’il leur a permis d’explorer nombre de thématiques et de puiser, dans le cadre de cette exploration, dans tous les registres de leurs expériences respectives. La palette s’est élargie. Anecdote : ils gagnent le concours CIMBETON avec une formidable idée, la Tour Vivante. Le projet est publié et loué partout dans le monde sauf en France (ou presque). Le Groupe Lafarge, organisateur de CIMBETON, en est si bien convaincu de sa pertinence qu’il confie finalement la conception d’une tour écologique, Hypergreen, éolienne y compris… à Jacques Ferrier. « Nous savions que nous avions une bonne idée mais elle nous a échappée« , disent-ils en souriant. Le développement durable n’est qu’un exemple.
Sauf qu’aujourd’hui, dès que la qualité environnementale est un enjeu du concours – c’était le cas pour la Ferme pédagogique, l’écomusée & le centre espaces verts de Rosny/bois – ils ne sont pas loin d’être mieux armés que la concurrence. « Nous ne sommes pas encore paysagistes mais de plus en plus ; nous ne concevons jamais un bâtiment sans concevoir son prolongement, dans la nature ou le milieu urbain« , disent-ils. Et s’ils sont retenus pour des programmes inhabituels – « un excellent moyen de s’exprimer » – ils ne sont pas dupes de qui sont leurs concurrents. « Qui a-t-on contre nous ? Ce ne sont pas les patrons qui font les projets mais des architectes qui, pour le coup, ont moins d’expérience que nous. Nous sommes au top de notre carrière… pour la petite échelle« . Bien vu…
Après avoir réalisé un petit office du tourisme à Roissy – « petit espace mais très fréquenté » – la région maître d’ouvrage leur en a confié quatre autres et, c’est bien parti, celui du musée du Louvre, « pile poil dans la porte d’entrée« . Le mémoire de 4ème année de Pierre s’intitulait De la boutique au musée, une réflexion sur ces espaces commerciaux aux limites floues dans l’enceinte des musées. Rien ne se perd. C’est encore un tout petit projet, une extension en cuivre de 30m² – ils aiment le métal et les matériaux « intéressants quand ils sont vieux » -, qui leur a valu le coup de fil d’un maître d’ouvrage privé pour la conception d’un hôtel de 300 suites au Cap Vert, dont le permis de construire vient d’être accepté. « Après la prison, concevoir des suites dans des hôtels de luxe pour des américains qui vont se faire masser…« , commence Augustin. « Vu le temps qu’on passe à faire ce métier, autant le faire pour quelque chose qui nous intéresse vraiment« , poursuit Pierre. Ils ne feront pas carrière dans l’hôtellerie de luxe. Adieu veaux, vaches, cochons ?
Pas tout à fait. En effet, s’ils portent intérêt aux univers concentrationnaires – « un hôtel de luxe est un endroit clos comme une prison » – autant qu’à la laque d’une banque d’accueil, s’ils débordent du programme parce qu’ils estiment que c’est la façon de répondre aux besoins, ils se sont donc logiquement préoccupés de la façon dont seront logés les veaux, vaches et cochons de la ferme pédagogique de Rosny. « La cour de ferme libère un reculement suffisant à la façade de la ferme pédagogique et du logement afin de bénéficier pleinement de la lumière et des apports énergétiques du Sud et d’éviter toute ouverture côté Nord. Dans l’axe de cette cour l’hébergement des animaux exposé Est se trouve protégé des vents froids du Nord et de la pluie venant de l’Ouest« , écrivent-ils. « C’est intéressant de construire pour des cochons« , s’exclame Pierre, malicieux. Leur volume d’empathie est vaste.
Y compris l’un vis-à-vis de l’autre. S’ils sont complémentaires, bien sûr – d’ailleurs Pierre est volubile autant qu’Augustin est bourru -, l’une de leur force réside dans leur capacité à n’être pas toujours d’accord. « Ce n’est pas un mélange« , explique Augustin. « Notre architecture est comme une cuisine dans laquelle il y a de gros morceaux entiers de Pierre Sartoux et d’Augustin Rosenstiehl« , dit-il. « L’intérêt étant de produire des morceaux de pur mélange et plusieurs gros morceaux qui forment un met cohérent« , ajoute Pierre. Ce qu’ils appellent une « façon laborieuse de lier le fond et la forme« . Ils ne veulent pas parler de style mais s’enorgueillissent de la clarté de leur travail et interpellent volontiers le journaliste : « Montre nous ce qui est superflu, ce que l’on peut enlever dans nos projets« .
Bref la sauce a pris, le travail abonde comme jamais et l’agence a changé d’échelle. Non qu’apprendre à être patron leur fût difficile mais cela les oblige à re-évaluer leurs fonctionnements et méthodes de travail. « On peut encore se permettre de prendre des risques mais, avec notre progression et l’augmentation d’employés, la tendance est justement de prendre moins de risques« , note Pierre. Si un petit vent de folie a couru sur l’agence en cette année 2006 – et pourquoi s’interdire de goûter dans les plats ? – il n’est pas question de fuite en avant. Au contraire, SoA sera « re-calibrée » pour gérer la transition. Ils savent qu’il leur faut de nouveau déménager, envisager précisément le passage à l’acte du grand projet – « un chantier à x millions d’euros qui prend six mois de retard, on ne sait pas ce que ça fait » – et comprennent que leur déplacement géographique au sein de l’agence a « créé une hiérarchie nouvelle« . Mais ils n’entendent pas renoncer à leurs convictions. Augustin note que « plus le temps passe, et plus je ressors les chemises qui me plaisent« . Il est débraillé, ours en effet, Pierre est « casual » au possible. Les costumes achetés il y a deux ans, en phase 1 ou 2 des dossiers de présentation, prennent la poussière.
« Nous sommes des tendres et nous n’avons pas envie d’être malhonnêtes. C’est important dans un milieu où la tchatche et le paraître et tous les moyens sont bons pour passer devant les autres« , promettent-ils. « Il faut se mettre en position d’apprendre en permanence, sinon tu deviens un ‘petit monsieur’ pour ne pas t’entendre dire ‘ça ne marche pas votre dessin’. A la culture du papier, nous préférons la culture des hommes« .
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication le 15 novembre 2006