Maintenant que les fréquences et licences pour la 5G ont été bradées sans contrepartie par l’Etat, il convient d’envisager l’impact d’un tel déploiement sur l’aménagement du territoire. Bienvenue en absurdie.
Que n’a-t-on pas déjà écrit sur la 5G… Loin de moi l’idée de venir débattre sur le bienfondé d’une technologie qui nous promet autant d’innovations palpitantes ! En effet certaines publicités nous vantent déjà la possibilité que votre maison indique à votre voiture le chemin pour vous rendre à votre travail… considérant peut-être que les ondes auraient détruit ce qui vous reste de cerveau durant la nuit…
Loin de moi aussi l’idée de débattre sur l’éventualité d’une dangerosité de cette technologie sur la faune et la flore, à commencer par la race humaine. En effet, les spécialistes n’ayant eux-mêmes manifestement pas une idée très claire sur le sujet et n’étant moi-même en aucun cas spécialiste, je me garderai bien de tout commentaire. En revanche si la France souhaite absolument s’engager dans la voie de la 5G, cela interroge quant à l’aménagement du territoire que peu engendrer un tel déploiement.
Nous sommes en 2020, la France traverse une crise sanitaire sans précédent qui incite bon nombre de personnes à s’interroger sur la pertinence de continuer à vivre dans des zones urbaines denses, dans lesquelles ils étaient contraints par leur profession tertiaire. Si bien qu’aujourd’hui, les villes moyennes et les villages de provinces désertés ces dernières années sentent le vent tourner et leur devenir favorable à l’aune de la qualité de vie qu’ils peuvent apporter en comparaison des grands centres urbains impersonnels.
Mais voilà, s’éloigner de son lieu de travail suppose une bonne connexion aux réseaux indispensables et c’est là que la question de la couverture d’une technologie vient interférer avec la question de l’aménagement du territoire.
Le moins que l’on puisse dire est, qu’à ce jeu-là, la France ne peut se targuer d’être une grande championne. Une simple carte de couverture de la fibre optique permet de voir à quel point les territoires font montre d’une disparité importante. Nul besoin d’aller jusqu’au fin fond de la Creuse pour avoir des villes non couvertes ; à moins de 30 km du centre de Paris, déjà, la couverture présente des trous et un certain nombre de villes n’ont aucun service.
Les couvertures en 3G et 4G sont un peu plus développées, en raison notamment d’une infrastructure plus légère à déployer. Pour autant, de nombreux territoires ruraux aimeraient bien pouvoir bénéficier, déjà, d’une couverture téléphonique acceptable, avant d’imaginer disposer de la 5G !
Peut-être pourrait-on imaginer que l’Etat français corrige ces années d’inégalité des territoires par l’avènement de la 5G ? En effet, depuis la disparition des PTT et l’avènement des réseaux GSM, l’Etat s’est désengagé de la structuration de ses réseaux immatériels et concède à des opérateurs des droits à implanter des antennes pour couvrir son territoire.
Le souci est bien là : il s’agit d’une approche de service public, de bonne gestion des deniers de l’Etat héritée du premier déploiement de réseau. En ce temps-là, point de sociétés de service mais l’Etat français qui, avec les impôts des Français, engage la couverture du territoire par la téléphonie filaire.
La bonne gestion veut que l’on commence par raccorder le plus grand nombre de personnes en dépensant le moins d’argent possible, donc les zones urbaines denses. Sachant que l’Etat, ayant à cœur une égalité de traitement des citoyens, continuera à déployer le réseau jusqu’à la dernière maison isolée… Le modèle économique est logique : l’Etat investit, puis les abonnements des premiers permettent d’abonder l’investissement pour aller relier ceux des plus isolés, qui coûtent plus cher en travaux et en temps, pour être ainsi connectés.
Oui mais, voilà, les temps ont changé, et, dans la mesure où l’on passe d’une logique de service public universel dénué d’ambition de rentabilité à une logique de prestation de service, les règles du jeu ne peuvent plus être les mêmes. Voilà près de trente ans que les réseaux GSM ont commencé à être constitués, et quatre générations plus tard, les couvertures sont toujours les mêmes, pléthoriques dans les zones denses, où les opérateurs superposent leurs antennes, et inexistantes lorsque les territoires se distendent. A chaque nouvelle génération de réseau les promesses d’étendre la couverture sont renouvelées sans réel effet.
Les opérateurs privés n’ont pas d’intérêt à couvrir des territoires où ils ne peuvent bénéficier que de peu d’abonnements, leur objectif n’est pas le même que celui d’un service public : le leur s’appelle « rentabilité » et ce qui n’est pas rentable n’a pas de raison d’être ! Et, tout immatériels qu’ils soient, ces réseaux nécessitent quand même l’implantation de nombreuses antennes, matérielles justement. Lesquelles nécessitent des entretiens courants, sans compter les dégradations et détériorations liées aux intempéries et aléas divers.
Leur implantation se fait aussi souvent dans les difficultés que nous connaissons tous : territoires protégés au titre des monuments historiques, préservation de la faune et la flore, associations hostiles… Tout cela n’aide pas à motiver des entreprises à déployer des structures qu’elles ne souhaitent pas vraiment, compte tenu des marchés juteux déjà engrangés dans les secteurs denses.
L’Etat aurait dû, depuis le temps, se prémunir de cette évidente dérive.
Et s’il autorisait les opérateurs à déployer la 5G uniquement lorsque la 4G couvrira l’ensemble du territoire ? Il est fort à parier que celui-ci serait couvert avec une rapidité jamais égalée. Ou alors ne serait-il pas pertinent de commencer par réserver la technologie 5G, censée rapprocher les gens distants les uns des autres, aux territoires à ce jour non couvert ou ayant une couverture radiophonique insuffisante, et en contrepartie offrir le droit de couvrir les territoires les plus denses à ceux qui auront couvert ces territoires non rentables, les premiers ? Il s’agirait là d’une question de justice sociale et territoriale…
S’il n’y a pas de « deal » de ce type, il est permis de penser que la 5G restera déployée bien à l’intérieur des périphériques des villes très denses tant cette technologie aussi merveilleuse soit-elle n’a pas été prévue pour les grands territoires. Pour s’en convaincre il suffit de lire les données scientifiques sur le sujet.
Afin de faire transiter par les ondes une grande quantité d’informations, il faut monter dans les fréquences : plus une onde a une haute fréquence, moins sa distance de propagation est longue ; et dans le cas de la 5G, si l’on monte en haut des fréquences offrant les meilleurs débits, la portée d’une antenne n’excède pas 500m, contre 10km pour la 4G ! Il faudrait donc mailler d’antennes chaque kilomètre du territoire ?
Si toutefois on accepte de baisser la qualité de la transmission en allant sur les basses fréquences supportées par la 5G, la portée monte à 1km, soit une antenne tous les 2km ! inutile de dire que la 5G sur le Larzac ce n’est pas pour demain ! Quant aux grands champs de céréales de Beauce ou de Picardie, entre les mats d’éoliennes, les pylônes haute tension et bientôt une antenne relais tous les 1000 m… il va falloir viser juste pour faire passer une moissonneuse au milieu de tout cet acier ! On parle de développement durable ?
Dans les villes, point de souci : une antenne tous les 1km, on trouvera bien un peu de place sur les toits, entre deux plants de tomates et trois salades ! En revanche, petit problème, les hautes fréquences ne supportent pas les obstacles… Murs bétons, murs de pierre, ça ne passe pas bien ! Il faut donc des antennes relais partout, d’où l’idée que chaque objet puisse devenir un relais…
Est-on vraiment sûr que cette technologie est aboutie ? En laboratoire, l’outil semble formidable, mais dans la vraie vie ? Dans les villes, il y a des obstacles partout et dans les campagnes on ne va pas pouvoir planter des mâts tous les kilomètres carrés… Est-on sûr que la priorité de l’humanité soit de pouvoir regarder un film en streaming en extérieur dans les rues des grandes villes ? (Parce que dès que l’on est à l’intérieur d’un bâtiment un bon vieux WI FI permet de le faire déjà depuis longtemps… et même dans des coins ou la 4G n’est pas encore là !) L’Etat ne se grandirait-il pas à imposer aux opérateurs de tout poil de finir les déploiements de réseaux déjà en place, à commencer par la fibre et de quoi assurer une couverture téléphonique minimale sur l’ensemble du territoire ?
Si l’on veut pouvoir équilibrer la charge de notre mode de vie sur l’ensemble de notre territoire et ne pas surexploiter certains terroirs quand d’autres sont laissés à l’abandon, il faut donner à chacun le substrat nécessaire à l’implantation d’activités humaines et, aujourd’hui, cela passe par une connexion aux réseaux de communication homogène et fiable pour chacun.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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