Les hôtels de luxe des grandes capitales sonnent désespérant vides, fautes de touristes internationaux aux poches pleines. Les ‘resorts’ des îles, quant à eux, supposés écologiques, ont-ils le temps de voir venir ?
Pour les agences d’architecture et architectes spécialisés dans le tourisme de masse, les temps à venir seront périlleux. Et dire qu’au début de l’année 2020, la chaîne Hyatt annonçait encore fièrement ses projets à Byblos, à Chypre et à l’aéroport Charles-de-Gaulle, parmi d’autres. Autant dire que nombre de ces projets vont dans un avenir immédiat rester sous le coude. Idem, à l’heure du « flybashing » pour les agences qui faisaient des aéroports.
A l’heure de la pandémie, le superflu a-t-il encore une raison d’être ? Qu’en est-il donc de tous ces projets, qui se comptaient par centaines, de ‘resorts’ et autre villages-vacances tous plus luxueux les uns que les autres dont l’avenir est soudain brouillé ? Citons par exemple le projet d’Amaala – the island en Arabie saoudite. Qu’en adviendra-t-il ? La chute du prix du pétrole pire qu’un virus pour flinguer nombre des projets délirants de la région ?
Il demeure que l’infection mondiale a permis aux plus riches de s’enrichir, rien de nouveau, et l’industrie du luxe, si elle risque de perdre des parts de marché en termes de pseudo luxe de masse, n’en restera pas moins florissante, et de moins en moins discrètement, ‘greenwashing’ oblige.
« La protection de l’environnement n’est pas uniquement générosité ou philanthropie. Elle est pour préparer l’avenir une nécessité, pour les entreprises un facteur nouveau de progrès et de compétitivité », indiquait déjà Bernard Arnault sur le site de LVMH dès 2012, au moment de lancer sa ‘Green Week’.
De fait, avant même la pandémie, des évolutions étaient notables au travers de l’architecture de vacances vers une sorte de luxe éthique. Quand des milliers de gogos se pressent sur le Titanic, qui a encore envie de croisière ? Alors quand un hôtel de luxe imite, ou singe, un habitat ‘traditionnel’ qui n’a jamais existé à cet endroit sauvage évidemment préservé et ensoleillé au bord de la mer, la chambre 5* sans la clim sur une île perdue, c’est le dernier chic ! « Il y a un rôle important des entreprises de luxe parce qu’elles ont un pouvoir d’influence considérable sur l’ensemble du marché », estimait sur France Culture (26/1/2020), le sociologue spécialiste de l’environnement Majdouline Sbai. Sans parler de Koh Lanta… Dont acte.
De fait, dans le domaine du luxe et des vacances, nombre d’architectes ont déjà anticipé cette évolution, citons par exemple, pour n’en citer qu’un, le travail d’AW2, dont l’éco-lodge multiprimée au Costa Rica.
Luxe et écologie ne sont-ils pourtant pas antinomiques ? Cela tombe bien, l’agence DL2A – qui signe notamment aussi bien le Club Med de 38 hectares Michès Playa Esmeralda en République dominicaine que des hôtels de luxe ainsi que d’étonnants ‘resorts’ sur des îles inconnues – se trouve à deux pas des bureaux de Chroniques. L’agence a reçu trois fois le prix du meilleur hôtel du monde de l’année, l’un en architecture, un autre en aménagement intérieur et encore un où l’agence avait la mission complète architecture et design intérieur ! Didier Lefort, fondateur de l’agence, est un expert donc. L’occasion d’aller lui poser la question : dans le monde d’après, qu’est-ce que le luxe en architecture ? qu’est-ce que le luxe pour un architecte ?
Didier Lefort, entouré de son fils Quentin, ne semble en tout cas pas inquiet pour son agence, ce qui ne signifie pas que rien ne va changer. « Le monde est ébranlé et si les choses vont éventuellement revenir dans l’ordre, il y aura moins de voyages, moins souvent, mais qui dureront plus longtemps, permettant d’être immergé et de mieux profiter. Je pense que les gens seront plus portés par des endroits plus ou moins ‘sauvages’, avec moins de promiscuité, avec la nature autour de soi », explique celui dont le travail à Principe et en Malaisie apparaît comme l’anti-Phuket (Thaïlande) par excellence. Il n’hésite pas à parler d’hôtel « écologique de luxe ».
S’il construit à Casablanca, au Maroc, une tour de 80 mètres, il travaille également sur un projet d’hôtel en terre, inséré en pleine campagne, « dans un milieu sain, naturel ». A Sundy Praia, le premier hôtel***** écologique de luxe de Principe, la nuit est à 800€ mais il développe également sur l’île un concept pour ‘back packers’ de 20 à 30€ la nuit. Le luxe à portée de bourse ?
Sur ces projets, « vous savez où sont les produits dont vous avez besoin ; comme au supermarché, on ne prend pas tout car il ne faut pas aller contre les capacités du pays mais au contraire s’appuyer sur ses ressources. Nous aimons les projets contemporains mais on ne va pas mettre une tour en verre à Principe, il ne faut jamais aller au-delà de la justesse du projet dans son contexte », dit-il. Nouvelle définition du luxe en architecture ? En tout cas, Didier Lefort a pour l’instant en cours un projet en Polynésie et quatre autres en Asie.
Faire travailler les gens du coin, à Principe ou au Maroc ou ailleurs, une intention écologique et sociale, n’est plus tout à fait nouveau – souvenez-vous du choc de « l’Occident » en découvrant le travail de Francis Kéré avec de la terre, des bouts de ficelle et de la bonne volonté – mais Didier Lefort fait partie des pionniers.
De fait, porté par la passion du surf et des voyages, il fut recruté après ses tout premiers projets par la fondation Aga Khan – né au Maroc, il parlait un peu l’arabe et connaissait la culture de l’islam. Le voilà pendant 16 ans au Pakistan, en Inde, construisant dans l’Himalaya des projets sociaux. C’est là qu’il découvre l’énergie solaire. Ce sera le thème de son diplôme, en 1977, quand la question de l’environnement ne se posait pas encore pour grand-monde.
Depuis, DL2A a réalisé des usines, des équipements de santé, un aéroport, un magasin de lingerie, des écoles, un chai dans le Bordelais et construit dans vingt pays. « Il n’y a pas de sujet qui soit un frein, tous sont intéressants, comme le concours pour le refuge de l’Aiguille du midi, à 4 000m d’altitude », souligne Didier Lefort. Surtout pour quelqu’un qui a pratiqué l’alpinisme et passé son brevet de pilote de l’air dès que cela lui fut possible.
L’hôtellerie occupe aujourd’hui environ 60 % du temps de l’agence, rejointe désormais par fils et fille. Qu’est-ce que le luxe pour un architecte ?
« Pas besoin d’ostentation pour faire de belles choses », conclut Didier Lefort. Passer d’un tourisme passif à un tourisme responsable, le comble de l’Ecochic ? Sur les derniers coins reculés de la planète, la pandémie est en tout cas un coup de semonce qui devrait rapidement abonder cette mutation.
Dont acte pour les architectes !
Christophe Leray
Légende des images (dans l’ordre d’apparition) :
– En Malaisie, mémoire d’éléphant pour Didier Lefort
– A Principe, Roça Sundy : une plantation de cacao restaurée par DL2A
– En Dominique, sous les cocotiers, un nouveau Club Med signé DL2A
– Sundy Praia*****, le premier hôtel écologique de luxe de l’île de Principe