D’aucuns se souviennent peut-être du projet MK / 48-PA de l’agence METEK qui ne proposait rien d’autre que de créer une terrasse de 20m² sur le toit d’un immeuble haussmannien en plein Paris. Il s’agissait selon Sarah Bitter, qui l’avait conçu pour un particulier, de «créer un objet hybride qui soit la combinaison du toit en zinc d’origine et de son évolution possible». Un projet audacieux qui tourna court, la loi l’interdisant.
Aujourd’hui, la loi ALUR de Cécile Duflot, en ayant supprimé le COS et en permettant de valoriser les m3 aériens, aurait permis la réalisation de ce projet. Boucher les dents creuses et construire sur les toits est à l’échelle de Paris et de la France, intellectuellement au moins, une aubaine pour les particuliers et les bailleurs sociaux et une Bonanza pour les architectes.
En effet, via une modification du règlement des copropriétés et diverses dérogations, la loi rend désormais possible une densification des parcelles, de construire une surélévation sur une maison individuelle ou un immeuble en copropriétés, voire deux ou trois étages au-dessus d’un parking et offre aussi de nouvelles opportunités foncières pour les bailleurs sociaux. Au prix du m² à Paris – pas moins de 8 000€/m² quel que soit l’arrondissement – chaque m² ainsi ‘créé’ est bonne fortune. Et voilà soudain des propriétaires qui se mettent à calculer la valeur des combles.
A priori, la bonne affaire est bien partagée. Pour la ville en premier lieu qui peut se densifier et mettre enfin fin à cette absurdité architecturale urbaine qu’est la dent creuse, reflet d’une petite parcelle. Dit autrement, elle peut ainsi, sans que cela ne lui coûte rien, recomposer un alignement urbain et un front bâti tout en améliorant son offre de logements (avec l’espoir sans doute de faire baisser la tension sur les prix des loyers à Paris).
Pour les propriétaires ensuite qui, quant à eux, voient des mètres cubes leur appartenant soudain valorisés au sens où ils ont désormais une valeur. Quand, dans une ville de proche banlieue parisienne, un jeune couple propriétaire est en passe de transformer sa maison à deux chambres en un grand logement de six chambres rien qu’en alignant les éléments avec le gabarit de la rue, c’est évidemment une bonne affaire.
D’ailleurs les promoteurs ne s’y trompent pas et, d’ores et déjà organisés, sont déjà à l’œuvre, la concurrence faisant que c’est à qui va proposer le meilleur service, à ceux-là un ravalement de façade, à cet autre, sa nouvelle cuisine. A tel point que des architectes sont désormais mandatés par des syndics afin de réaliser une contre-expertise face à l’offre des promoteurs.
Les architectes enfin ont tout à gagner de cette évolution de la loi. Une surélévation ou une réhausse est en effet un dossier compliqué que ni les promoteurs ni les particuliers ne peuvent mener seuls à bien. Les architectes savent comment, à partir de 1 000m² de plancher par exemple, selon le projet, créer 300, 400 ou 500 nouveaux m². Dit autrement, quand le projet est réalisable, il peut se révéler très rentable. Le calcul est simple : même si c’est un chantier compliqué, même s’il faut compter beaucoup plus d’études que pour un projet neuf, même si l’on a bien compris que nul ne peut sur un toit parisien construire au prix du logement social, et même si c’est super dur et super long et que l’architecte a soigné les détails et que la construction coûte au final 4 000€/m², à 8 000€ le prix de vente, c’est normalement un projet rentable pour tout le monde et qui n’a que des avantages.
D’ailleurs, même si le prospect parisien suggère encore et toujours des toitures mansardées avec un retrait au dernier étage, au risque d’une écriture monotone des surélévations, la loi offre aux architectes l’occasion de faire preuve d’audace avec des structures légères par définition. Ce d’autant plus que souvent, à l’occasion d’un tel chantier, ils sauront intégrer les enjeux du développement durable, par exemple la récupération des eaux, le chauffage solaire, etc. et surtout proposer une réponse économique sensible pour transformer le bâti ancien aux normes environnementales d’aujourd’hui. L’occasion encore de redessiner les modes de vie, la mairie de Paris invitant les maîtres d’ouvrage à favoriser les terrasses et jardins collectifs sur le toit des immeubles. Ce qui existe déjà dans de nombreux pays mais dont les Parisiens seront sans doute étonnés d’en découvrir l’aspect convivial. «La ville de demain peut s’écrire sur les toits et traduire une évolution culturelle», souligne Etienne Maillard, architecte de La Rehausse Parisienne.
«C’est un moyen magnifique de retrouver du logement intra-muros et, potentiellement, une vraie manière de contrer la spéculation et la flambée des prix immobiliers», confirme l’architecte Stéphane Malka. Lequel s’intéresse depuis longtemps au sujet – c’était déjà l’un des axes de reflexion de son ouvrage Petit Paris à l’orée des années 2000 – avant que la loi ne lui permette enfin de mettre en œuvre ses idées. En témoigne son projet de trois appartements, Quai de Valmy sur le canal Saint Martin à Paris qui devrait être livré en 2016.
Certes des agences d’architecture se sont organisées avec des équipes spécifiques – technique, juridique, économie – aptes à évaluer le droit à bâtir des immeubles, à étudier la faisabilité technique et économique du projet puis à réaliser la mise oeuvre des opérations. A ce titre, elles sont désormais capables de prospecter et de valoriser les biens de maîtres d’ouvrage particuliers avec leurs propres projets ou encore de collaborer avec des promoteurs selon un montage financier différent. Certes c’est le plus souvent une affaire de gros sous mais pour une fois que cela profite à tout le monde, les projets devraient fleurir partout, comme au Far West avant que les PLU ne soient à nouveau modifiés. Pourtant c’est encore loin d’être le cas.
En effet, des freins de toute sorte demeurent. S’il est aujourd’hui avéré que de prolonger le RER toujours plus loin ne sert à rien, les zones pavillonnaires ont encore leurs défenseurs et les maires de ces communes entendent reprendre la main sur la densité de leur ville et peuvent multiplier les règles contraignantes (% d’espace bâti sur la parcelle, ne pas se coller aux limites de propriété, nombre d’espaces verts, etc.). Par ailleurs, en milieu urbain dense, la gestion des vues et des prospects peut doucher les espoirs de nombre de propriétaires. Une dent creuse ? S’il y a des fenêtres sur le pignon, l’architecte va devoir user de toute son imagination pour faire passer un projet. De plus, la somme des contraintes peut conduire à une impasse technique voire une impasse économique.
Ne pas négliger encore l’intervention des ABF, susceptibles d’ajouter une ou deux autres couches de complexité supplémentaire, et encore dès lors qu’ils comprennent que la notion de patrimoine n’est pas figée dans l’histoire. Le tout sans sous-évaluer l’aspect humain : ainsi des copropriétés qui n’avaient auparavant pas même conscience de la valeur de leurs toits pensent soudain avoir gagné le jackpot et rendent le projet impossible par leurs exigences – financières ou autre – ou plus prosaïquement parce qu’ils ne parviennent tout simplement pas à se mettre d’accord entre eux. Rien que pour le nouveau calcul des tantièmes, compter 10 000€ d’études et des prises de têtes diverses et variées. Alors si c’est le propriétaire du dernier étage qui propose l’élévation et qu’il est celui ayant le plus à gagner…
Bref, s’il y a d’innombrables possibilités, partout en France – rien apparemment n’interdit plus de créer des espaces supplémentaires au-dessus de son pavillon – la réalité est que ces milliers (millions ?) de m² carrés potentiels demeurent à ce jour virtuels. Au moins est-ce désormais possible d’envisager de les développer.
Christophe Leray