Que se passe-t-il dans la tête des jurés du Pritzker Prize au moment de choisir un lauréat ? Au moins, pour ce prix mondial décerné le 16 mars 2021 aux Français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (Lacaton & Vassal), le jury explique son choix. A chacun d’y trouver, ou pas, ce qu’il cherche. Verbatim.
Texte intégral de l’appréciation du jury* (traduit de l’anglais)
Le travail d’Anne Lacaton et de Jean-Philippe Vassal reflète l’esprit démocratique de l’architecture.
Par leurs idées, leur approche de la profession et les bâtiments qui en résultent, ils ont prouvé qu’un engagement pour une architecture restauratrice à la fois technologique, innovante et écologiquement responsable peut être poursuivi sans nostalgie.
C’est le mantra de l’équipe d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal depuis la création de leur agence parisienne en 1987. Non seulement ils ont défini une approche architecturale qui renouvelle l’héritage du modernisme, mais ils ont également proposé une définition ajustée de la profession d’architecte.
Les espoirs et les rêves modernistes d’améliorer la vie de beaucoup sont revigorés grâce à leur travail qui répond aux urgences climatiques et écologiques de notre temps, ainsi qu’aux urgences sociales, en particulier dans le domaine du logement urbain.
Ils y parviennent grâce à un sens puissant de l’espace et des matériaux qui crée une architecture aussi forte dans ses formes que dans ses convictions, aussi transparente dans son esthétique que dans son éthique. A la fois belle et pragmatique, elle refuse toute opposition entre qualité architecturale, responsabilité environnementale et quête d’une société éthique.
Depuis plus de 30 ans, leur approche critique de l’architecture incarne la générosité d’espace, d’idées, d’usages et d’économie de moyens, de matériaux, mais aussi de forme. Cette approche a abouti à des projets innovants pour des bâtiments résidentiels, culturels, éducatifs et commerciaux.
Depuis leurs premiers projets, dont la Maison Latapie à Bordeaux, jusqu’aux ouvrages publics tels le Centre des Sciences Humaines de Saint-Denis ou de l’École d’Architecture de Nantes, ils ont fait preuve de sensibilité et de chaleur à l’endroit des utilisateurs. Les architectes expriment que les bâtiments sont beaux quand les gens s’y sentent bien, quand la lumière à l’intérieur est belle et l’air agréable, et quand il y a une circulation aisée entre l’intérieur et l’extérieur.
Dès le début de leur carrière, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont constamment élargi la notion de durabilité pour être comprise comme un véritable équilibre entre ses piliers environnementaux et sociaux. Leur travail a abouti à une variété de projets qui adressent la responsabilité dans ces trois dimensions.
Selon leur pratique, chaque projet commence par un processus de découverte qui comprend l’observation intensive et la recherche de valeur dans ce qui existe déjà. Dans le cas du projet de la Léon Aucoc (1996), leur démarche consistait simplement à entreprendre les travaux minimaux et à modifier légèrement le trafic, le tout pour redonner du potentiel à ce qui existait déjà.
Lors de leurs projets de logements – Tour Bois le Prêtre à Paris et quartier Grand Parc à Bordeaux (tous deux réalisés avec Frédéric Druot) – au lieu de démolition et de reconstruction, ils ont soigneusement ajouté de l’espace aux bâtiments existants sous forme d’extensions généreuses, de jardins d’hiver et de balcons qui permettent une liberté d’utilisation au bénéfice des résidents. Il y a une humilité dans la démarche qui respecte les objectifs des concepteurs et les aspirations des occupants.
Pour le centre culturel, FRAC Nord-Pas de Calais à Dunkerque, ils ont choisi de conserver le hall d’origine et d’y accoler un deuxième bâtiment de dimensions similaires. La nostalgie du passé est absente. Au contraire, ils recherchent la transparence, l’ouverture et la luminosité dans le respect de l’hérédité et d’une quête pour agir de manière responsable dans le présent. Aujourd’hui, un bâtiment qui passait auparavant inaperçu devient un élément emblématique d’un paysage culturel et naturel renouvelé.
Par leur conviction que l’architecture est plus que de simples bâtiments, à travers les problèmes qu’ils abordent et les propositions qu’ils réalisent, en forgeant un chemin responsable et parfois solitaire illustrant que la meilleure architecture peut être humble et toujours réfléchie, respectueuse et responsable, ils ont montré que l’architecture peut avoir un grand impact sur nos communautés et contribuer à la prise de conscience que nous ne sommes pas seuls.
Pour l’ensemble de leur travail réalisé et celui du futur, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal sont nommés lauréats du prix Pritzker 2021.
Les articles de notre dossier Pritzker 2021
– Pritzker 2021, plastique bien française ?
– Lacaton & Vassal, un Pritzker et quelques paradoxes
– Brutalité architecturale, comment résister au naufrage ?
– Mais pourquoi diable un Pritzker français ?
– Lacaton & Vassal, le jury du Pritzker 2021 explique son choix
*Jury Members
Alejandro Aravena (Chair) : Architect, Educator and 2016 Pritzker Laureate – Santiago, Chile
Barry Bergdoll : Architecture Historian, Educator, Curator and Author – New York, New York
Deborah Berke : Architect and Dean, Yale School of Architecture – New York, New York
Stephen Breyer : U.S. Supreme Court Justice – Washington, DC
André Aranha Corrêa do Lago : Architectural Critic, Curator and Brazilian Ambassador to India –
Delhi, India
Kazuyo Sejima : Architect and 2010 Pritzker Laureate – Tokyo, Japan
Wang Shu : Architect, Educator and 2012 Pritzker Laureate – Hangzhou, China
Benedetta Tagliabue : Architect and Educator – Barcelona, Spain
Martha Thorne (Executive Director) : Dean, IE School of Architecture & Design – Madrid, Spain
Manuela Lucá-Dazio (Advisor) – Paris, France