Après l’exposition éponyme en février 2016 à la Galerie d’Architecture, à Paris, est paru Sensible*, une présentation monographique pour les dix ans de l’agence A+ Samuel Delmas. L’ouvrage est soigné, comme les projets du jeune architecte depuis ses débuts en 2003. Lequel, à l’instar de beaucoup de ses confrères, prône une architecture du sensible. Monographie.
Samuel Delmas explique avoir conçu son livre «comme un volume monolithique». La couverture est épaisse, rigide, son gris anthracite évoquant le béton, l’acier ou l’ardoise. Le papier épais, mat, ne rend pas hommage aux photographies signées Julien Lanoo, Frédéric Gémonet ou Kristen Pelou, dont il absorbe les couleurs et les reliefs. Si le livre se situe dans la suite de l’exposition, il est regrettable qu’il n’en reprenne pas l’un des concepts les plus ludiques lorsque le visiteur, évoluant sur le crissement de l’ardoise, mettait en scène avec subtilité la matière sensible sous ses pieds.
Samuel Delmas promeut «le sensible», soit «une approche au contexte». «Le sensible parle de la matérialité, de la matérialité des matériaux, de la lumière, de la relation aux espaces. Il correspond également à un travail de l’imaginaire de la part de l’architecte pour l’usager», explique-t-il.
Le sensible est aussi selon A+ l’intimité que crée un bâtiment construit dans son contexte à la fois géographique, architectural, et social. «Il faut considérer que le programme est le minimum à offrir, apporter un regard nouveau sur le projet. Au-delà de la surface utile, nous préférons raisonner en termes de surface agréable, celle qui crée le lieu», poursuit-il. Les ombres, les vides, les matériaux, la lumière donnent un toucher, un parfum, un bruit aux constructions. «C’est le privilège de la matière d’atteindre le sensible», écrit Samuel Delmas. Rien de bien révolutionnaire donc, d’autres l’ont pratiqué avant lui, ça ne fait que dix ans que par exemple, pour n’en citer qu’un, Jacques Ferrier promeut la ville sensuelle…
Après une préface élogieuse de l’architecte espagnol et ami Francisco Mangado et la formulation par mots-clés des orientations de l’agence, des haïkus, écrits par l’architecte introduisent chacun des quinze projets présentés. Ces trois vers, à la mode japonisante, apportent dans le livre émotion et poésie. Il pleut sur les pierres / le soleil / regarde la mousse sont une allusion au site du Pôle tertiaire et médical livré à Nozay (44) en 2015 ou encore, Bruissement dans la volière /le vieil homme immobile / une plume, hommage peut-être aux usagers de l’Ehpad Broussais à Paris, inauguré la même année.
Il demeure qu’une vingtaine de minutes suffisent à la lecture avant la collection de projets. Monographie ? Plutôt une sorte de catalogue un peu chic. Une autoproduction de l’agence donc, sous la direction de Samuel Delmas, qui n’oublie pas de remercier les maîtres d’ouvrage publics privés et publics, dont Pierre Paulot (directeur de l’architecture, de l’aménagement et de l’environnement pour I3F) en tête et Claudie Predal (direction du patrimoine et de l’architecture à la Ville de Paris) parmi une longue liste d’une cinquantaine de remerciés dont les sponsors de l’ouvrage également mis à l’honneur, avec logos et projets privilégiés, sans compter bien sûr les membres passés et présents de l’agence tous cités également.
Le problème de l’autoproduction est que, malgré une préface bienveillante, le contenu rédigé par l’agence est assez pauvre et que d’aucuns peuvent déplorer, comme souvent, l’archi-absence de réel point de vue sur sa propre production. De fait, le 20 avril dernier, la foule ne se pressait pas à la librairie Volume pour le lancement de l’ouvrage. D’autant que pour 38 euros – le prix peu sensible du bouquin – il est possible de s’offrir chez tous les bons libraires un voire deux livres de chez Taschen. Certes, Sensible n’est pas destiné à devenir un succès de librairie ; ce sont les maîtres d’ouvrage, hypothétiques clients et futurs récipiendaires qui en seront heureux. Il s’agit donc d’un super-book en somme, tout à fait dans l’air du temps de la communication d’agences rivalisant d’ingéniosité. Bref si la monographie est désormais un passage obligé, au moins A+Samuel Delmas a tenté de s’y plier avec un peu d’élégance.
Pour la petite histoire et pour en revenir au sensible, Sensual City Studio, le studio de recherche créé par Jacques Ferrier avec Pauline Marchetti et le philosophe Philippe Simay, expose ‘A vision for a Sensual City’ au Musée National des Philippines de Manille, du 16 mars au 15 août 2016.
Qu’en pensent-ils en effet les Philippins du sensible en architecture ?
Léa Muller
* Sensible, Samuel Delmas, Francisco Mangado, Louis Vitalis, + éditions, Fr–Angl., Publication: 23 mars 2016, 22x28x2.8 cm, 1440 gr., 248 pp., 38 euros