Dans notre série* « Il n’y a rien de mieux pour flinguer une carrière politique qu’un poste de ministre de la Culture », les années 2012 – 2017 sont normales comme jamais : Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et Audrey Azoulay en témoignent.
Depuis André Malraux, la longévité des 26 ministres de la Culture sous la Ve République est en moyenne de deux ans et trois mois. C’est à croire que le poste est frappé d’obsolescence programmée ! De fait, pendant le quinquennat de François Hollande, les trois ministres au féminin qui se succèdent rue de Valois – Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et Audrey Azoulay – réduisent ce ‘turn over’ à dix-huit mois de moyenne. Bonjour la parité ! La dernière ne dépassera guère un an, en guise de période d’essai.
Aurélie Filippetti (18 juin 2012 – 25 août 2014)
Aurélie Filippetti a tous les atouts en mains : militante socialiste, agrégation de lettres classiques, un grand-père immigré italien fuyant le fascisme dans les années 1920, un père mineur de fond, résistant et déporté, et un premier roman publié à l’âge de 30 ans Les derniers jours de la classe ouvrière, réédité en poche.
En1999, elle entre d’abord chez les Verts puis, en 2006, rejoint l’équipe de campagne de Ségolène Royal et de François Hollande lors de la primaire socialiste. Cette trajectoire révèle une certaine souplesse. Nommée ministre de la Culture et de la Communication dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, elle doit faire face à deux baisses successives de son budget en 2013 et 2014 et aux grèves des intermittents du spectacle pendant les festivals d’été.
En matière d’architecture, Aurélie Filippetti multiplie les discours (en décembre 2013 devant l’Académie d’Architecture) et les interviews. Elle déplore que les trois-quarts des constructions soient faits sans architectes, un constat établi par tous ses prédécesseurs depuis 40 ans ! Pour sensibiliser les Français à l’architecture, elle veut l’intégrer à l’enseignement artistique à l’école, (ça ne mange pas de pain). Pour les professionnels, la ministre réaffirme le rattachement de l’architecture et des architectes à son ministère (si, si…) et entend que les étudiants en architecture soient aussi bien traités qu’à l’université.
Des vœux pieux : « l’architecte est garant d’une construction durable », quelques banalités « l’architecture est une vision du monde qui s’exprime à travers un acte de création » ; Aurélie Filippetti soutient aussi le Prix femmes architectes. Son dernier laïus, le 5 juin 2014, prononcé lors de la 14ème biennale d’architecture de Venise, intervient deux mois avant de prendre la porte, sa non-participation au second gouvernement de Manuel Valls étant vécue comme une trahison.
Redevenue députée, elle s’engage auprès des « frondeurs » qui s’abstiennent lors du vote du budget 2015. Ce qui conduira François Hollande à ne pas se représenter en 2017. Logiquement, elle soutiendra Arnaud Montebourg pour la primaire citoyenne mais sera porte-parole de Benoît Hamon pour la campagne présidentielle.
Battue aux législatives de 2017, elle devient enseignante à Sciences-Po Paris et participe aux émissions de Marc Olivier Fogiel sur RTL On refait le monde ! Elle est exclue du PS en octobre 2017. Réintégrée aux élections régionales de 2020, nouvel échec. Rebelote en juin 2021 avec une liste d’union de la gauche, soutenue par la France Insoumise, qui ne franchit pas le premier tour.
Victime de ses engagements erratiques, Aurélie Filippetti, est une « forte tête », en bonne place dans notre palmarès : « Rien de tel que le ministère de la culture pour flinguer une carrière politique ».
Fleur Pellerin (26 août 2014 – 11 février 2016)
Abandonnée à sa naissance dans les rues de Séoul, adoptée par une famille française, Fleur Pellerin fait ses études à l’ESSEC, puis à l’IEP et intègre l’ENA au tour extérieur. D’abord magistrate à la Cour des Comptes, elle pantoufle pendant deux ans (2008-2009) dans un cabinet de communication de crise.
Dès 2002, elle fait partie des « plumes » auprès de Lionel Jospin, collabore avec Ségolène Royal, puis avec François Hollande. D’abord ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Economie numérique en 2012, elle devient brièvement (cinq mois) secrétaire d’État en 2014 chargée du Commerce extérieur et du Tourisme dans le premier gouvernement de Manuel Valls.
Elle s’installe en souplesse rue de Valois le 26 août 2014 à la suite d’Aurélie Filippetti. Elle passe alors, grâce au soutien de Manuel Valls, pour une praticienne avisée des portefeuilles interchangeables.
Le 16 décembre 2014, Fleur Pellerin annonce la signature par « treize grands acteurs du secteur de l’immobilier de la charte 1 immeuble, 1 oeuvre. Ces entreprises s’engagent à commander ou acquérir une œuvre d’art auprès d’un artiste pour tout programme d’immeuble à construire ou à rénover ». Vaste rigolade dans le Landernau dont Chroniques d’architecture rend compte avec délectation, rappelant opportunément le 1 % artistique. Un chiffre, 13, qui dit-on porte malheur. « A table, assurément, lorsqu’il n’y a à manger que pour 12 ! », souligne Grimod de la Reynière.
En février 2015, Fleur Pellerin annonce des mesures « en faveur de l’architecture et des architectes » s’appuyant sur les travaux de la Mission d’information sur la création architecturale, conduits par Patrick Bloche qui, selon le ministère, est un « plaidoyer, en trente-six propositions, pour une création architecturale du quotidien au service d’un aménagement durable du territoire ». Air connu, seules les paroles changent !
Au Sénat, cependant, la ministre met les élus devant leur responsabilité : « Ce n’est rien moins que l’avenir de la vie culturelle de la France que vous avez entre vos mains aujourd’hui ! », rappelle-t-elle aux sénateurs, le 9 février 2016, en défendant la liberté d’expérimenter et la baisse du seuil de recours à l’architecte (de 170 m² à 150 m²). Huit jours plus tard, elle est débarquée malgré la protection du Premier ministre (Manuel Valls) car elle doit laisser la place à une copine de la Première dame du moment, Julie Gayet, qui roule pour Audrey Azoulay. Il sera beaucoup reproché à Fleur Pellerin de n’avoir pu citer en direct à la télé aucun titre de livres du romancier Patrick Modiano, prix Nobel de Littérature 2014.
Après son départ du gouvernement, elle entreprend aussitôt une carrière dans le privé, démissionne de la haute fonction publique par « souci d’éthique ». Ce qui n’empêche pas l’ouverture d’une enquête pour prise illégale d’intérêts par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, et la publication, en décembre 2018, d’un rapport transmis au Procureur de la République. Touchée, pour le moment, mais pas coulée !
Audrey Azoulay (11 février 2016 – 10 mai 2017)
Sortie de l’ENA dans la même promo que Fleur Pellerin, Audrey Azoulay, fille d’un proche conseiller du roi du Maroc, commence une carrière de haute fonctionnaire dans le secteur des médias entre 2000 et 2014. En 2006, Dominique de Villepin avait tenté, sans succès, de l’attirer dans son cabinet. François Hollande, et surtout Julie Gayet, auront plus de succès puisqu’elle deviendra conseillère du président de la République, chargée de la culture et de la communication de 2014 à 2016.
Son passage de l’Elysée à la rue de Valois, sans tambour ni trompette, est une première. On la compare à Emmanuel Macron ; ils n’ont jamais été élus, ne sont pas membre du PS et sont passés directement de l’Elysée au gouvernement. L’éditorialiste Christophe Barbier persifle : « Audrey Azoulay incarne à son corps défendant l’épuisement de la gauche culturelle. […] Quand le prince en est réduit à nommer ministre son conseiller, fût-ce une conseillère, c’est que le prince est bien seul, abandonné de tous, ou que son entourage est bien entreprenant, qui l’a coupé de tous... »
Juste, sauf que François Hollande est un prince « normal » !
Plusieurs observateurs notent que les ministres de la Culture ont, « depuis plusieurs années », « un poids politique limité » ; ils la considèrent comme un exemple, avec Frédéric Mitterrand et Jean-Jacques Aillagon de la catégorie des « opérationnels du secteur de la culture » qui ont pris la tête du ministère par défaut.
Dans le domaine de l’architecture, Audrey Azoulay hérite du projet de loi Liberté de création, architecture et patrimoine, qu’elle réussit à faire voter par les deux chambres. « L’architecture trouve sa place aux côtés du patrimoine. Ce texte est majeur pour l’architecture. C’est la première loi à traiter autant d’architecture depuis la loi fondatrice de 1977, dont nous fêterons bientôt les 40 ans », déclare-t-elle.
Diminution du seuil de recours obligatoire à 150 m², présence d’un architecte pour le dépôt d’un permis d’aménager un lotissement, ouverture à certaines « expérimentations », le verre est à moitié plein. A moitié seulement pour les professionnels de la profession (Ordre et syndicats).
Audrey Azoulay sera sollicitée pour rester rue de Valois à l’arrivée d’Edouard Philippe mais suivra le conseil de François Hollande qui annonce sa candidature à la Direction Générale de l’Unesco dans les derniers jours de son mandat. De l’avis quasi unanime, elle réussit non seulement à se faire élire mais aussi, selon le représentant du Qatar, à « déminer des dossiers cruciaux qui, depuis des années, cristallisaient les conflits au sein de l’UNESCO ». Elle sera éligible pour un second mandat en 2025.
Au lieu de flinguer une carrière, la rue de Valois aura été pour Audrey Azoulay le point de départ d’une brillante carrière internationale.
Syrus
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*« Il n’y a rien de mieux pour flinguer une carrière politique qu’un poste de ministre de la Culture » – La série
– Le premier volet parcourt la période allant d’André Malraux à Maurice Druon.
– Le second, sous Giscard, revient sur les passages express au ministère de la Culture de Michel Guy et Françoise Giroud.
– Dans le troisième épisode, De Michel d’Ornano et Jean-Philippe Lecat, un seul meurt dans son lit.
– 1981–1993, les années Mitterrand : à la Culture, chassé-croisé Lang – Léotard
– Décennie 1993 – 2002 : Douste et les catherinettes, ce n’est pas Toubon
– 2004 – 2012 : rue de Valois, trois mignons, et coquins avec ça, et une mignonne
– 2012 – 2017 : Trois ministres de la Culture normales ?
A suivre car demeurent encore trois ministres de la Culture macroniens. Il y en a eu 26, il n’en restera qu’une !