Ils sont nombreux à préjuger de l’inéluctabilité du ‘Building Information Modeling’ dit BIM en français. A raison peut-être. D’un autre côté, si révolution il y a, elle arrive en marchant à petits pas car il est encore loin le grand soir du tout numérique. Cependant, des signes sont notables d’une évolution dans les agences puisque désormais la qualification BIM est de plus en plus souvent requise lors des embauches. Annonce d’emploi.
En 2014, un article des Cahiers de la profession, le journal du CNOA, indiquait que «c’est à cette condition [la maquette numérique et le BIM] que le plan du gouvernement ‘Objectif 500 000’ pourra être atteint». Comme si la technologie est tout ce qui lui manquait pour atteindre cet objectif si généreux jamais atteint par ailleurs depuis les trente glorieuses. Le manque de productivité des architectes était déjà l’argument employé en 2000 pour convaincre de l’utilité des PPP. On connaît la suite.
Certes, les jeunes architectes sont aujourd’hui formés aux nouvelles technologies et sont porteurs d’une aisance tant en termes d’images – ils connaissent la 3D depuis leur premier jeu vidéo – qu’en termes de manipulation des outils. Cela vaut pour le BIM sans doute, du moins en apparence. En tout cas, ils sont nombreux désormais à se vendre en tant que BIM manager.
Une fois dans l’agence, encore faut-il être architecte. «Le BIM implique une extrême rigueur en amont et il faut énormément calibrer avant de dessiner. Façade béton ou acier ? Isolation intérieure ou extérieure ? Ce n’est plus le même projet et c’est ensuite difficile à bouger or les jeunes architectes ont tendance à privilégier la technique à la réflexion», indique un architecte. «Paris ce n’est pas 500 milliards de m² de fenêtres ou tant de tonnes de pierre, on ne peut pas quantifier l’architecture et l’architecture ne se fait pas en appuyant sur un bouton», souligne un autre. De fait, après tout, Fernand Pouillon n’avait pas besoin du BIM pour faire du logement de qualité, à l’architecture impeccable, rapidement construit et bien moins cher que celui des promoteurs immobiliers. Hérésie ! Il finit en prison.
Le fait que le concept BIM soit anglo-saxon indique par ailleurs qu’il ne sait rien de la loi de 77. D’ailleurs, soit dit en passant, Google Flux, le dernier né des projets du géant du Web, invoque les mêmes arguments que les promoteurs du PPP et entend comme eux rien moins que «révolutionner la façon de concevoir et de construire des bâtiments». L’équipe de Flux souhaite en effet via des outils ‘cloud’ «améliorer la qualité des constructions, la proximité des communautés et minimiser l’impact sur l’environnement et rationaliser des flux de conception complexes». Le projet, démarré dans les laboratoires Google[x] à la fin de 2010, doit faciliter les échanges de données entre les architectes, ingénieurs et constructeurs.*
Faut-il penser que les analystes de Google ont conclu qu’il y avait de l’argent à gagner sur les honoraires de la maîtrise d’œuvre ? Comment disent-ils BIM manager au Québec puisqu’en France nous ne lui trouvons pas un nom propre ? Notons à ce propos que ce sont les créateurs qui dans leur propre langue nomment exactement leurs inventions. Bétonnière en grec se dit bétonnière. Building Information Modeling se dit BIM et BIM manager en français se dit BIM manageur.
«Revit, c’est super pour les ingénieurs», ironise un architecte. Dans quelques agences d’architecture, il faut pourtant d’ores et déjà maîtriser ce logiciel pour pouvoir y travailler. Les licences sont louées d’autant plus chères que le client devient de plus en plus captif et qu’il forme lui-même, à ses frais, les prochains utilisateurs. Comme pour Mac ou PC, il faut choisir.
Sauf que la formation BIM est à ce jour encore longue et compliquée, ne serait-ce que le temps nécessaire à l’administration des dossiers de financement via la formation professionnelle ; ne serait-ce d’ailleurs, pour commencer, que le temps nécessaire à être très attentif à la qualité des formations proposées. Bref, virer cette nouvelle cuti est un investissement en temps, en réflexion et un investissement financier, sans parler des nouvelles machines qu’il faut acheter car auparavant un plan faisait 10 Mo et il en fait 100 aujourd’hui et, du coup, il faut aussi un nouveau serveur.
Et puis qui former ? Tous les architectes de l’agence ? Les associés ? Quelques-uns et pas d’autres ? «La difficulté nouvelle est que nous ne pouvons pas capitaliser sur la formation. Les jeunes architectes bougent comme ils l’ont toujours fait mais toi tu as formé un jeune architecte au BIM pendant deux ou trois ans et puis il s’en va. Alors nous recherchons des gens déjà formés», explique une architecte. Qui les forme ? L’école ?
Quoi qu’il en soit, les annonces d’emploi de BIM Manageur sont désormais légion. Par exemple : ‘Le BIM manager junior sera intégré à l’équipe BIM de la Direction Grands Projets’ ; ‘Leader du programme BIM. Animation de la communauté BIM PPC France. Définit la stratégie BIM avec les Directions Mkt’ ; ‘Vous participez à la déclinaison opérationnelle du BIM dans les équipes. MISSIONS ET RESPONSABILITES’ ; ‘Vous êtes déjà BIM Manager = Vous êtes en short List ! Vous avez idéalement déjà pratiqué(e) (sic) un des outils majeurs du marché du BIM (Autodesk Revit si possible)’. Etc.
Ce sont ces nouveaux critères de recrutement qui indiquent qu’une évolution, quelle qu’elle soit pour le meilleur ou pour le pire, est en cours. Pour lire l’avenir, la carte du BIM, un atout maître ? A moins que la mariée ne soit trop BIM BAM BOF et qu’un autre gouvernement ne trouve demain une nouvelle idée pour nous promettre 500 000 logements l’année prochaine.
En tout état de cause, sans que son efficacité ne soit encore largement démontrée à ce jour, le BIM imprègne déjà les comportements et la langue non seulement des agences d’architecture mais aussi ceux de tous les acteurs de la construction. Cela va finir par affecter sans doute la conception des bâtiments.
Christophe Leray
*Cité par Batiactu dans l’article Et bim, Google débarque dans le monde de l’architecture, paru le 3 mars 2016