Quelle part d’innovation peut bien apporter une équipe d’étudiants en 3ème année dans le concours Réinventer Paris? C’est la question à laquelle, sur le lot M5A2, le promoteur Emerige a tenté de répondre avec une équipe qui comprenait, outre les étudiants de l’ENSA-Val de Seine, un acteur financier – La compagnie de Phalsbourg – et l’entreprise Eiffage. Les projets sélectionnés étaient exposés à l’école du 13 au 20 juin 2016. Retour sur l’évènement.
Si le concours Réinventer Paris a donné lieu à polémiques, les petits poucets de la compétition n’en ont cure. S’ils comprenaient que l’important, était de participer, ces étudiants de 3ème année, et quelques-uns de 5ème année, n’allaient pas se priver du plaisir de concocter une proposition sur le lot M5A2, une parcelle aujourd’hui en friche justement située derrière les amphithéâtres de l’école. Pratique pour les études de site.
Puis il a fallu s’y mettre. Pendant un peu plus de deux mois, les apprentis architectes ont dû faire preuve de maturité pour travailler en équipe, ce qui avait jusque-là été relativement rare. Ce n’était que la moindre des difficultés. Les étudiants se devaient en effet d’être une force de propositions face à des maîtres d’ouvrage – Emerige et La Compagnie de Phalsbourg – et à une entreprise générale associée à l’équipe – Eiffage – qui ne sont pas exactement prêts à perdre leur temps. Une première pour chacun des étudiants car le projet, normalement théorique et débarrassé des obligations financières et foncières, se voit soudain confronté à la réalité des contraintes matérielles et humaines. Pour eux, un vrai concours
Le lot M5A2 devait servir d’ancrage à une opération de logements pour majorité en accession, avec également quelques logements sociaux et une résidence étudiante. «Les étudiants reflètent une nouvelle génération qui émerge avec des idées neuves», constate Jean Mas, un des professeurs de l’atelier par ailleurs architecte associé de l’agence 2/3/4. Au final, onze projets seront retenus et développés pour le concours.
L’introduction au catalogue de l’exposition se positionne dans la lignée de l’architecte Mansart qui «a réalisé son premier bâtiment à 22 ans». Autres références, l’immeuble-villa de Le Corbusier et l’habitat collaboratif inspiré de l’exemple allemand.
Baptiste Halard et Gauthier Demumieux, élèves de Jean Mas, ont intitulé leur projet Icare. A défaut d’une réelle innovation technique, ils tentent de réécrire la typologie de l’immeuble parisien en rehaussant la cour intérieure et en évidant le rez-de-chaussée pour offrir un espace partagé. «Les projets ne sont pas aboutis en raison du temps imparti. Ce sont donc les idées qui ont été mises en avant», explique Baptiste. Il faut dire que pour eux, le délai était serré, un peu plus de deux mois pour monter un projet de A à Z, avec très peu d’expérience, c’est court!
Valentin Beaudoin, auteur du projet La maison commune-ville, relativise : «le concours est devenu le projet du semestre, prenant la forme d’un exercice en temps réel, avec un timing serré, une communication à mettre en place avec tous les acteurs. L’innovation était de proposer un projet complet, jusqu’au montage financier, en partenariat avec les investisseurs».
Maxime Robbé, élève de Brigit de Kosmi, souligne d’ailleurs que «les corrections du professeur étaient différentes de celles du promoteur. Les enjeux n’étaient pas les mêmes. Nous avons été recadrés dans le sens des réalités. Par exemple nous avons dû limiter les circulations communes qui ne sont pas rentables pour un promoteur. Il s’agissait pour nous d’une véritable mise en situation».
«La vraie innovation a été dans la manière de travailler en mélangeant les compétences de chaque partie de l’équipe. Un peu à la manière des Anglo-Saxons, qui mélangent architectes et ingénieurs dans les agences. Pour nous, cela a induit un changement dans notre processus de réflexion», indique un autre étudiant.
Pour Jean Mas, «ce type d’initiative permet aux étudiants de plus s’investir dans un projet». Mais rendons au promoteur ce qui lui appartient car l’idée du projet appartient à Christophe Bacqué, le Président d’Emerige Résidentiel. «Au début, j’étais sceptique mais le promoteur est un amateur éclairé d’architecture», argumente Jean Mas, également membre du conseil d’administration de l’école. «Cependant, l’école a été difficile à convaincre car la promotion privée reste le diable pour les écoles et surtout pour les étudiants. Ils ont comme ambition de ne travailler que pour le public à la sortie de leurs études», souligne-t-il. «Les temps changent et les étudiants ont tout à gagner à ne pas rejeter la maîtrise d’ouvrage privée», justifie l’associé de l’agence parisienne 2/3/4.
A ce titre, l’argent restant le nerf de la guerre, il n’y a pas que l’école qu’il a fallu convaincre. «J’ai dû batailler dur pour que le travail des étudiants soit rémunéré, c’était une obligation», souligne Jean Mas. Ils le furent via l’école, dotée à hauteur de 60 000 euros. Un partenariat positif qui a certes permis au groupe Emerige d’entrer dans l’école, par la grande porte qui plus est, les futurs architectes étant sans doute les professionnels de demain, et les partenaires du futur. L’école a-t-elle vendu son âme au diable pour Réinventer Paris ? Il est permis de penser le contraire. En tout cas certainement moins que d’autres compétiteurs, pas des petits poucets ceux-là. En tout cas, Emerige est «surpris et ravi de l’expérience» et les apprentis architectes ont bénéficié d’un aperçu du grand bain.
Pour finir, pourquoi présenter onze projets ? «Il aurait fallu n’en choisir qu’un seul mais étant donné la qualité du travail et l’investissement de chacun, cela aurait été injuste de n’en sortir qu’un. Il a d’ailleurs été difficile de ne choisir que onze projets», complète Jean Mas. C’est d’ailleurs toute l’équipe qui a été présentée à la ville de Paris.
Léa Muller