Dans l’actuelle Thaïlande, Ayutthaya, créée en 1350, a été du XIVe au XVIIIe siècles la deuxième capitale du Royaume des Siamois, une ville étonnamment ouverte aux influences étrangères. Son architecture, désormais séculaire, en témoigne encore. Chronique de Jean-Pierre Heim.
Sur les canaux de Bangkok, la pirogue à moteur défile le long des rives de la rivière Chao Phraya jusqu’au cœur de l’île de Rattanakosin où je découvre le grand palais. Partiellement ouvert au public comme un musée, il est aussi un endroit de travail pour les services du Roi.
Le palais, à peu près carré sur une surface de 29 hectares, est entouré de quatre murs longs et blancs de 2 000 m. Le Grand Palais est composé de bâtiments, salles, pavillons autour de jardins et pelouses et cours. Asymétrique, son style est divers et lié à son dessin organique, avec des pagodes et autres constructions réalisées par les rois successifs pendant plus de 200 ans.
Les pagodes sont à la fois peintes et dorées, les statues sont vénérées par les fidèles qui se mêlent et s’entrecroisent avec les touristes, l’ensemble formant une foule très silencieuse…
De retour à la pirogue vers le marché flottant, chaotique et coloré.
Sur la route d’Ayutthaya, un voyage hors du temps
Ayutthaya, en Thaïlande, est située sur la route de Mandalay qui vient de Bagan en Birmanie. « Travelling is an Art » est le slogan de mes croquis que je dessine in situ à la recherche de l’histoire et de l’étymologie architecturale du site avant de dessiner des lodges adaptés à une architecture organique et symbolique des lieux.
Dessiner me permet d’absorber le paysage et l’architecture archéologique de ces sites magnifiques. C’est en dessinant que je grave dans la mémoire les éléments nécessaires qui me permettront de créer une architecture contemporaine tenant compte du climat, de la géographie et de la culture locale.
Dès la sortie de Bangkok, je découvre un paysage luxuriant qui mène à Ayutthaya. Après deux heures de taxi dans une fournaise éclatante, j’arrive sur les vestiges d’un vaste site archéologique de 289 hectares appartenant au patrimoine mondial de l’UNESCO. En arrivant à Ayutthaya, les constructions en brique encore en bon état, voisines de celles parfois effondrées, ce qui leur donne un aspect extraordinaire, sont sources de mon premier étonnement
Ayutthaya est désormais une vaste ruine archéologique dont les monastères bouddhistes aux proportions monumentales, où la population vient encore méditer et se recueillir, donnent une idée de la taille de la ville historique et de la splendeur de son architecture.
Rencontrer les moines, les voir en plein recueillement dans ces temples en ruine devant des statues de bouddhas ornées de fleurs est une vision étonnante, pleine de spiritualité et d’émotions.
La ville était idéalement située au fond du golfe de Siam, à équidistance entre l’Inde et la Chine et bien en amont pour se protéger des attaques et puissances européennes qui étendaient leur influence dans la région alors même que Ayutthaya elle-même consolidait et étendait son propre pouvoir pour combler le vide laissé par la chute d’Angkor.
En conséquence, Ayutthaya est devenu un centre de l’économie et du commerce aux niveaux régional et mondial, et un important point de jonction entre l’Orient et l’Occident. La cour royale de Ayutthaya a échangé des ambassadeurs partout, y compris avec la cour à Versailles et la cour moghole à Delhi, ainsi qu’avec la cour impériale de la Chine. Les étrangers au service du gouvernement vivaient au palais royal d’Ayutthaya, qui comptait d’ailleurs des enclaves de commerçants étrangers et de missionnaires, chacun de leurs bâtiments était dessiné dans leur propre style architectural.
L’ingéniosité et la créativité de l’école d’art d’Ayutthaya ont mis en valeur la civilisation éponyme ainsi que sa capacité à assimiler une multitude d’influences étrangères. Les grands palais et les monastères bouddhistes construits dans la capitale, par exemple au Wat Mahathat et au Wat Phra Si
Sanphet et les prouesses de leurs bâtisseurs témoignent de la vitalité économique et technologique de la société de l’époque.
Tous les bâtiments étaient élégamment décorés avec un grand artisanat ainsi qu’ornés de peintures murales, qui consistaient en un mélange éclectique de styles traditionnels survivants de Sukhothai, hérités d’Angkor, et emprunté aux styles artistiques des XVIIe et XVIIIe siècles du Japon, de la Chine, de l’Inde, de la Perse et d’Europe, créant un monde riche et unique et l’expression d’une culture cosmopolite qui jettera les bases de la fusion de styles d’art et d’architecture populaires.
Plus au sud s’est développé la nouvelle ville de Bangkok, dont les architectes et constructeurs se sont inspirés du modèle urbain d’Ayutthaya, laquelle est aujourd’hui l’une des zones urbaines les plus vastes et cosmopolites du monde.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Mai 2022
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