Le parcours de cette étape de 200 km a été conçu pour réserver cette journée aux équipes de sprinteurs, ces derniers n’étant pas à la fête depuis le début de ce tour particulièrement difficile pour eux. Sauf que sur les côtes de la Montagne noire, ils vont devoir contrôler les attaques du jour car ils sont nombreux ceux qui n’ont encore rien gagné et qui ont peur de tout perdre. Une étape disputée donc, propre à une surprise.
Pour les suiveurs du Tour de France contemporain, avant la journée de repos du lendemain à Carcassonne (Aude), c’est l’occasion de prendre le temps de découvrir Rodez, capitale de l’Aveyron, 48 000 habitants avec l’agglomération. Lors des Tours de France précédents, les suiveurs se plaignaient de ne rien trouver dans ces régions et villes qui semblent désertées par l’architecture contemporaine. En apparence seulement et les Ruthénois (habitants de Rodez, les Rhodésiens sont ceux de l’ancienne Rhodésie…) montrent que l’architecture peut être, ici, aussi audacieuse sinon plus que celle de la capitale.
Rodez est sur un piton dont la montée se mérite. Les suiveurs seront donc arrivés la veille où les attendait une chambre à l’hôtel Le Broussy, fréquenté jadis par le poète Antonin Artaud lors de son séjour à l’asile psychiatrique de Paraire. Le matin, rendez-vous est pris donc au Café Broussy au style Art déco où vient les rejoindre Jacques Lacombe, architecte régional de l’étape qui va les accompagner en ville dans la visite de quelques-unes de ses réalisations. Pour une fois, les suiveurs ont le temps de faire la promenade à pied. Allez, un petit-déjeuner léger et c’est parti.
Après le Musée Soulages de RCR, visite certes incontournable mais déjà connue et publiée dans le monde entier, se rendre juste en face pour découvrir le Centre culturel et Archives départementales de Rodez, un ouvrage livré en 1991 par Jacques Lacombe et feu Michel De Florinier avec qui l’agence fut développée.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y avait là une caserne de gendarmerie avec, à l’arrière, le bâtiment pour la troupe – il a disparu – et, devant, deux petits bâtiments correspondant aux logements des officiers qui ont été conservés ainsi que l’espace de la grande cour. Le parti pris de l’architecte a été de couvrir cette cour d’une verrière, « comme une grande feuille dressée vers le ciel », indique Jacques Lacombe. « En la couvrant, cette cour sans qualité est devenue un lieu. Plein nord, il n’y a pas de problème de surchauffe », dit-il.
De fait, pour un bâtiment d’archives, celui-ci n’offre pas l’image d’un édifice opaque et fermé comme c’est généralement le cas.
Au fil de la promenade, apprend-on que l’homme de l’art a fait ses études à Paris, où il a rencontré son épouse. « Elle voulait descendre, on est descendu », dit-il. Rodez, pourquoi pas, d’ailleurs la qualité de vie n’empêche pas l’ambition architecturale. « Je propose mes projets franco, ça passe ou ça casse. Cela m’a valu de manger beaucoup de pâtes mais j’ai passé ma vie à rêver et à gagner ma croûte et je suis encore là pour en parler », se marre Jacques Lacombe. « L’agence aurait pu grossir mais je ne voulais pas courir après les affaires, je préfère aller jusqu’au bout de chaque projet. Chacun d’eux est toujours très long, avec de nombreuses contraintes, alors autant faire ce qu’il te plaît et si les maîtres d’ouvrage n’ont pas d’atomes crochus avec moi, il y a plein d’autres architectes ».
Nous voici arrivés au siège social RAGT, un groupe fondé en 1919 par des agriculteurs aveyronnais (Coopérative Agricole Rouergue-Auvergne-Gévaudan) qui développe aujourd’hui deux métiers complémentaires avec l’objectif d’apporter des solutions innovantes aux agriculteurs : RAGT Semences et RAGT Plateau Central.
A la fin des années 90, une nouvelle structuration de l’entreprise permet au groupe de commander un bâtiment neuf pour son siège social, ouvrage livré en 1997 par Jacques Lacombe et Michel de Florinier.
« Quand je suis allé sur le site, j’ai vu un terrain en forme de cœur. En épousant (rires) le terrain, le projet était fait en deux jours », explique-t-il. Lui tenait à un accès accueillant et à « planquer » les voitures. L’immeuble se développe en arc de cercle en belvédère sur le site côté sud. L’autre façade, côté nord, referme un jardin en contrebas surmonté d’une résille métallique. Outre le fait de donner une échelle au jardin, ces larges membrures ramènent la lumière naturelle et le soleil dans ce jardin au nord.
Comme quoi, avec un bâtiment à l’architecture innovante, très aéré et lumineux, étudié pour le bien-être du personnel, l’image de marque de la société maître d’ouvrage ne s’en porte pas plus mal, ni même un jardin au nord…
Remonter tranquillement jusqu’à la Place d’armes, repasser devant Le Broussy et, une fois au bout du jardin, prendre la rue Béteille, descendre environ 400 m et découvrir, à droite, la Clinique Saint-Louis, livrée en 2011 et, à gauche, la Maison Commune Emploi Formation, livrée elle en 2014.
Le projet de la clinique Saint-Louis avait pour but de regrouper plusieurs activités médicales sur trois plateaux distincts : un plateau laboratoire d’analyses de biologie médicale ; un plateau de radiologie indépendant (relié à la clinique par un souterrain) ; un plateau de chambres individuelles en complément de l’hébergement actuel de la clinique.
La composition permet de créer des séquences dynamiques le long de la rue Béteille, sans pour autant créer de pastiche. Le rythme et la forme des percements sont : obliques et très fins pour ventiler et éclairer le stationnement sans que celui-ci ne traduise sa présence en façade, trapézoïdaux pour éclairer en profondeur le laboratoire, verticaux au niveau des salles d’attente et des petites pièces d’examen du plateau de radiologie, façade vitrée en retrait sur une longue terrasse pour les chambres du dernier étage, claustra verticale pour les salons de la clinique à l’angle sud-ouest du bâtiment.
« Nous avons ainsi créé une composition volumétrique variée comme on peut la trouver en amont et en aval de la rue, bâtis juxtaposés dans l’espace et dans le temps dans des gabarits similaires. Tous ces volumes sont en béton, revêtu d’un enduit à la chaux dans la tonalité des grès de la cathédrale créant des nuances et non un aplat, souligné par le calepinage des éléments coffrés », conclut l’architecte.
De là, à un jet de pierre, découvrir la Maison Commune Emploi Formation (MCEF), un bâtiment de bureaux pour les organismes chargés de l’emploi et centre de ressources livré en 2012.
Le parti pris sculptural retenu par l’agence renforce le statut public de l’édifice qui suit la pente de la rue et rattrape les différences de niveaux entre les deux constructions. L’édifice se distingue par ses deux volumes parallélépipédiques, de grandes portées et en porte-à-faux sur l’espace public. Ils sont revêtus d’un zinc prépatiné, un aspect de surface qui offre de la profondeur et signe cette architecture épurée.
« La logique de fragmentation permet de baigner l’îlot de lumière naturelle, un véritable enjeu pour le confort visuel de l’ensemble des occupants. Cette fragmentation ouvre des failles et des percées qui ménagent une profondeur au sein même du bâtiment. Deux boîtes, reposant sur une structure en acier, se détachent ainsi suivant la pente de la rue pour créer des perspectives plus ou moins lointaines au travers du bâti », révèle l’architecte. Un monolithe ouvert au public en somme.
Jacques Lacombe invite à poursuivre encore un peu. Après avoir traversé le viaduc, une fois dans le grand mail de Bourran, la première chose que l’on voit est l’école François Mitterrand livrée en 2016.
Le groupe scolaire de Bourran compte sur 1804 m² une école maternelle et primaire et des espaces de restauration. « Le but était d’occuper l’ensemble de l’îlot bordé par les quatre rues de façon à se donner l’espace nécessaire pour que l’ensemble du programme soit de plain-pied », explique Jacques Lacombe.
Ainsi, le « plateau » à niveau à l’arrière, côté accès, se retrouve en balcon le long du mail, les cours s’ouvrant ainsi à la hauteur des feuillages des arbres, loin de la nuisance de la circulation routière en contrebas.
Le sous-sol ainsi dégagé a permis d’installer tous les forages profonds destinés à la géothermie qui chauffe et rafraîchit l’école.
Mais il ne faut plus tarder, remonter donc un peu pour retrouver le siège social de Verdié Voyages, lui aussi livré en 2016.
« Ce ne sont jamais que des aventures humaines, l’architecture te permet de les vivre », indique Jacques Lacombe à propos de ses projets. Pour un architecte qui a fait l’essentiel de sa carrière à Rodez, Aveyron, avoir un maître d’ouvrage organisateur de voyages dans le monde entier est une autre façon de vivre une aventure humaine.
L’édifice, qui semble encore flambant neuf, accueille les services de création des voyages, ainsi qu’un grand espace dédié à l’accueil et au conseil des voyageurs. L’ouvrage est enveloppé d’un revêtement noir qui joue avec la lumière, un clin d’œil à l’œuvre du célèbre peintre ruthénois Pierre Soulages avec qui la visite a commencé.
Pour finir ce tour de l’architecture contemporaine à Rodez, en rentrant vers l’hôtel, pour les suiveurs, passer par la clinique Sainte-Marie, livrée en 2007 : 3 495 m², une clinique psychiatrique 40 chambres, un centre de consultation externe et un hôpital de Jour.
Sur un terrain au fort dénivelé, le niveau de la voie d’accès en haut du site a été prolongé en une vaste dalle horizontale surplombant le terrain, laissant place en dessous à un parking couvert tout en offrant une plate-forme pour la construction principale. « L’originalité de la solution proposée vient du choix d’installer la partie la plus importante du projet, les quarante chambres de la clinique, à l’étage le plus élevé avec vue sur la cime des arbres, libérant ainsi les niveaux inférieurs pour une approche plus spacieuse de l’aménagement dans le centre médico-psychologique, les bureaux et les services techniques des niveaux inférieurs », précise Jacques Lacombe.
Le résultat est un bâtiment plein de surprises, où l’interaction entre les volumes en escalier et les espaces ouverts crée un environnement non conventionnel. « C’était notre objectif architectural autant que thérapeutique ; aller au-delà de la géométrie de la normalité urbaine, aider les patients peu dépressifs à composer une nouvelle vision du monde en les confrontant subtilement à une réalité différente et stimulante », souligne l’architecte en ramenant tout le monde au Broussy.
Après des remerciements chaleureux, les suiveurs ne peuvent pas reprendre la route sans déjeuner. Se rendre alors au Bowling du Rouergue sur la rocade de Rodez. L’hôtel-restaurant, ouvert presque 24h sur 24h, est désormais une institution, tenue depuis une éternité par M. Bastide. Là, l’aligot saucisse est incontournable ou encore le Couffidou d’Aubrac ou alors, en plus léger (surtout pour celui qui va devoir conduire) des Gambas flambées au Ricard. Le tout arrosé d’un Marcillac de caractère.
Enfin un café vite fait et les suiveurs doivent se dépêcher : ils ont trois heures pour doubler le peloton et la caravane et rejoindre Carcassonne et leur poste de travail à l’arrivée pour le sprint ( ?) final.
Christophe Leray (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018