Pour se projeter dans le futur, Elon Musk propose des voitures volantes et des fusées. Mais c’est en minibus que Charles Hesters et Pierre Martin-Saint-Etienne (Hemaa) ont fait voyager les journalistes pour leur faire découvrir l’école des Coteaux fleuris, à Heudebouville (Eure). Un petit équipement public ancré dans sa réalité mais qui regarde loin vers son futur. Visite.
Nous sommes en juin 2022 lorsque le minibus affrété pour la visite de ce groupe scolaire quitte la Porte Maillot, direction le bocage normand, à une heure de Paris. Nous sommes en septembre 2032 quand nous arrivons sur le parvis de l’école animée ce jour de rentrée.
La pause estivale fût propice au dernier coup de collier avant l’arrivée des enfants et leur cartable flambant neuf. A Heudebouville, la population a gagné 60 % habitants en dix ans, dans la même dynamique que les communes alentour, dont les administrés envoient aussi leur progéniture à Heudebouville. L’école maternelle et primaire de six classes livrée en 2022 fut donc agrandie.
Le maire d’alors, Hubert Zoutou, qui avait porté le projet pendant plusieurs années se souvient. « Nous avions longuement économisé pour remplacer la vieille école du village de 800 habitants qui datait de 1856 », dit-il. « Quatre classes en doubles niveaux allant de la petite section au CM2, ce n’était pas l’idéal pour les 90 élèves. Le nouveau groupe scolaire proposait alors six classes et de grands espaces de vie. Nous avons fait le pari que les gens viendraient habiter chez nous. », continue-t-il.
Une école pour 130 élèves, s’il semble modeste pour une métropole, reste un projet coûteux et complexe à mener pour de petites localités pas toujours armées pour en assurer la maîtrise d’ouvrage. La municipalité n’avait pas lésiné sur les ambitions. Un projet de construction sur cinq hectares était alors piloté par l’Agglomération à l’entrée du village pour 50 à 60 logements. « Ces nouvelles familles sont arrivées avec des enfants, nous n’avons fait que l’anticiper », expliquait l’édile à ses administrés. D’ailleurs, durant la durée d’édification de l’école, la ville révisait également son PLU afin de pouvoir construire davantage de logements, et salariait un médecin.
Si Hemaa portait le projet initial, le concours de 2018 avait été remporté avec l’agence Hesters-Oyon. Les jeunes architectes, passés par l’agence Brenac et Gonzalez, bénéficiaient de la notoriété d’une agence bien établie qui souhaitait aussi transmettre son savoir-faire avant de doucement se retirer des affaires. Dans un contexte de commande peu favorable, Hemaa candidate avec l’agence à des concours de maîtrise d’ouvrage publique : une agence aguerrie et une agence en devenir.
« Hesters-Oyon nous enseignait les rouages de la commande publique, nous apprenait les subtilités fonctionnelles des programmes scolaires, et de notre côté nous maîtrisons de nouveaux outils, et d’autres façons de concevoir le projet, autour des notions de contexte et de durabilité », explique Charles Hesters, sans détour. « Le fait de nous tenir à la rigueur de la justification nous a permis d’ajuster le projet en laissant moins de place à l’empirique », ajoute Pierre Martin-Saint-Etienne.
Pour l’expérience en biosourcé… l’architecture s’apprend aussi en faisant, cette école, construite en lots séparés par des entreprises locales, étant le premier projet en bois d’Hemaa.
L’établissement, posé la pente, se situe sur l’axe royal du village et côtoie le clocher et la mairie. Derrière lui se cache un petit projet d’urbanisme. « Il nous fallait gérer les eaux de pluie, d’où la création de noues paysagères et de bassins de rétentions pour limiter le rejet. Ainsi le projet n’a nécessité que peu de déblais », indique Charles Hesters.
Les ambitions de la ville étaient « évolutives » et « durables ». Pour anticiper l’avenir, les architectes avaient imaginé un lieu pleinement ancré dans son contexte, fait de cinq grandes maisonnées implantées en lanières sur la parcelle de deux hectares achetée par la mairie. Le plan est d’une simplicité sans faille. A chaque maisonnée de bois correspond un programme, le tout étant relié par la charpente des toitures en ardoises.
La structure en portique, par l’absence totale de point porteur intermédiaire, permettait cette évolution future et une modularité complète des locaux. Les façades et la toiture sont constituées de modules pré-assemblés hors site, associant étanchéité Air/Eau, isolant et structure. « Tout est préfabriqué, c’est un assemblage d’un grand mécano », s’amusaient alors les architectes.
Les plans avaient été validés en 3D, l’assemblage de pièces de 5 x 2 mètres avait été très rapide. L’entreprise de charpente, rouennaise, n’avait pas l’habitude que les architectes partagent en amont et en maquette les détails constructifs. Chaque maison était conçue indépendante avec ses caissons, ses portiques, ses réseaux, son système incendie et ses ardoises. Cependant, chaque portique restait unique puisque leur inclinaison varie en fonction de la pente. L’extension de 2032 pouvait alors se réaliser aisément, voire intuitivement.
Pour respecter les ambitions écologistes du maire, le béton fut réservé aux fondations, le métal étant proscrit. L’ardoise en toiture et en façade offrait le prétexte de la continuité avec l’image du village. « L’ardoise est un matériau non transformable, donc environnementalement intéressant. Elles viennent du nord de l’Espagne et sont mises en œuvre sans fixation visible, avec simplement deux clous en inox » ; lors de la livraison, les architectes d’Hemaa ne s’encombraient pas du florilège d’expressions à la mode et concentraient l’attention vers la technique architecturale.
La pénurie de matériaux couplée à la période covid les avait conduits à varianter chaque appel d’offres et à s’adapter. « Il n’y avait plus de mélèze, on a utilisé du Douglas », précisaient-ils.
La première livraison de l’agence Hemaa était aussi exemplaire d’un point de vue environnemental. Le groupe scolaire répond ainsi aux ambitions des labels E+C- ainsi qu’au Bepos. L’école, passive, a été conçue sans chaufferie et avec des panneaux solaires (discrets) sur le toit pour la production locale. Le surplus était aussi revendu à Enedis. Leur jeune âge d’alors, à peine 35 ans à l’époque, cachait donc déjà une belle maîtrise.
En 2032, l’extension a été choisie pour tester in situ une solution de stockage et de réutilisation de l’énergie en local sans passer par l’opérateur.
D’ailleurs, l’extension a été réalisée vers le fond de la passerelle en toute discrétion et en insistant sur les systèmes de noues paysagères. « Nous nous imprégnons de plus en plus de l’architecture tropicale capable de faire face à de forte température et à des pluies diluviennes », explique le binôme d’Hemaa en charge de l’extension qui a, là encore a un temps d’avance sur son époque. Les cours sont désormais recouvertes de pelouses pour augmenter les surfaces perméables et éviter le ruissellement des eaux lors des fortes pluies désormais de coutume en automne.
La ville s’étant développée autour de l’équipement, pour ses nouveaux habitants, c’est comme si ces bâtiments de bois et d’ardoise avaient toujours été là.
Après la visite de l’extension de l’école,* le bus reprit la route vers Paris telle une Delorean vers un passé qui conjuguait avec pragmatisme le futur au présent.
Léa Muller
*Découvrir cette réalisation plus avant : A Heudebouville, une école dessinée par Hemaa et Hesters-Oyon