Du 15 au 17 septembre 2022 avait lieu à Marseille la première édition du Festival de la Ville Sauvage organisé par l’association Va jouer dehors. Passés les discussions et le partage sur des questions de faire-ville, qu’en retenir ? Reportage.
Pendant trois jours, les anciens entrepôts Abitbol, à Marseille sont devenus le théâtre du festival de la Ville Sauvage, lancé à l’initiative de Va Jouer Dehors, sur le credo de faire la ville autrement et de laisser un peu de place à l’inattendu. L’événement devait aussi proposer un autre modèle de débats architecturaux, histoire de challenger un peu le Pavillon de l’Arsenal ou encore le 308. La programmation s’annonçait suffisamment riche pour ébranler un peu la stature du boulevard Morland.
C’est en 2018 que l’association a été créée, du déclic provoqué par l’effondrement dramatique des immeubles de la rue d’Aubagne* dans le quartier Noailles de Marseille. Matthieu Poitevin, architecte, enseignant et président de l’association, a saisi l’occasion pour travailler sur neuf projets avec les étudiants de l’école d’architecture de Marseille sur ce sujet. À la clé, un diplôme et une maquette exposée au Musée d’Histoire de la ville.
Cependant, l’aventure ne pouvait s’arrêter là et, après quelques balbutiements, la première édition du festival de la Ville Sauvage a pu voir le jour, annoncée en fanfare comme l’événement architectural si ce n’est de l’année, au moins de la rentrée. Une fois n’est pas coutume, c’est à Marseille, ville sans lieu de débat sur l’architecture qu’avait lieu l’événement. Un focus sur la ville dans une temporalité loin d’être anodine, deux ans après l’installation d’une nouvelle municipalité à l’Hôtel de Ville.
Au programme des trois jours, des ambitions fortes et des intervenants internationaux variés. Le festival voulait donner la parole à des acteurs et à des expériences concrètes montrant qu’il était possible de s’emparer de l’évolution urbaine et sociale de la cité phocéenne.
Le format se voulait vivant et audacieux. Pour ouvrir le bal, un banquet dînatoire pour une centaine de convives, architectes, politiques, et maîtres d’ouvrage, mais aussi artistes, chefs cuisiniers et urbanistes, animé par la chorégraphie d’une vingtaine d’invités à qui il était octroyé un temps de parole de deux minutes pour « déclamer sur la ville sauvage ».
C’est le lendemain qu’avaient lieu les tables-rondes, renommées Tandems. Des discussions entre deux intervenants complémentaires, modérés par l’omniprésent Matthieu Poitevin, le journaliste Philippe Trétiack et l’architecte et psychologue clinicienne Manuela Franzen. De quoi donner enfin un peu de grain à moudre aux festivaliers venus en nombre les écouter.
A la suite de quoi furent présentés les résultats d’une étude menée par la fondation Jean Jaurès et l’Ifop sur le ressenti des Marseillais sur la vaste question du logement dans leur ville. Le festival se posait en chantre de l’inversement du concept de ‘smart-city’ en replaçant au centre des préoccupations le citoyen. Révéler l’analyse de cette enquête précieuse après une journée de sept heures de débats est le signe d’un paradoxe regrettable.
La parole fut ensuite donnée aux étudiants d’aujourd’hui et professionnels de demain, accompagnés de leur enseignant pour susciter la curiosité de l’assemblée sur 15 micro-projets sur des sites interstitiels. Cette parole sera portée, toujours grâce à la voix étudiante, à Naples, Athènes et Marseille pour une mise en lumière.
L’intérêt du festival réside dans son invitation au voyage avec les interventions des architectes Rozana Montiel (Mexique), Ester Caro (Brésil), Giulia Perri (Perou), Anna Chavepayre (France- Suède), Julien Beller (Mayotte), ou encore de Jorge Pérez-Jaramillo ancien directeur du plan urbain de la municipalité de Medellín (Colombie). La parole a aussi été donnée à des artistes, des philosophes, sociologues pour éclairer d’un jour nouveau le débat architectural qui anime Marseille, et sans doute bien au-delà.
Moins que de l’avenir de la profession, il était bien question de faire de la seconde ville de France une priorité, le point de départ de l’expérience. Preuve s’il en fallait une, la forte présence des dynamiques adjointes au maire Mathilde Chaboche, en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville, et Olivia Fortin, au portefeuille de la modernisation.
Ouvrir des débats d’opinions de ce type permettrait de chercher « comment ne pas laisser sur le bord de la route les populations défavorisées » indique Olivia Fortin, et ainsi contribuer à « l’intérêt général, en inventant de nouvelles façons e faire pour répondre aux besoins d’une réalité différente ». Plus tard, à Mathilde Chaboche de préciser qu’il « s’agit de travailler autrement, travailler pour et par les habitants pour promouvoir une architecture plus humaine » ; elle souhaite « sortir d’une logique de prédation de la ville par les plus forts ». Après tant d’années de laisser-aller politique, le ton est donné, la ville doit avancer.
Seulement voilà, comment répondre concrètement à cette volonté de mettre un coup de pied dans la fourmilière, à disrupter le système de la construction des villes françaises qui a peu à peu été laissé aux maîtres d’ouvrage privés quand la moitié, au moins, du financement du festival est assurée par ces mêmes promoteurs ?
Car là était tout le paradoxe de cette édition. Comme à Paris, Bordeaux et Lyon, les promoteurs sont à la racine même des débats voulus par les architectes, leur donnant l’impression d’entamer une révolution nécessaire. Pourra-t-elle avoir lieu ? Les enjeux pour la ville et les politiques de la ville sont majeurs, les projets d’architecture devront avoir lieu dans tous les secteurs. Est-ce le moment de se tirer une balle dans le pied pour les architectes qui ambitionnent de reconstruire la ville ?
Faire de la ville autre chose qu’un produit financier, puisque la question était posée, ne pourra aussi pas se faire sans une réelle volonté politique, que les représentantes de la ville sont loin d’avoir sécurisée. Pour le grandiloquent plan écoles de la ville estimé à 1,2 milliards d’euros, seulement 15% des notes des offres doivent être dévolues à la qualité architecturale. Dans ces cas, les plus beaux discours un peu pêchus dans des friches à la programmation dans l’air du temps n’y feront pas grand-chose.
Pour avancer, les actes sont nécessaires et pas seulement de la part des architectes. Le festival en était les prémices.
Léa Muller
*Lire notre article Les bons comptes du logement de la rue Cambon ?