Quelle place la ville en évolution accorde-t-elle aux traces visibles et invisibles du passé ? A Phnom Penh, au Cambodge, le photographe Alban Lécuyer s’est lancé à la recherche des réminiscences de l’« urbicide » perpétré par les Khmers rouges dans les transformations contemporaines de la ville. C’était en 2015 et ce nouveau monde a déjà disparu à son tour. D’un « urbicide » l’autre ?
« L’idée même de la ville devait disparaître ». Cambodge année zéro, François Ponchaud
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Rivière Bassac et condominium Rose Garden
Phnom Penh offre l’exemple unique à l’époque contemporaine d’une capitale presque entièrement vidée de sa population. De 1975 à 1979, le régime des Khmers rouges prône la domination des paysans sur le « peuple nouveau », des campagnes sur la ville jugée décadente, occidentalisée, et tente d’instaurer une société égalitaire et rurale. Phnom Penh plonge alors dans le silence et disparaît symboliquement de l’espace cambodgien.
Rue 125
Angle des boulevards Preah Monivong & Preah Sihanouk
Ouvrier posant devant un textile réalisé à partir de motifs du condominium Rose Garden
Villa #1
Quarante ans plus tard, les réclames des promoteurs ont remplacé la propagande communiste. Les populations ne sont plus déplacées pour des raisons idéologiques mais sous la pression du marché immobilier.
Rue 63 #1
White Building, boulevard Samdach Sothearos
Ouvrière posant devant un textile réalisé à partir de motifs du centre de torture de Tuol Sleng
Aux foules horizontales condamnées aux travaux forcés dans les champs, les chantiers du développement économique ont substitué une occupation verticale du territoire.
Camko City
Dès lors, quelle forme le récit de l’urbicide, cette volonté de détruire et de nier toute urbanité, peut-il prendre dans une capitale en pleine effervescence ? Quelle place la ville en évolution accorde-t-elle aux traces visibles et invisibles du passé ?
Rue 63 #2
La série The Grand Opening of Phnom Penh convoque les réminiscences accidentelles d’une histoire encore douloureuse et peu formulée en documentant les figures ambivalentes qui animent l’espace public – la précipitation, l’absence, la tension entre les corps.
Olympia City
La ville en arrière-plan se soustrait de nouveau au regard, désormais dissimulée derrière les filets d’échafaudages et la toile désordonnée du réseau électrique.
Chantier, rue Samdech Hun Sen
Le vide et le recouvrement dessinent ici les motifs d’une architecture nouvelle, abstraite et éphémère, qui obstrue les béances de la mémoire collective pour les dévoiler davantage.
Agence immobilière, rue 282
L’invisibilité des objets met ainsi en doute la nature de l’image dans les lieux où, précisément, l’acte photographique a été détourné de sa fonction pour attester l’effacement de la ville et réduire ses occupants à des numéros d’identification.
Ouvrier posant devant un textile réalisé à partir du motif d’un moine bouddhiste visitant le Musée du génocide de Tuol Sleng
Rue 1003
À l’heure où Phnom Penh peut enfin se projeter dans l’avenir des métropoles asiatiques, la disparition symbolique du paysage pose en creux la question de l’identité. Identité d’une ville à la morphologie incertaine, encore en instance d’advenir ; identité de l’individu confronté à une esthétique de la multitude et de la saturation du champ de vision.
Alban Lécuyer
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Lire /découvrir : Ici prochainement, Sarajevo, par Alban Lécuyer Editions Intervalles