La crise du logement au Royaume-Uni fait écho à la crise du logement en France. Même causes, mêmes effets ? L’avenir est-il à la réduction des espaces de vie ? Bientôt à Londres et à Paris comme à Hong Kong ? Chronique d’Outre-manche.
La Seconde Guerre mondiale ayant détruit ou endommagé quatre millions de logements au Royaume-Uni, une grande vague de construction de logements sociaux a commencé, atteignant 300 000 nouveaux logements par an dans les années 1950. Mais dans les années 1990, les autorités locales n’en construisaient plus du tout.
En 2022, 1,2 million de personnes inscrites sur les listes des autorités locales attendaient un logement. Comme en de nombreux pays, le Royaume-Uni est confronté à une crise du logement causée par le manque de logements sociaux, le manque de construction de logements et les prix inabordables de l’immobilier. Le tout n’est pas aidé par un système de planification qui manque cruellement de ressources et manque de vision stratégique.
Les Britanniques aiment posséder leur propre maison et le pourcentage de la population propriétaire de son logement est d’environ 60 %. Mais, pour obtenir un prêt hypothécaire, il faut gagner beaucoup d’argent, ce qui est tout simplement impossible pour la plupart des jeunes. Pour autant, alors que les sans-abri sont de plus en plus visibles dans les rues, une frénésie de construction de tours de luxe « lifestyle » à la manière de Dubaï est en cours attire les acheteurs étrangers et crée un marché « d’achat pour louer » en plein essor. Les banques proposent même des prêts hypothécaires spéciaux « acheter pour louer » dans ces tours de luxe.
C’était déjà une situation folle mais, cette année, avec la hausse des taux d’intérêt, le comble est atteint. Les prêts hypothécaires sont devenus monstrueux, ils étranglent les propriétaires, et les bailleurs, leurs propriétés ne sont plus des distributeurs automatiques de billets mais des trous noirs financiers. Alors ils augmentent les loyers. Cela affecte non seulement les locataires des propriétaires privés, mais aussi ceux des « associations de logement » communautaires à but non lucratif, qui sont d’importants constructeurs de logements (nos bailleurs sociaux à la sauce anglaise. NdT). Leurs loyers sont « sociaux », jusqu’à 50 % de la moyenne du marché local, ou « abordables », soit 80 % de la moyenne locale. Avec des loyers de marché très élevés, le terme « abordable » devient une mauvaise plaisanterie, et même les loyers « sociaux » commencent à paraître antisociaux.
Le besoin désespéré de logements supplémentaires demeure. L’objectif du gouvernement est d’en construire 300 000 par an. En 2022, 204 000 ont été construits. Cela soulève trois questions : où construire, comment construire et quoi construire ? Répondre à ces questions et le Royaume-Uni pourrait progresser au-dessus de ses profondes lignes de fracture, marquées par des inégalités profondément ancrées, un schisme générationnel et un clivage ville-campagne. Cela pourrait aussi contribuer à sauver la planète.
Tout d’abord, où construire ? Le meilleur endroit est au sein d’une structure existante, évitant ainsi au carbone incorporé de se transformer en gaz à effet de serre. Le Covid a stimulé la tendance au travail à domicile, ce qui, par une étrange coïncidence, coïncide avec une vague de reconversion de bureaux en appartements. Elle fait suite à la conversion en 2018 du sublime Centre Point (1965) conçu par Seifert à Londres, mais les appartements conçus par Conran sont loin d’être abordables. Localiser de nouveaux bâtiments est une autre affaire.
Les grandes villes d’Angleterre sont entourées d’une « ceinture verte » où le développement est limité pour protéger la campagne. Les architectes doivent satisfaire à des directives strictes (« paragraphe 80 ») rien que pour concevoir une nouvelle maison rurale. Les promoteurs veulent cependant bétonner la ceinture verte et le gouvernement conservateur les écoute. Mais pourquoi ? Les villes se densifient mais peuvent aller bien plus loin en ce sens. Oui, les friches industrielles constituent une ressource limitée, y compris les marges des terrains ferroviaires qui ont connu un boom lors des récentes constructions au Royaume-Uni. Mais nous pouvons créer de nouveaux territoires, par exemple sur les toits plats des immeubles modernistes, notamment des lotissements d’après-guerre, ou sur les autoroutes urbaines.
De plus, il y a en ville de vastes territoires occupés inutilement. Par exemple, le journaliste Simon Hunt, dans le journal Evening Standard, a découvert que 131 clubs de golf occupent à Londres une superficie stupéfiante de 44,5 km² (soit quasiment la moitié de la superficie de Paris. NdT). Il a proposé pour ces déserts de biodiversité un mélange de ré ensauvagement et de logements à haute densité.
Et puis il y a les banlieues tentaculaires elles-mêmes qui, au Royaume-Uni, comptent des rues interminables de maisons individuelles ternes. Je reviendrai plus tard sur cette question cruciale.
De toute évidence, le Royaume-Uni doit construire rapidement, de manière durable, économique et en grande quantité. Cela nécessite une construction modulaire utilisant des composants fabriqués hors site. Les logements Crofts Street de RSHP à Cardiff (2021), une terrasse de neuf maisons de ville avec des performances carbone positives, sont un brillant exemple qui coche toutes les cases. Le Royaume-Uni a certes besoin de maisons comme celles-ci mais il a encore plus besoin de nouveaux immeubles construits selon des normes similaires. Pour cela, nous devons réduire notre idée de ce qu’est un espace de vie confortable.
Les statistiques gouvernementales montrent que la surface habitable moyenne au Royaume-Uni a fortement chuté, passant de 105 m² en 2016 à 88 m² en 2021. La taille des familles diminue, les célibataires sont en augmentation mais à Hong Kong, les familles de trois personnes vivent dans des appartements d’une superficie moyenne de 45 m² et les célibataires dans 15 m². Leurs « nano-appartements » ne sont pas aussi petits que les logements proposés aux prisonniers ou aux réfugiés au Royaume-Uni. Les conditions de vie des 500 réfugiés hébergés par le gouvernement anti-immigration dans une barge reconvertie appelée Bibby Stockholm ont suscité un tollé. Le mois dernier (août 2023. NdT), il a été évacué par crainte de propagation de la légionelle.
Pour autant, il existe déjà des typologies proposant de petits espaces de vie, sûrs et bien plus agréables. L’hébergement à l’hôtel est temporaire mais les résidences universitaires sont des lieux de vie. Les dortoirs étudiants de grande hauteur, inventés au Royaume-Uni, font leur apparition dans les villes du pays, et à Londres et à Manchester, des tours atteignant plus de 100 m sont en préparation. Les étudiants attendent de l’intimité et des salles de bains privatives, ce qu’ils obtiennent dans des chambres parfois aussi petites que 12,5 m². Les « chambres studio » sont deux fois plus grandes et comprennent des équipements de cuisine. Les nouveaux bâtiments offrent de toute façon des cuisines communes et des installations allant des buanderies aux piscines.
La pénurie de logements étudiants au Royaume-Uni n’en demeure pas moins mais le boom des étudiants étrangers, ceux venant de Chine notamment, ne durera pas éternellement, et il y aura probablement de nombreuses chambres d’étudiants vides. S’ils sont mis sur le marché du logement, la demande pour ces micro-appartements avec vue sur la ville et équipements pourrait être forte. Au moins, ils servent de modèle pour de nouvelles maisons de ville qui devraient être véritablement abordables. Les construire de manière flexible afin que les unités adjacentes puissent fusionner permet aux familles de participer au mélange.
Les nouveaux logements de masse offrent également une fantastique opportunité de développer l’agriculture urbaine sur les toits, en apportant la source de nourriture dans la ville et en engageant les résidents à la cultiver, tout comme les personnes qui possèdent des jardins familiaux (petites parcelles louées, populaires au Royaume-Uni). Des arbres et des prairies devraient également être plantés autant que possible. Dans l’ensemble, la superficie plantée ou cultivée d’un bâtiment pourrait être égale à son empreinte au sol.
Le Royaume-Uni pourrait réformer son marché immobilier et rétablir le logement social comme priorité absolue mais il se heurte en fin de compte au mur des inégalités. Même les gens bien payés rencontrent désormais des difficultés à se loger en ville. Mais il existe une classe qui n’a pas de soucis d’argent, constituée en grande partie d’électeurs conservateurs bien établis pour qui le golf et les grandes maisons sont des droits.
Cette vieille garde suffisante, confortable, conduisant un SUV et adepte du Brexit, s’étend dans les banlieues éloignées. Elle ne se soucie ni de la planète ni des gens. Elle a saccagé le monde pour les jeunes générations et maintenant elle leur refuse le droit d’avoir un chez-soi. Il faudrait probablement une révolution pour les dépouiller de leurs terres.
Herbert Wright
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