Ethel Hazel, psychanalyste, est de plus en plus perturbée par Dubois l’architecte qu’elle suit en thérapie depuis plusieurs années et qu’elle sait être un tueur en série. « La peur est un puissant aphrodisiaque », se dit-elle. Elle se demande ce qu’en penseraient ses professeurs. En attendant, Dr. Nut et Aïda poursuivent, déterminés, leur enquête.
***
« Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne contienne en germe, dans son sein, le principe de sa dissolution ».
Eugène Viollet-le-Duc
***
Ethel Hazel, une pile de livres sur son bureau en attendant l’architecte relit ses notes. Elle a bien trouvé une abondante littérature académique autour de l’histoire de la Belle au bois dormant mais dans une approche concernant seulement les enfants ou les adolescents et la Belle finit par s’éveiller à la vie. Or si, à l’inverse, Dubois conserve les corps, comme elle le présume, elle est maintenant convaincue qu’elle serait la première à décrire un tel syndrome : au lieu de les réveiller, Dubois les endort les belles. Dubois l’architecte, une sorcière ? Une fois de plus, lui traverse l’esprit le succès qu’aurait son article dans les meilleures revues scientifiques, avant le livre, puis le film à Hollywood… En attendant tout reste à faire et Dubois est encore loin de lui avoir livré tous ses secrets. Et comment doit-elle répondre à son invitation d’un nouveau dîner ? Est-elle prête à une nouvelle « expérience » ? Est-ce nécessaire si elle veut l’article, le livre, le film ? Au contraire cela ne les rendrait-il que plus vendeurs ? Y survivra-t-elle à nouveau ? Elle en est là de ses réflexions quand…
Ding dong
L’architecte entre d’un pas guilleret et, après l’avoir saluée, en posant son casque et ses gants, note la pile de livres sur le bureau. « Un projet de recherches », demande-t-il aimablement ? « Disons cela comme ça », répond-elle sur le même ton.
Installé sur le divan et avant même qu’elle n’ait le temps de poser la moindre question, Dubois, animé et avec une lueur espiègle dans le regard, l’interpelle.
L’architecte – Au fait, dites-moi, avez-vous entendu parler de Rex Heuermann ?
Ethel Hazel (confuse) – Heu… Rex…
L’architecte – Rex Heuermann.
E.H. (vraiment confuse) – Non, ce nom ne me dit rien. Pourquoi m’en parlez-vous ?
L’architecte (excité) – Parce que figurez-vous que c’est le nom d’un type qui est architecte ET tueur en série. Il a été arrêté cet été à New York, à Long Island, là où vivent les New Yorkais ni trop riches ni trop fameux. Un truc incroyable : architecte à New York, pas loin de la cinquantaine, divorcé, deux enfants, un garçon une fille. Ce pourrait être moi à Paris !
E.H. (encore plus confuse) – Comment épelez-vous son nom ?
L’architecte (satisfait de son effet) – Rex : R.E.X. Heuermann : H.E.U.E.R.M.A.N.N.
E.H. (ne sachant si c’est du lard ou du cochon, elle note consciencieusement le nom sur son carnet, pour pouvoir aller vérifier ensuite. De la façon la plus naturelle possible) – Un tueur en série, dites-vous ?
L’architecte (qui exulte) – Exactement, et pas n’importe lequel. Il est soupçonné du meurtre d’une dizaine de femmes sur une période de plus de vingt ans ! Pouvez-vous croire une chose pareille ?
E.H. (« Et comment que je peux le croire », pense-t-elle en regardant Dubois, qui ne la voit pas. Elle tente de garder ses esprits : est-il en train de parler de lui-même ou d’un autre ? le cœur battant) – Et comment les tue-t-il, ce Rex, cet architecte-roi ?
L’architecte (presque triomphant) – C’est là que toute comparaison avec moi s’arrête.
E.H. – Pourquoi ?
L’architecte – Parce que ces femmes qu’il tue sont toutes des jeunes prostituées, des pauvresses en somme, sans doute alors heureuses de penser avoir tiré un gros lot avec un architecte de ‘Downtown’. En réalité, on retrouve les corps des filles, battues à mort, les mains liées dans le dos. Certains ne sont plus en entier. C’est terrible. Comment quiconque peut-il faire une chose pareille ?
E.H. (« Parce qu’avec toi par contre, ce ne sont pas des pauvresses », se dit-elle. Ayant du mal à contenir son cœur.) – Où sont retrouvés les corps ?
L’architecte – C’est là où l’histoire devient incroyable, tous les corps sont retrouvés sur la même plage de Long Island. Tous les tueurs en série ont leur routine parait-il mais celui-là semble aimer la plage, une plage pas très loin de chez lui d’ailleurs, il va peut-être s’y baigner avec ses enfants !!! Bonjour les souvenirs enterrés dans les châteaux de sable !!!
E.H. – C’est important pour vous qu’il s’agisse d’un architecte ?
L’architecte – Et comment, en tant qu’architecte moi-même je conçois assez bien comment un confrère ou une consœur pourrait péter un câble et plutôt que d’aller noyer son chagrin dans un bar louche ou devant TF1 ou CNews en vienne à tuer quelqu’un pour se passer les nerfs. Je suis désolé pour ces jeunes femmes qui ne méritaient certainement pas ce qui leur est arrivé, la façon dont ça leur est arrivé surtout, mais un architecte super stressé n’est peut-être pas un bon client le soir où il vient de perdre un gros concours alors que son banquier lui met la pression.
E.H. – Vous lui trouvez donc des excuses à ce… ce Rex…
L’architecte (pensif) – Des raisons plutôt que des excuses, sachant que la raison de chacun est son domaine propre. Je suis allé voir le travail de son agence à ce Rex Heuermann. Rien de spécial, il est l’un des milliers d’architectes de New York, comme Paris compte des milliers d’architectes plus ou moins médiocres qui vivent de leur métier, sachant qu’ils ne laisseront finalement pas de traces, ni même parfois de souvenir dans l’esprit de leurs clients. Je n’en sais rien mais peut-être que ce Rex Heuermann se rêvait en Pritzker, l’équivalent du prix Goncourt de l’architecture ? Peut-être rêvait-il d’un séjour au Japon sans avoir jamais oser y emmener sa femme et ses enfants ? Peut-être sa femme, celle dont il a divorcé, n’en avait rien à battre de ses espoirs d’architecte ?
E.H. (avec un fond de méchanceté dans la voix mais elle s’en veut immédiatement de laisser paraître ses émotions) – Cela justifie donc ses actes selon vous ?
L’architecte (qui se veut apaisant) – Non bien sûr, surtout en ce monde déjà bien cruel, mais je vais vous donner un exemple. Je connais un architecte qui a passé plus de dix ans sur un difficile projet de réhabilitation d’un collège en banlieue, pas riche la banlieue. Il n’a connu qu’un maître d’ouvrage, l’État, mais représenté au fil des affectations de fonctionnaires par une kyrielle de gens différents plus ou moins motivés, plus ou moins compétents et, pour quelques-uns d’entre eux, de vrais cons, il faut le dire. Le temps du chantier, des entreprises ont disparu, d’autres sont arrivées. Dix ans plus tard, il n’y avait plus que mon ami l’architecte pour connaître les tenants et aboutissants du projet et, les honoraires bouffés depuis longtemps, pour le mener à son terme. Il a fini par livrer un projet formidable, vraiment, plein de bonnes idées mais entre-temps sa femme est partie avec les enfants et du fait des délais de paiement de l’État, il a connu de grosses galères financières tant pour l’agence que pour lui-même, les deux allant ensemble. Je me souviens de toutes ces années inquiètes qu’il a vécues et de sa fierté finale, quand bien même personne ne l’a félicité en rien. Maintenant, si six mois avant la livraison, un nouveau fonctionnaire imbécile était apparu pour lui faire la leçon, je ne suis pas sûr que mon pote n’aurait pas pété un câble. Et je suis sûr qu’à New York, au prix du loyer, Rex Heuermann devait connaître de ces moments de profonde détresse.
E.H. (péremptoire) – Ce qui ne justifie pas ses actes.
L’architecte (irrité) – Je ne justifie pas, j’essaye de comprendre. Je crois que ce qui le distingue, en tant qu’architecte, est sa violence et sa méchanceté, comme si en battant et tuant ces femmes il exprimait une volonté de vengeance mauvaise. Ce n’est en effet pas la vocation habituelle d’un architecte. Pour autant, vous savez, les architectes, et avec eux les gens un peu originaux, rencontrent souvent des gens méchants. Peut-être que comme un chien battu et accablé de méchanceté, Rex ressentait de temps en temps le besoin de mordre à son tour et de se montrer plus méchant encore, mais contre les faibles cela va de soi.
E.H. (la thérapeute sait que la méchanceté est un habitus, une manière d’être pour un individu. Dubois, dans sa manière d’être et d’étouffer presque gentiment ses victimes est-il méchant ? Elle en a fait l’expérience et non, il n’est pas méchant stricto sensu. Pour autant, en tuant en série lui aussi, n’est-il pas d’une méchanceté inouïe ? Selon un certain Karl Krauss dont elle a lu un essai, « l’usage exige qu’un sadique reconnaisse le meurtre mais non pas le plaisir ». Dubois, qui en somme reconnaît le plaisir mais pas le meurtre, ne fait-il pas exactement l’inverse ? « Il est même l’opposé d’un sadique », ne peut-elle s’empêcher de penser en frissonnant intérieurement) – Je ne vois pas en quoi être architecte est un facteur ici. Il y a déjà eu plein de tueurs en série, et aucun n’était architecte. Vous vous cherchez des excuses.
L’architecte – Certainement pas, et puis nous parlons de ce type à New York, pas de moi.
E.H. (doit en convenir. Elle se souvient que « le méchant » ne veut pas le mal en général mais la souffrance d’un être en particulier. En ce sens encore, Dubois n’est pas méchant, il ne connait pas « la joie gratuite de faire souffrir ». En plus, il doit être persuadé de faire l’inverse, de faire plaisir. À cette évocation, son corps lui indique que son esprit n’est peut-être pas loin de la vérité. Cachant sa confusion) – Et vous, des câbles, vous en pétez souvent ?
L’architecte – Non, péter un câble c’est être hors de contrôle et, pour ce qui me concerne, mon métier et mes hobbies me l’interdisent. Cela dit, ce n’est pas tant à moi que je pensais mais à vous.
E.H. (sur la défensive) – Que voulez-vous dire ?
L’architecte – Je me dis que ce Rex Heuermann, en bon New Yorkais, devait avoir un psy. Ou peut-être n’en avait-il pas justement. Mais s’il en avait un ou une, celui-là ou celle-là va toucher le jackpot en étant le premier ou la première à décrire le syndrome du « Tueur de la plage ». Cela ferait un bon article scientifique dans votre domaine, n’est-ce pas ?
E.H. (plus sèchement qu’elle ne l’aurait souhaité) – Que voulez-vous dire ?
L’architecte (ironique) – Après une affaire américaine comme celle de ce Rex Heuermann, avec tous ces corps qui s’accumulent sur la plage comme des méduses épuisées, plus personne ne croira mon histoire française et toutes ces horreurs que l’on me prête.
E.H. (réalisant ce que dit Dubois. Adieu veaux, vaches, cochons en effet…. De fait, personne n’aime les histoires réchauffées. Elle s’en veut immédiatement de cette pensée vénale. Surtout, inquiète, elle se demande si Dubois a lu dans ses pensées de gloire et de fortune… grâce à lui. Coupante) – Et si ce n’était pas votre histoire qui intéresserait quiconque mais la mienne ?
L’architecte (qui l’imagine en héroïne courageuse, torturée, etc.) – Pourquoi pas ? Qui sait à qui il appartiendra de l’écrire… À la police ? À Dr. Nut peut-être ?
E.H. (plus perturbée que jamais) – je ne vois pas ce que …
DRINNNN, DRINNNN
Décontenancée, Ethel Hazel ne peut s’empêcher de s’exclamer : « Ha, c’est la fin de la séance ». « Tout à fait », répond Dubois courtoisement, déjà levé. Au moment de payer, alors qu’Ethel demeure silencieuse, « avez-vous réfléchi à ma proposition d’un nouveau dîner », lui demande l’architecte d’une voix basse. Le cœur d’Ethel fait un bond et, sans regarder Dubois, tandis qu’elle sort le ticket de la machine, répond avant d’avoir eu le temps de réfléchir : « J’y pense », dit-elle. « Parfait », dit-il.
Le temps qu’elle réalise ce qu’elle venait de dire, elle entendait se fermer la porte de son cabinet, l’architecte déjà parti.
(À suivre…)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
DANS LE BUREAU DE DR. NUT, LUNDI 19H07
La semaine a été harassante mais, d’une certaine façon, enrichissante. Dr. Nut, ayant échoué à trouver un nouvel indice d’une planque de l’architecte, avait décidé de changer son angle d’attaque. Pourquoi Gina, pourtant morte il en est sûr depuis quatre ans, réapparaît à Turin comme si, pour citer les collègues italiens qui l’ont vue, « elle avait été tuée hier » ? Le syndrome de la Belle au bois dormant, avait dit Ethel.* OK, d’accord, mais alors comment l’architecte s’y prend-il pour conserver les corps ? Le policier a donc passé une étrange semaine à lire tout ce qu’il pouvait sur les momies – les momies égyptiennes, les momies incas, les momies celtes des tourbières, toutes sortes de momies – il est même allé au Louvre pour se faire une idée, au musée des sciences naturelles il a discuté avec des experts, tout ça pour apprendre que pour conserver un corps, il n’y avait rien de mieux que le froid. Quoi, Dubois les garderait sur la glace, comme un plateau d’huîtres ? Avec du citron ? L’inspecteur en est là de ses réflexions quand il s’aperçoit qu’Aïda est arrivée et le regarde étrangement. La voir lui redonne le sourire.
« Bonsoir Patron ! »
« Bonsoir Aïda, donnez-moi une minute. Une bière ? »
(Il m’attend pour boire sa bière se dit la jeune flic. Mais cela fait des jours qu’il fait chaud et finalement, avec les gars, elle a appris à apprécier une bière fraîche de temps en temps) « Pourquoi pas », dit-elle (sachant qu’elle lui fait plaisir).
Après s’être rafraîchis, une longue goulée pour lui, une petite pour elle, tous deux cachant leur impatience (Aïda se demande bien pourquoi mais cela lui rappelle la tension qu’elle sent dans l’équipe à propos de cette affaire), « je vous écoute », dit-il enfin.
« Concernant l’enquête sur les vêtements que portait Gina** quand on a retrouvé son corps, j’ai consacré cette semaine à son pull. En voici la fiche technique », dit Aïda, d’une voix ferme, en tendant sa feuille au policier.
Fiche technique des vêtements portés par Gina Rossi le jour de la découverte de son corps
Nature du produit : Pull
Marque : Les Petites…Paris
Couleur : Noir
Taille : S
Description : Pull en cachemire col rond
Matières : 100 % cachemire
État du produit : Très bon état
Autres indications notables :
Aïda laisse le temps à l’inspecteur de prendre connaissance des caractéristiques du pull avant de commencer son exposé. (Elle ne veut pas décevoir Dr. Nut comme la semaine dernière***, alors elle a pris le temps de construire plus soigneusement l’argumentaire de ses découvertes). D’un regard, le policier l’incite à reprendre.
« Le pull que portait Gina est à nouveau un joli basic : un pull noir à col rond en cachemire. Gina a décidemment le goût de la sobriété et des belles choses. Taille S, elle le porte près du corps et, cette fois-ci, il n’y a aucun doute que cela soit celui d’un homme, c’est bien le sien.
Sur une des photos fournies par la police italienne – noter d’ailleurs qu’ils ont fait un bon travail de photographie, j’ai plein d’images, puisqu’à l’intérieur du pull, juste sous le col, j’ai pu déceler une belle étiquette large et blanche. Au microscope, j’ai fini par découvrir la marque, avec une typologie noire : Les Petites… Juste en dessous, écrit en plus petit, un sous-titre : Paris ».
Aïda, fière de son indice, marque un temps d’arrêt, pour voir l’effet de son info. Dr. Nut demeure cependant impassible mais, à nouveau, l’invite du regard à continuer.
« Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai concentré mes recherches là-dessus. Les Petites.. Paris est une marque de prêt-à-porter créée à Paris dans les années ‘90. Ses collections, caractéristiques, sont résolument parisiennes : élégantes, intemporelles et modernes. Encore une fois, à l’image de notre Gina », explique Aïda.
Le policier note avec plaisir le « notre Gina » qui montre l’intérêt et l’implication de la jeune fonctionnaire pour son enquête. Aïda, le nez dans ses notes, n’a pas remarqué la lueur de satisfaction dans l’œil de son supérieur et poursuit un ton au-dessus sans s’apercevoir que, excitée par ce qu’elle sait, le rythme de son débit s’accélère.
« Cependant, la marque a rapidement connu le succès et des boutiques ont ouvert partout à Paris mais aussi dans de grandes villes françaises : Rennes, Aix, Toulouse… Je n’ai pour autant pas trouvé la trace d’un revendeur en Italie. Aussi, Gina a très probablement acheté ce pull au mieux à Paris même, au pire en France, mais certainement pas en Italie », dit Aïda.
Cela non plus n’a pas l’effet qu’elle attendait sur Dr. Nut mais elle voit bien en revanche qu’elle a toute son attention. Du mutisme de l’inspecteur, elle comprend cependant qu’il lui faut maîtriser ses émotions. Parlait-elle trop fort, se demande-t-elle, inquiète ? Pour retrouver sa composition, elle boit une goulée de bière, prend une grande inspiration…
« Ce n’est pas tout ! Dans mes recherches, j’ai fait une autre découverte : la marque semble ne plus exister. En effet, plus de site internet, plus d’activité sur les réseaux sociaux, et après vérification, plus aucune boutique à Paris. Tout a disparu. Surtout, hasard ou pas, la toute dernière publication de la marque sur les réseaux sociaux, sur Instagram en l’occurrence, date du 10 décembre 2019. Après cette date, plus rien !!
Sur ma lancée, j’ai fini par retrouver la fondatrice de la marque. Figurez-vous qu’elle est aujourd’hui « chargée immobilière ». Fini pour elle le temps de la mode, des collections et des pulls en cachemire ! J’ai eu beau chercher je n’ai trouvé aucune information sur la raison de fermeture de la boîte mais une chose est sûre, il n’y a aucune trace d’une collection après l’automne-hiver 2019. Pour conclure, je crois que le pull de Gina n’a pu être acheté qu’en 2019 ou avant et ce très probablement à Paris ».
Cette fois, Dr. Nut ne put s’empêcher de sourire. « Merci Aïda, très bon travail mais il ne faut surtout pas s’emporter. Elle aurait pu emporter son pull en Italie quatre ans plus tard, cela ne fait qu’une présomption supplémentaire, à un faisceau déjà bien fourni ».
« Certes, mais une dernière remarque Patron, car un détail, et pas des moindres, m’avait échappé. En relisant à nouveau le dossier de Gina – et moi qui croyais déjà le connaître par cœur – j’ai enfin percuté qu’elle a été retrouvée, à Turin, le 8 août 2022 ».
Dr. Nut, qui lui aussi connaît le dossier par cœur : « ce n’est pas une info ».
Pour le coup, c’est Aïda qui prend le temps de finir sa bière. « Les collègues italiens sont de très bons photographes mais, pressés sans doute comme nous le sommes tous ici ou là-bas, n’ont pas trop cherché à comprendre le mystère de la date de son décès. Cependant, avec ce que je sais déjà – ou crois savoir de Gina – je peux quasiment affirmer, vu les vêtements quelle portait, qu’il n’y a aucune chance qu’elle eût été vêtue si chaudement à Turin ou même à Paris en plein été ! Je ne sais pas si c’est une preuve ou une présomption mais, pour ce qui me concerne, c’est une certitude, voire une conviction : elle porte un pull qu’elle n’a pu acheter qu’à Paris et qui se porte en automne, pas en été ».
« C’est en effet un élément presque tangible, on ne peut rien prouver mais on peut expliquer », lui répond Dr. Nut, amusé. « D’ailleurs qu’elle conclusion en tirez-vous ? », demande-t-il.
Aïda s’était posée cette question. « Deux choses. La première est qu’au début j’étais furieuse contre les Italiens, comment n’avaient-ils pas vu un élément aussi flagrant que des vêtements peu en phase avec la saison ? Puis j’ai réalisé que j’ai moi-même failli passer à côté et, d’évidence, pas que moi dans le service ».
« Et la deuxième ? », demande Dr. Nut, accusant le coup.
Cette fois Aïda prend le temps de répondre. « Cela signifie également, à mon sens, que même si comme c’est probable c’est son assassin qui l’a rhabillée, à part l’imper peut-être****, ce sont bien ses propres vêtements qu’elle portait le jour de la découverte de son corps et, sans doute, je jour de sa mort ».
Dr. Nut demeure silencieux, pensif, Aïda le voyant soupeser ces nouveaux éléments dans sa tête. « Très bien », dit-il finalement, indiquant ainsi en avoir fini.
« Patron, j’ai une requête », reprend pourtant Aïda.
L’inspecteur, surpris, regarde sa montre, il est déjà 20h30 passé, le service est presque vide. « Oui ? »
Espérant ne pas rougir, Aïda se lance : « Alors voilà, vous m’avez donné vos notes à propos de Gina mais je n’ai toujours pas accès au dossier complet de Dubois. Je crois que je serai plus efficace si j’en sais plus sur lui ».
Dr. Nut soupire, (comme un ours face à l’essaim qui l’empêche de s’emparer du miel, se dit Aïda). « Vous avez raison », dit-il enfin, et il sait à ce moment-là qu’il lui faudra alors dévoiler sa liaison avec Ethel Hazel, et impliquer Ethel à un moment ou un autre dans le travail d’Aïda. Il soupire à nouveau, se lève et d’un casier sort un volumineux dossier sobrement intitulé « Dubois ». D’un geste un peu las, il le pose devant Aïda, sans la regarder.
« Je dois partir » dit-il, « bonne lecture ».
Et, comme ça, il était parti et Aïda s’aperçoit qu’elle est désormais seule dans le service, le gros dossier Dubois lui faisant de l’œil. Sans trop savoir pourquoi, elle se lève et se dirige vers le frigidaire du patron. En l’ouvrant, elle trouve des bières, beaucoup, toutes les mêmes, une bière danoise, et rien d’autre. Surprise elle-même, elle attrape une canette, se rassoit, la décapsule après avoir longuement nettoyé le dessus, prend une longue goulée pour se donner du courage puis attrape le dossier. Elle regarde sa montre, il est déjà presque 21h. Bon, personne ne m’attend se dit-elle et, le cœur battant, elle ouvre le dossier, qui alors lui paraît énorme.
(À suivre…)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
*Lire l’épisode L’architecte en garde à vue – Épilogue (Saison 5)
** Pour savoir qui était Gina, lire les épisodes Le temps qui ne passe pas vite, meilleur allié de l’architecte ? (Saison 4) et L’architecte en garde à vue – Le fantôme de Gina (Saison 5)
*** Lire l’épisode Pour Dubois l’architecte, aimer, son métier et plus si affinités, est bien le moins (Saison 6)
**** Lire l’épisode Pour Dubois l’architecte, avec la routine, y a-t-il encore une première fois ? (Saison 6)
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