Un discours politique ne fait pas une politique. Celui de Nicolas Sarkozy, Président de la République, prononcé à Paris lors de l’inauguration de la Cité de l’Architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot le lundi 17 septembre 2007 s’est révélé séduisant dans le ton, volontaire sur la forme, sans véritable idée directrice sur le fond. Décryptage.
Lors de son allocution, Nicolas Sarkozy, Président de la République, a énergiquement, et correctement, repositionné les enjeux de l’architecture « au croisement de toutes les techniques, de tous les savoirs, de toutes les croyances » et au « croisement des politiques : la culture, l’économie, l’urbanisme, le logement, l’environnement« . Jean Nouvel, comme d’autres, ne pouvait que se féliciter d’un « discours initiateur parce que jamais un président n’a parlé comme ça d’architecture, en disant il faut que ça change et avec cette volonté que ça change vite« .
De fait, Nicolas Sarkozy, dans un discours volontariste, a expliqué prendre date pour l’avenir : « L’architecture, c’est l’identité de notre pays pour les cinquante ans qui viennent. Il est tout à fait normal qu’en tant que chef de l’Etat je m’engage pleinement dans cette mission : redonner à l’architecture la possibilité de l’audace« . En clair voilà un dossier sur lequel il engage sa responsabilité laissant à Christine Albanel, la ministre de la Culture et ministre de tutelle des architectes, le soin d’établir « rapidement un état sanitaire des monuments classés et inscrits« . On a connu mission plus valorisante.
C’est donc bien le président « qui décide et sa ministre qui exécute« . D’ailleurs Christine Albanel semble en avoir pris son parti. Dans un entretien à l’AFP la semaine précédente, la ministre de la Culture avait indiqué, « à titre personnel« , être « favorable » au projet de Philharmonie de Paris, précisant cependant qu’il devait être « tranché » par l’Elysée et Matignon. Ce qu’a fait Nicolas Sarkozy : « Je ferai tout pour que ce projet voie le jour« , dit-il, s’adressant directement à Jean Nouvel, assis en compagnie du gratin de l’architecture mondiale* aux premiers rangs de l’auditoire. Bref, la politique de l’architecture pour les cinq prochaines années sera la sienne. Il importe donc, au-delà des effets d’annonce de comprendre dans le détail ce que propose ce discours fondateur.
En réalité, puisque ce texte ne comporte ni données chiffrées ni décision concrète, il s’agit surtout de s’attacher à décrypter la vision que propose le Président. Le volontarisme déployé semble de bon augure. Il est d’ailleurs au crédit du président d’en avoir acté toute la portée politique. Mais derrière le langage séduisant – « redonner à l’architecture la possibilité de l’audace, » quel architecte s’en plaindrait ? – ce que dit Nicolas Sarkozy est plus contrasté.
L’exemple le plus saisissant est sans doute quand il aborde le sujet des concours. »Il y a, dans notre volonté de relancer l’architecture en France, une question incontournable, une question qui fâche et qu’il faut bien affronter, celle des concours internationaux d’architecture. Pour favoriser l’éclosion d’un projet original et adapté, il est nécessaire qu’un dialogue puisse s’établir entre le maître d’ouvrage et l’architecte, y compris au moment de la définition du projet. De fait, peut-on imaginer un particulier à qui l’on interdirait de parler avec son architecte lorsqu’il dessine les plans de sa maison ? A-t-on jamais vu quelque chose d’aussi absurde ?« , dit-il. Certes. Sauf que mettre sur un même plan la maîtrise d’ouvrage d’un grand équipement à vocation internationale et un particulier qui veut construire sa maison est une comparaison en soi elle-même « absurde« . Un raccourci d’autant plus surprenant que le seul chiffre évoqué dans ce discours est celui du pourcentage – 83% – de maisons construites sans architecte. Le dialogue dont il est question reste donc rare et occasionnel.
L’effet oratoire est garanti mais qu’apprend-on de la politique de l’architecture en France ? Rien au fond puisque d’une part les concours internationaux d’architecture en France ne sont pas légion, que d’autre part il n’est pas fait mention d’une réforme ou d’une « rupture » avec la loi sur l’architecture et le seuil des 170m², et qu’enfin pas un mot n’est prononcé concernant les concours en France et l’accès à ces concours par les jeunes (et moins jeunes) architectes et jeunes (et moins jeunes) agences. De fait, pas un mot non plus concernant les NAJA (quelques-uns étaient invités), dont la sélection a sans doute des défauts mais qui ont le mérite d’exister. Renaud Donnedieu de Vabres, l’ancien ministre de la Culture installé dans les premiers rangs, est resté de marbre. Il est pourtant de notoriété publique que les maîtres d’ouvrage faisant appel, par principe, à de jeunes architectes, au nom le plus souvent de la « fraîcheur des idées« , sont l’exception plutôt que la règle et ce ne sont pas les quelques commandes publiques des NAJA qui inverseront la tendance.
De même, après avoir abondamment mentionné les entrées de ville et autres zones d’activité « aux abords des villes, qui ne sont rien d’autre qu’une forme de scandale » le président déclare : « Aussi nous faut-il promouvoir l’exigence architecturale auprès des acheteurs, des promoteurs et des maires. Nous démontrerons ainsi que l’innovation et la créativité ne sont pas réservées à une élite, mais accessibles à l’ensemble de la population. »
S’il suffisait de « promouvoir« … Mais, puisqu’il s’agit de « démontrer« , la volonté présidentielle se traduirait-elle donc par de nouvelles exigences aux maîtres d’ouvrage publics et privés et aux élus décisionnaires afin de « redonner à l’architecture la possibilité de l’audace« ? « Je souhaite donc que les règles de construction et d’urbanisme laissent plus de latitude quant au choix des moyens à retenir pour atteindre les objectifs : on a été à la limite supérieure des contraintes, cela va finir par étouffer toute possibilité de création et d’innovation« , dit-il. C’est pourtant dans le cadre de ces « contraintes » que se sont développées les entrées de ville « scandaleuses« . Et si les architectes se plaignent effectivement d’une normalisation parfois abusive, ils se plaignent surtout de maîtres d’ouvrage timorés, d’une administration tatillonne, de politique(s) de la ville à laquelle ils ne sont pas conviés, d’élus peu au fait d’architecture et d’un manque de transparence dans la prise de décision, dont les architectes sont généralement écartés alors qu’ils sont toujours présumés responsables, donc coupables, du moindre désordre. Christian de Portzamparc, invité présidentiel mais victime il y a peu d’une cabale en ce sens, peut en témoigner.
Alors à qui le président entend-il laisser plus de latitude ? Pas aux architectes dont les prérogatives sont par exemple rognées dans le cadre de nombre de Partenariat Public-Privé (PPP) que Nicolas Sarkosy soutient par ailleurs. Autre exemple, il rappelle lui-même qu’il fut longtemps maire de Neuilly (92) ; il avait alors toute latitude pour promouvoir « les logements sociaux [qui] doivent être [de] grands gestes d’architecture » que le président propose. Sa seule force de conviction et des règles offrant « plus de latitude » seront-t-elles suffisantes pour convaincre des élus et/ou maîtres d’ouvrage que l’audace est nécessaire quand même la loi (SRU en l’occurrence) s’est souvent déjà révélée impuissante ? De fait, les architectes ne manquent pas d’audace ; c’est au contraire, souvent, cette audace même qui est rédhibitoire.
Il semble illusoire par ailleurs de penser « avoir atteint la limite supérieure » des contraintes. La HQE et le développement durable sont un exemple récent de nouvelles contraintes. D’aucun pourrait citer également la qualité de l’air, de nouvelles contraintes énergétiques qui finiront par s’imposer (bâtiments passifs), des contraintes d’accessibilité pour les bâtiments existants, etc. Et sans doute que dans vingt ans, on se demandera comment on pouvait construire une maison sans avoir fait auparavant d’études de sol. Les bureaux d’études ont de beaux jours devant eux. Enfin, les architectes savent justement intégrer ces contraintes et c’est la plupart du temps à cause ou grâce à elles qu’apparaît leur formidable esprit créatif.
D’ailleurs, quand il parle des architectes, auxquels pense le Président ? « Le poète ne doit pas toujours s’effacer devant l’ingénieur« , dit-il (page 3). « Un architecte-sociologue ou poète, c’est bien, un architecte-ingénieur, ce peut être mieux encore« , dit-il (page 5). Sans doute le poète ne retiendra que la première citation et l’ingénieur la seconde. « Et ce n’est pas un hasard si les meilleurs architectes du monde intègrent toutes ces dimensions« , poursuit-il. Mais chaque architecte, à son échelle, n’intègre-t-il pas déjà ces dimensions ? N’est-ce pas là l’essence même du métier ? D’ailleurs, la très grande majorité des architectes qu’il a lui-même invités – le top du top – ne sont pas ingénieurs. Et quand il évoque ce sujet dans le cadre de la formation, c’est aussi oublier que les architectes-ingénieurs sont rares, simplement parce qu’il est très difficile de mener de front des études par essence très différentes, ce qui explique que la grande majorité des architectes travaillent en bonne intelligence avec les ingénieurs. Enfin, sur le chapitre de la formation – « il faut décloisonner les écoles d’architecture et les faire participer à des pôles universitaires« , dit-il – sait-il que la réforme LiMaDo, d’ores et déjà achevée et inscrite dans la loi, n’avait pas d’autre but ?
Et quelle idée se fait-il de leur métier ? « Aux architectes d’aujourd’hui, je veux dire : vous avez un défi fantastique à relever, celui de développer votre créativité dans un univers économiquement contraint, dont la pente naturelle conduit à la normalisation, au formatage, à l’uniformisation, et au principe de précaution. » Il précise un peu plus loin : « le défi de la beauté architecturale est un enjeu culturel et humaniste au plus haut degré. » En clair, c’est à l’image du bâtiment qu’il pense, ce qui est assez réducteur. Même raccourci quand il évoque le débat « simpliste » des tours. Ainsi la ‘Tour Phare’ de Thom Mayne, fait de [son] point de vue « l’unanimité« , dit-il, (depuis quand l’unanimité est-elle une question de point de vue? Et cette unanimité reste loin d’être acquise, mais bon), « par sa beauté esthétique et par son intégration parfaite dans cette forêt de hautes constructions qu’est le quartier de la Défense. » La Tour Montparnasse, quant à elle, « ne nous facilite pas la tâche. » « Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui la plupart des tours de Shanghai de celles de São Paolo, de Mexico, de Singapour ? » s’interroge-t-il. Tout cela pour nous dire au final, qu’en guise de politique, « il faut juger au cas par cas. » Mais c’est déjà le cas pour tous les bâtiments, de la maison d’architecte à la Philharmonie de la Villette, et pour chacune des tours construites dans le monde. Certes l’image et la forme sont importantes mais il ne s’agit là que de l’un des multiples aspects du métier d’architecte.
Qui plus est, lors de son plaidoyer, prudent, pour les tours, Nicolas Sarkozy relève que nul ne « viendrait imaginer l’installation d’un quartier pavillonnaire à la Défense. » D’aucun peut aussi bien lire, en creux, que nul ne viendrait imaginer des tours à Paris. Bref, sur ce sujet, le Président n’a pas tranché et les tours de grande hauteur en France, quelles soient ‘Phare’, ‘signal’ ou ‘repère’ – elles sont si rares en France qu’il leur faut un épithète – resteront l’exception.
Enfin, pourquoi Nicolas Sarkosy n’a-t-il pas mentionné son projet de Mémorial de la résistance ? Il a pourtant fait part de son inquiétude quant à la postérité. « Notre époque est marquée par le triomphe des sciences et de la technologie, mais au-delà des extraordinaires univers virtuels créés par l’informatique, nous savons de moins en moins quelle trace nous allons laisser dans l’histoire, » dit-il. Il avait été plus clair le 1er août dernier dans sa lettre de mission à Christine Albanel. « Nous vous demandons d’expertiser le projet de créer un centre de recherche et de collections permanente dédié à l’histoire civile et militaire de la France. De même, en prévision des soixante-dix ans de l’appel du Général de Gaulle (2010), vous étudierez le projet d’un ambitieux mémorial de la résistance et de la France libre, en hommage à tous les résistants. Leurs témoignages, histoires, récits et mémoires seraient collectés puis réunis dans l’enceinte d’un monument qui serait lui-même un geste architectural, » écrivait-il. A l’heure où la France ne fut jamais aussi atlantiste et proche de l’OTAN, les gaullistes historiques apprécieront.
En conclusion, il est vrai qu’à nombre d’égards, l’allocution de Nicolas Sarkozy sonne juste. L’architecture est au début et à la fin de la politique et le Président aura eu ce mérite de le rappeler à tous. Son volontarisme et son ambition affichés seront autant d’arguments que les architectes pourront utiliser quand il s’agira de convaincre les maîtres d’ouvrage de « promouvoir l’architecture. » Il reste cependant que ce discours, aussi éminemment politique qu’il fut, s’abstient au fond de proposer une quelconque politique de l’architecture en France.
Christophe Leray
* Shigeru Ban, Sir Norman Foster, Massimiliano Fuksas, Zaha Hadid, Jacques Herzog, Rem Koolhaas, Thom Mayne, Richard Rodgers, Kazuo Sejima, Patrick Berger, Jean Nouvel, Dominique Perrault, Rudy Ricciotti et Christian de Portzamparc.
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 19 septembre 2007