Dubois est architecte et tueur en série. Ethel Hazel, sa psychanalyste, se demande ce que l’homme de l’art envisage de faire de son talent. Dr. Nut, le policier à ses trousses, se perd sur une fausse piste. Aïda aura-telle de nouvelles infos ?
***
« Tout ce qu’on peut faire d’un bon conseil, c’est de le transmettre. À celui qui le reçoit, il ne sert jamais à rien ».
Oscar Wilde
***
Ethel Hazel, relisant ses notes en attendant Dubois, s’interroge. Qu’est-elle censée transmettre ? Il n’est pas question de morale mais il est permis de penser que la psychanalyse d’un tel client serait réussie si elle parvenait à le transformer au point qu’il ne tue plus, ce qui serait déjà pas mal, voire qu’il se rende aux autorités, passage obligé pour démarrer une nouvelle vie. Mais elle imagine le procès, son rôle dévoilé, un méchant procureur qui n’aurait aucun mal à la déstabiliser. Comment s’expliquerait-elle ? « Oui, j’ai couché avec lui ». « Vous avez aimé ça ? » « J’étais endormie ». « Et vous n’avez pas joui ? » « J’étais en train de mourir !!!! » « Nous vous voyons très vivante, répondez à la question »… Ethel en frémit rien que d’y penser. Et puis, se dit-elle, ce n’est plus à elle de faire la police, il y a Dr. Nut pour ça. Et puis veut-elle vraiment que Dubois se fasse coincer ? Qu’il cesse de tuer, oui, mais qu’il se fasse coincer, avant qu’elle n’ait eu le temps d’aller tout au bout de son entreprise ? « A-t-elle joui ? » … Tandis que la question s’attarde dans son esprit…
Ding Dong
Dubois pénètre dans le cabinet tout souriant, son visage disant à quel point il semble heureux de retrouver Ethel, comme s’il revoyait une excellent amie, voire plus, perdue de vue depuis longtemps et qu’il recroiserait par hasard, ce genre de sourire, chaleureux, entier, généreux. Ethel en est déconcertée mais, doit-elle admettre, elle se sent flattée.
Ethel Hazel – Vous m’avez expliqué, récemment encore*, que vous n’étiez pas compulsif mais plutôt quelqu’un de très organisé, de très méticuleux, avec le goût du détail.
L’architecte (allongé déjà mais souriant toujours) – C’est la définition de l’architecte. Un architecte compulsif se contente d’un coup de crayon qu’il ne sait pas construire et un architecte qui n’est ni organisé ni un minimum méticuleux et qui se fout des détails devrait faire un autre métier artistique. Donc oui, si je suis encore architecte après tout ce temps, je dois être un peu organisé et il est vrai que j’ai le goût du détail ; maintenant le bon et le mauvais goût, c’est comme les couleurs…
E. H. – Justement, j’ai l’impression que votre agence tourne bien, du moins à vous écouter. N’avez-vous donc aucun désir de transmission ?
L’architecte (surpris) – Vous voulez dire transmettre mon entreprise ? Quoi, vous voulez-me mettre à la retraite ? J’ai l’air dépassé pour vous ? Zut, et moi qui me croyait dans la forme de ma vie… (Plus sérieusement) Vous savez, c’est difficile de transmettre son agence dans notre métier. Ce n‘est pas comme un opticien ou un épicier qui vend son affaire, le pas-de-porte et la clientèle. Un architecte, qu’a-t-il à vendre ? Des idées peut-être mais sinon ? Un savoir-faire ou une organisation que les copains et copines ne possèderaient pas ? La transmission, c’est plutôt le souci des grosses agences, des architectes ayant construit une agence à leur nom et qui voient soudain, comme on dit, défiler leur vie devant leurs yeux. L’abîme ! Beaucoup ne s’en relèvent pas. C’est d’ailleurs une sorte de préciosité d’architecte quand on y pense : ce sont les ouvrages qui doivent demeurer et feront la postérité, pas une agence qui a fini par prendre la poussière. C’est encore un peu différent pour une grosse agence avec un nom générique parce qu’au bout d’un moment, plus personne ne sait qui est qui mais la boîte tourne comme une machine de guerre dans le monde entier. Là, en effet, ils sont nombreux à vouloir se nourrir sur la bête une fois que le ou les pionniers tirent leur révérence. Non, transmettre, je n’y pense pas vraiment. Vous le savez j’ai été associé avec mon ex et ça s’est mal terminé. Mes enfants sont grands et font leur vie. Aujourd’hui je suis seul et c’est aussi bien comme ça. Je n’ai aucune intention de chercher de nouveaux associés. Certes mon agence s’éteindra avec moi mais les derniers projets seront terminés, correctement j’espère, par ceux qui seront encore là ou d’autres confrères et basta.
E.H. – Ce n’est pas ce que je voulais dire, n’avez-vous pas le désir de transmettre votre savoir-faire, que tout ce que vous avez appris serve à quelqu’un d’autre, qu’il ou elle n’ait pas à refaire tout le chemin ?
L’architecte (qui prend le temps de réfléchir) – Vous voulez parler de la formation sans doute. Je me souviens d’un ouvrage, Transmettre en architecture, De l’héritage de Le Corbusier à l’enseignement de Henri Ciriani, écrit par Françoise Arnold et Daniel Cling. Les auteurs posaient les questions suivantes : Comment, dans le domaine de la conception architecturale, les idées cheminent-elles d’une génération à l’autre ? Comment s’opère la transmission ? Comment se captent les héritages ? Bref, là encore, l’architecte peut répondre à votre question puisqu’en effet la formation ne cesse jamais dans notre métier ; depuis l’école d’architecture puis au fil des projets, ce n’est qu’une longue ligne de recherches, d’innovations, d’apprentissage, d’un savoir reçu et transmis. Je ne sais pas pour votre profession mais les architectes ont même une obligation de formation continue, c’est dire. Heureusement d’ailleurs que nous nous formons au fil de notre vie, je ne construis pas à 55 ans comme quand j’en avais 30, il n’y avait même pas internet à l’époque !!! Pour autant, aujourd’hui, les jeunes architectes me soûlent avec le BIM ceci, le BIM cela, mais les gens qui vivent dans mes bâtiments, ils s’en foutent qu’ils aient été construits en BIM ou avec PacMan ; ils veulent s’y sentir bien à l’intérieur de mon bâtiment et qu’à l’extérieur, il ait un peu d’allure, il n’y a rien de mystérieux finalement dans l’architecture. Encore faut-il compter dans cette formation les expériences personnelles, celui qui a construit des orphelinats au Népal avec à peine de quoi mettre du beurre dans ses racines bouillies n’a pas la même vision du monde que celui qui construit un chai dans le Médoc pour son oncle.
E.H. – Vous n’avez donc jamais ressenti le besoin ou le désir de former quelqu’un en particulier, une transmission et une personne auxquelles vous seriez attaché ?
L’architecte – Mais ce fut le cas des dizaines de fois ; à chaque fois qu’un ou une jeune architecte débarque à l’agence, on ne les lâche pas dans l’arène. Evidemment qu’on les accompagne. Après il y a des questions d’atomes crochus, de talent, de compréhension mutuelle. Mais, dans ce cadre, rien que de très banal. Au fil du temps, on comprend que, les garçons surtout, quand ils sont ambitieux, ils vont se dépêcher d’apprendre le plus vite possible, de tirer le maximum de vous et de la situation puis partir très vite pour d’autres aventures. C’est une sorte de mécénat, le temps et l’argent dépensés à perte puisqu’ils vont ensuite faire le bonheur de quelqu’un d’autre. Mais c’est la règle, moi aussi je prends à l’agence des gens formés par d’autres.
E.H. (le cœur battant) – Et avec les femmes, moins ambitieuses selon vous ?
L’architecte – Excusez-moi, je me suis mal exprimé. L’ambition des femmes n’est pas moins intense que celle des garçons mais, pour ce que j’en sais de ma propre expérience, elles sont plus patientes et appliquées, voire au fond beaucoup plus déterminées, et la discussion avec elles est rarement encombrée de problèmes d’ego, comme c’est parfois le cas avec les garçons, beaucoup moins sûrs d’eux que les filles finalement.
E.H. (sait que les relations entre le « cédant » et le « repreneur » sont essentielles et exercent une influence continue sur le processus jusqu’à en conditionner l’issue, des interactions qui, selon elle pensant à son article, sont trop souvent laissées de côté dans la littérature.) – La relation est plus valorisante pour vous avec les femmes ?
L’architecte (du tac au tac) – Valorisante dans les deux sens j’aime à penser.
E.H. (professionnelle) – Vous avez donc eu une ou des relations valorisantes avec quelques-unes de vos salariées ?
L’architecte – Mais presque avec toutes j’espère… Ensuite ces relations doivent se terminer parce que les femmes ambitieuses ont elles aussi d’autres projets que l’agence de Dubois à Belleville, nul pour leur en vouloir. Et il y a des greffes qui ne prennent pas, des arbres qui ne portent pas de fruit…
E.H. – Vous auriez souhaité des relations disons plus profondes…
L’architecte (souriant) – Plus profondes ? C’est un lapsus ?
E.H. (se sent rougir mais ne dit rien) – …
L’architecte – Puisque vous y tenez, je vais vous dire ce que j’aurai aimé en termes de relation profonde. C’est quelque chose qui a disparu chez les architectes et sans doute suis-je devenu mélancolique mais j’aime bien le concept très japonais de maître à disciple, une relation qui de génération en génération transmet un savoir-faire qui transcende le temps. Nous avons nous aussi connu ce type de transmission ; il n’y a pas si longtemps, il était encore question de maître verrier, de maître d’œuvre et les architectes étaient appelés maître. Mais être maître comportait une obligation, celle de transmettre un savoir-faire unique, reconnu par tous, qu’il s’agissait de préserver et diffuser, obligation que n’ont certes plus pour la plupart nos enseignant d’architecture. Vous vous souvenez peut-être dans le Film Le Parrain, le premier volume, le tueur sicilien qui se déguise en curé, il a un apprenti, un disciple, un apprenti tueur. Ca c’est de la transmission ! Et maintenant que j’y pense, dans le film Kill Bill, voilà un autre bel exemple de ‘discipline’, ces femmes formées sous le régime de fer de maître Pei et que Bill transforme en redoutable tueuses. Voilà une façon de former qui ne m’aurait pas déplu.
E.H. (sait la nécessité d’installer une confiance durable au centre du processus de transmission, le développement de cette confiance étant possible grâce, si elle se souvient bien de ses cours, à « la connaissance, la reconnaissance, les capacités et les compétences relationnelles ».) – Vous parlez de discipline, mais il est aussi question de confiance, de confiance absolue. Vous auriez aimé avoir des disciples de la sorte ?
L’architecte (souriant) – Je n’ai pas vocation à être gourou, même si des architectes s’y voient parfaitement, mais pourquoi pas ? Plus que les bébés Nouvel ou les Bébés Portzy – c’est une façon de parler de ceux formés par de grands architectes – des bébés Dubois, de vraies tueuses, comme l’armée privée de Kadhafi, voilà qui aurait de l’allure !!! Et, depuis le temps que je sévis, qui sait s’il n’y en a pas une ou deux ou trois aujourd’hui à écumer la planète pour de bonnes œuvres… Mais la plupart des femmes que j’ai connues dans mes agences, comme je vous le disais, ne sont jamais restées assez longtemps pour qu’une relation de maître à disciple puisse se développer.
E.H. (excitée) – Et, avec celles qui sont restées suffisamment longtemps, vous auriez formé des « tueuses » ?
L’architecte – Certainement que je n’en serais pas malheureux. Vous savez, certains projets demandent une préparation tellement minutieuse, une mise en œuvre tellement astucieuse et dangereuse pour une œuvre parfaitement finie, irrémédiable, si ce n’est pas un rêve d’architecte… Et comme au temps des cathédrales, des maîtres charpentier, des maîtres maçons et des spadassins, transmettre un savoir-faire unique et inénarrable est quelque chose auquel je suis certainement sensible. Et de fait, vous semblez l’avoir deviné, je ne suis pas le seul à y être sensible. Et croyez-moi, il y a des élèves qui dépassent le maître, et de loin…
E.H. (voyant le temps passer, avec courage) – Vous tuez encore ?
L’architecte (détendu) – Seulement pour tuer le temps et je dois m’y prendre bien puisque je ne vois pas le temps passer…
DRINNNN, DRINNNN
La sonnette annonçant la fin de la séance les réduit tous deux au silence pendant quelques secondes. L’architecte, resté allongé : « à propos de tuer le temps, êtes-vous arrivée au terme de votre réflexion à propos de mon invitation. Vous souhaitiez m’entretenir d’un syndrome de la Belle au bois dormant qui semble vous préoccuper. Pour un livre j’ai l’impression. Je vous l’ai dit, je suis tout disposé à en discuter longuement, mais pas ici ».
Ethel reste assise et espère que son long silence indique à Dubois qu’elle réfléchit quand, au fond d’elle-même, elle connaît déjà la réponse. Mais, à sa surprise, après un moment de flottement, Dubois est bientôt debout d’un coup. « Douterait-il ? », pense-t-elle avec une pointe de plaisir mêlée d’effroi. Surtout ne pas l’énerver : « oui, je suis arrivée au terme de ma réflexion », dit-elle.
Elle a bien vu le furtif moment de surprise de Dubois en train de mettre sa veste de moto ; il ne la regarde pas, concentré semble-t-il sur le fait d’enfiler ses gants. « C’est moi qui décide où et quand », dit-elle fermement.
Au moment où elle prononce ces mots, c’est comme si toute la tension tombait d’un coup. Dubois la regarde soudain avec le même sourire qu’il avait en arrivant, joyeux, heureux, facétieux. Pendant une fraction de seconde elle voit soudain le petit garçon qu’il a dû être. Mais, sans en dire plus, Dubois est déjà parti.
Ethel se sent pour un instant singulièrement soulagée. « Les dés sont jetés », se dit-elle. Elle va pour s’abandonner à ce moment d’intense décompression quand une pensée lui traverse l’esprit. Elle revoit la discussion avec l’architecte et soudain s’interroge avec anxiété : « et si certaines des ‘disparues’ n’étaient pas mortes du tout mais devenues les apprenties tueuses de Dubois ? » Dubois ne tue pas pour l’argent, elle en est sûre, mais elle imagine très bien que, plutôt qu’une vie d’architecte qui ne rapporte rien, de décider grâce à Dubois de mener la grande vie comme les tueuses de Kill Bill, « voilà qui s’entend », se dit-elle, décidant instantanément de garder pour elle pour le moment cette idée folle.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
DANS LE BUREAU DE DR. NUT, LUNDI 18H57
Dr. Nut est fatigué et frustré. Il vient de finir de lire le rapport de son collègue de Rennes. Quand il a appris que le corps d’une blonde aux yeux bleus avait été retrouvé dans une carrière de plomb désaffectée à Pont-Péan, en Ille-et-Vilaine, il avait immédiatement espéré, à son corps défendant, qu’il s’agissait de l’une des victimes de Dubois. Il sait que l’architecte se rend régulièrement en Bretagne pour un projet et qu’il en profite pour aller « à la pêche » comme il dit. Il a immédiatement mis un gars pour vérifier les déplacements de Dubois – autoroute, hôtels, bornes d’appel de son téléphone, etc. – travail qui s’est révélé aussi fastidieux qu’infructueux, comme d’habitude. Dubois ne se cache pas, il est partout et nulle part à la fois et parvient toujours à échapper aux radars pendant quelques heures. Et maintenant, l’inspecteur vient de lire le rapport de l’officier rennais. La femme a finalement été identifiée. Margot G., 48 ans, a été battue à mort, apparemment par son mari en fuite, « comme souvent », soupire le policier. « Et Dubois ne les bat pas », se dit-il sans être tout à fait sûr si c’est une bonne ou une mauvaise chose.
Mais il voit Aïda arriver. « Au moins, une brune, elle ne craint rien avec Dubois », se dit-il avant de l’accueillir avec le sourire.
« Bonjour Patron », lance Aïda en rentrant dans la pièce.
« Je vous offre une bière ? » demande Dr. Nut, qui observe qu’Aïda a l’air fatiguée.
« Non pas aujourd’hui, merci. Par contre, j’ai un cadeau pour vous. Regardez », dit-elle. Elle pose sur le bureau encombré de Dr. Nut un sac duquel elle sort ce qui semble être un tissu plié. Elle le tend à Dr. Nut, intrigué.
« C’est un pantalon ? », demande-t-il en le dépliant.
« Tout à fait, mais pas n’importe lequel. C’est le même modèle exactement que celui de Gina ».
« Ça alors ! Mais il vient d’où ?»
« Je vous explique. Après une pause mardi dernier (plus que nécessaire repense Aïda qui avait besoin de prendre un peu de recul sur cette affaire), je me remets sur le sujet le mercredi et je commence à analyser les photos envoyées par l’équipe des Italiens concernant le pantalon de Gina. Tenez, voici la fiche technique comme d’habitude même si aujourd’hui elle a moins d’intérêt, vous la garderez pour les archives ».
Dr. Nut, impatient car touché par l’enthousiasme de la jeune femme, prend quand même le temps de lire la fiche technique. « Pour les archives », dit-il en souriant.
Fiche technique des vêtements portés par Gina Rossi** le jour de la découverte de son corps
Nature du produit : Pantalon
Marque : H&M
Couleur : Noir
Taille : S
Description : Pantalon de type legging évasé en bas des jambes
Matières : 97% polyester, 3% élasthanne
État du produit : Légèrement bouloché sur le haut à droite
Autres indications notables : Modèle basique
Dr. Nut fait de rapides allers-retours entre la fiche et le pantalon qu’il tient toujours dans les mains tandis qu’Aïda poursuit.
« Pas besoin du microscope pour déchiffrer la photo. Gina portait un pantalon noir en jersey, un peu comme un legging. Modèle taille haute, moulant jusqu’au genou puis évasé sur les mollets et les chevilles. A l’intérieur de la ceinture une étiquette noire, écrit en lettres capitales H&M. Je l’ai reconnu rapidement car j’ai le même. (Il ne manquait plus que ça, avait-elle pensé en regardant la photo.) Il était dans ma penderie. C’est celui que je viens de vous apporter ».
« Incroyable », ne sait que dire Dr. Nut, le pantalon d’Aïda dans les mains comme un talisman magique.
« J’ai acheté le mien il y a quelques années », poursuit Aïda. « Je l’ai porté une dizaine de fois mais il a commencé à boulocher rapidement. H&M ce n’est pas de la grande qualité. Mais bon c’est très accessible niveau prix et surtout ce pantalon est très confortable ! On est presque en jogging mais plus élégant ».
« Je me suis d’ailleurs interrogée car je n’imaginais pas forcément Gina avec un pantalon de ce type, ni de cette marque d’ailleurs. Pour ma part, je le porte les jours où je suis fatiguée. Vous voyez ces journées un peu longues où l’on sait qu’on a besoin d’être à l’aise pour affronter une dure journée ? Est-ce pareil pour Gina ? Etait-elle dans une période de rush au moment où elle a été tuée ? Était-elle en réunion de chantier toute la journée ? Ou bien étaient-ils « charrette » à l’agence ce jour-là ? Ils auraient pu bosser un peu tard le soir et Dubois l’aurait tuée dans la nuit ? »
« C’est une hypothèse, oui », commente Dr. Nut à voix haute.
« En tout cas, j’ai vérifié, le pantalon est encore en vente sur le site de la marque et en boutique. En somme c’est comme l’imperméable, on est sur un basique d’une grande marque internationale vendue depuis des années ; en clair, Gina aurait pu l’acheter il y a dix ans comme il y a trois mois en Italie comme à Paris. Ce pantalon ne nous donne aucune indication sur le lieu ou sur l’année de l’achat, donc pas d’indice sur la mort de Gina ».
« Hum… », est la seule réaction de l’inspecteur qui peine à comprendre l’enthousiasme de sa collègue pour une non-info.
Aïda, qui se doutait de l’effet de sa non-info, reprend. « J’ai remarqué que le pantalon de Gina était également légèrement bouloché. Cela signifie qu’elle a dû le porter quelques fois, comme moi, puis il a commencé à se dégrader avec les lessives et le frottement. Quand on regarde en détail les photos, l’usure est plus présente sur le haut droit de la cuisse. Regardez, c’est pareil sur le mien. C’est subtil mais quand on le sait on le voit. Vous savez ce que c’est ? »
« Non », répond Dr. Nut avec honnêteté, tentant d’examiner avec attention les « bouloches » du pantalon d’Aïda. Des bouloches ???
Aïda, qui se retient d’être triomphante. « Le sac à main ! Le sac à main d’une femme peut parfois abîmer un pantalon, c’est le frottement de l’un contre l’autre. Il suffit que le sac soit en cuir un peu épais grainé et le pantalon pas de grande qualité. C’est ce qui s’est passé sur le mien et sur celui de Gina apparemment. Ce qui m’a fait penser à quelque chose !
« Je vous écoute » dit Dr. Nut un peu sidéré et qui se lève pour aller chercher une autre bière.
« Où est le sac à main de Gina ? Si elle a été tuée habillée, pourquoi n’a-t-elle pas son sac à main avec elle ? Si elle a été tuée nue, quelqu’un l’a rhabillée, en ayant pris grand soin de lui renfiler toutes ses affaires sans rien oublier, jusqu’au foulard et à l’imperméable, pourquoi ne pas lui avoir remis son sac à main pour que l’image soit complète ? C’est donc qu’il doit être quelque part ! Dubois l’a-t-il gardé ? Les tueurs en série aiment à garder des souvenirs, n’est-ce pas ? Si on arrivait à mettre la main dessus on y trouverait sûrement les indices intéressants. Je sais c’est peu… ».
« En effet », répond l’inspecteur en réfléchissant. « Mais on a toujours une meilleure chance de trouver ce qu’on cherche si on sait ce qu’on cherche. Merci en tout cas, le coup du sac à main sur le pantalon, je n’y aurais jamais pensé ».
« Le pantalon, je vous le laisse Patron, pour les archives », dit Aïda en riant, tout en pensant que de toute manière elle serait bien incapable de le reporter désormais sans penser à Gina. Cette affaire prend une tournure inattendue, se dit-elle. Aurait-elle plus de points en commun avec Gina qu’elle aurait pu l’imaginer ? Quelle sera sa prochaine découverte ? Comment réussir à mettre la bonne distance pour ne pas se laisser happer par les émotions ou pire… la peur ? « Tais-toi Aïda » pense-t-elle très fort.
« A la semaine prochaine Patron ! », lance-t-elle soudain en fuyant ce bureau, laissant Dr. Nut planté là, son pantalon à la main.
(À suivre)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* Lire l’épisode Pour Dubois, l’architecture, une pulsion inconsciente et irrépressible ? (Saison 6)
** Pour savoir qui était Gina : Le temps qui ne passe pas vite, meilleur allié de l’architecte ? (Saison 4) et L’architecte en garde à vue – Le fantôme de Gina (Saison 5)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 6
Retrouvez tous les épisodes de la saison 5
Retrouvez tous les épisodes de la saison 4
Retrouvez tous les épisodes de la saison 3
Retrouvez tous les épisodes de la saison 2
Retrouvez tous les épisodes de la saison 1