Notre-Dame de Paris, la science à l’œuvre se veut un ouvrage scientifique. Il est pourtant truffé d’erreurs. C’est grave docteur ? Mise au point.
« On étonnerait nombre de nos contemporains en affirmant que Notre-Dame de Paris, qu’ils croient avoir regardée sous toutes les coutures sur leurs écrans d’ordinateur ou de télévision, était l’une des cathédrales françaises les plus mal connues, ou en tout cas les moins bien étudiées ». Patrick Boucheron, Notre-Dame de Paris, la science à l’œuvre (Le Cherche Midi, 2022, préface, pp. 6-7).
On étonnerait aussi nos contemporains en leur signifiant que dans Notre-Dame de Paris, la science à l’œuvre, ouvrage copublié par les éditions du Cherche midi, le CNRS et le ministère de la Culture en partenariat avec l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, se glissent des erreurs autres qu’orthographiques ou grammaticales. Patrick Boucheron, professeur au collège de France, a parfaitement raison lorsqu’il affirme que Notre-Dame de Paris « était l’une des cathédrales françaises les plus mal connues, ou en tout cas les moins bien étudiées ». En l’écrivant ainsi à l’imparfait, tout laisse à penser que l’historien le plus médiatisé de France – que nous admirons pour avoir si brillamment animé Quand l’histoire fait dates sur Arte et pour sa participation comme coauteur de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, qui fait déjà date elle aussi – nous propose un ouvrage qui lève enfin le voile sur les derniers mystères entourant la construction et les transformations de Notre-Dame de Paris au fil des siècles.
À la suite de l’avant-propos des quatre codirecteurs de cette publication, une chronologie illustrée donne les dates qui ont marqué l’histoire de la cathédrale et avec elles celle de la France. Mais voilà que mon œil bute sur une année qui m’interpelle :
« 1660 Mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne Marie-Thérèse ». Or, comme tout natif de Saint-Jean-de-Luz, je suis fier de rappeler que le roi qui a fait de Versailles le point de mire de toute l’Europe, et qui a eu le règne le plus long et le plus brillant de l’histoire, s’est marié le 9 juin 1660 dans l’église de notre petite ville portuaire située à quelques kilomètres de la frontière espagnole et non pas à Notre-Dame de Paris, ce qui aurait eu, certes, une plus grande allure mais infiniment moins d’exotisme. À partir de cette date, que l’on trouve dans la première colonne de la p. 12, et qui installe une certaine inquiétude dans mon esprit, je me répète qu’il y a méprise et qu’un pareil ouvrage ne peut être sujet de raillerie.
Deuxième colonne :
« 1791 Fermeture de la cathédrale, sécularisation des biens du clergé : la cathédrale devient temple de l’Être suprême ». Je ne vois pas comment la cathédrale peut fermer si elle devient le temple de l’Être suprême, elle change certes d’attribution mais elle reste forcément ouverte. Je m’égare. Revenons à l’essentiel dans cette chronologie : les dates. 1791. Le décret des biens du clergé mis à la disposition de la Nation date du 2 novembre 1789, par conséquent c’est par lui que les biens en question sont sécularisés. 1789 et non pas 1791. Qu’on me permette de le relever, ce n’est pas chercher querelle pour un rien. On ne pardonne pas à un athlète le centième de seconde qui lui a manqué pour accéder au podium, cette minuscule fraction de temps change tout. Alors se tromper de plusieurs mois, voire de plusieurs années en histoire de France dans un livre copublié par le CNRS et le ministère de la Culture et préfacé par le plus médiatique historien de France, c’est rageant ! Faites mourir Louis XIV au matin du 1er septembre 1713 au lieu de 1715 et adieu notre record mondial : ce serait donner la médaille d’or du plus long règne de l’histoire à Élisabeth II d’Angleterre ! Cela change tout. Calmons-nous et continuons avec confiance.
Troisième colonne de cette p. 12 :
« 1804, 2 septembre Sacre de Napoléon ». Un souvenir d’écolier me revient à l’esprit. La bataille d’Austerlitz. Fastoche à retenir pour une interro écrite : c’était en 1805, un an jour pour jour après le sacre, lequel a bien eu lieu à Notre-Dame de Paris. On ne pouvait imaginer plus beau cadeau d’anniversaire pour l’empereur ! Voilà comment on retient des dates historiques pour la vie. Napoléon contre les armées alliées d’Alexandre Ier de Russie et de François Ier d’Autriche, tous trois présents pour en découdre dans ce bled de Moravie aujourd’hui en Tchéquie. C’est la « bataille des Trois Empereurs », tellement géniale qu’elle est encore étudiée dans les académies militaires du monde entier.
Les troupes françaises en infériorité numérique gagnent haut la main grâce aux ruses de notre sacré Napoléon, ce qui met fin au Saint Empire romain germanique et redessine la carte de l’Europe. Dans la débandade, les troupes russes traversent les étangs gelés et l’artillerie française, trop heureuse, tire pour briser la glace. C’est horrible, ça donne le frisson. Un an avant, jour pour jour, il faisait aussi un froid glacial sur Paris et Napoléon posait lui-même sans trembler le diadème de feuilles de chêne et de laurier en or sur sa tête devant le pape transi par la température et la stupeur. Comment cela ? Un froid glacial un 2 septembre ? Des étangs gelés en fin d’été ? La goutte au nez pour tout le gratin dans Notre-Dame de Paris trois semaines avant le début de l’automne ? Non, bien sûr. Le rhume était assuré pour les dames en décolleté parce que nous étions un 2 décembre !
Continuons, p. 14. Voici un plan de Notre-Dame de Paris. Il est faux. Le chœur est parfaitement aligné avec la nef alors qu’en réalité cette dernière est légèrement désaxée vers le nord ; mais il est vrai que ce plan n’a ici d’autre but que de montrer la chronologie de la construction à l’aide de différentes couleurs. Le chœur est en orange, c’est la partie la plus ancienne. En légende : « vers 1163-1152 ». Avant J.-C. ? D’accord, c’est une coquille, une coquillette. Mais cela la fout mal dans un pareil ouvrage. Il fallait comprendre 1163-1182. Passons de nombreuses pages, je ne saurais rien dire sur la chimie des métaux, des pierres et du bois ; je ne suis pas scientifique, cela est certainement très vrai et me paraît en tout cas très intéressant.
P. 76, au chapitre La mémoire révélée des charpentes : « On assiste ensuite à la construction des beffrois, puis à celle de la flèche en 1265 ». Qui est l’auteur de l’article qu’on puisse lui demander la prodigieuse source qu’il devrait obligatoirement citer et qui lui permet de donner une date aussi précise ?
Je reviens à la chronologie au début du livre :
« Deuxième moitié du XIIIe siècle Construction de la première flèche de la cathédrale ». Il est plus prudent de l’écrire ainsi, plus honnête surtout, et tant pis pour cette contradiction impardonnable dans un livre scientifique. Viollet-le-Duc affirme dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle – et sans que ses dires, sur un beau ton péremptoire, apportent la moindre preuve – que la flèche primitive de Notre-Dame de Paris datait du début du XIIIe siècle. Voilà qui démontre qu’il n’en savait pas plus que nos experts d’aujourd’hui, faute d’archives. Comme l’essentiel de la charpente de Notre-Dame de Paris, la flèche d’origine, qui en était un élément constitutif, datait en toute logique du XIIIe siècle. Inutile d’inventer une date précise pour paraître plus savant encore que Viollet-le-Duc. C’est inepte, et surtout mensonger.
Faisons un saut jusqu’à la p. 119. Nous sommes au chapitre concernant les vitraux. Au paragraphe intitulé Une analyse au plus proche de la matière, nous lisons : « Les historiens d’art spécialistes du vitrail ont donc, depuis avril 2021, entrepris la révision de l’étude publiée en 1959 par l’historien d’art Jean Lafond sur les vitraux médiévaux de la cathédrale ainsi que des critiques d’authenticité qu’il avait établies à partir d’une observation à la jumelle depuis le sol de la cathédrale. Là encore, les échafaudages permettent aux historiens d’effectuer cette révision au plus près des œuvres ».
Voici quatre exemples de critiques d’authenticité établies par Jean Lafond et parues dans le volume I du Corpus Vitrearum publié en 1959 ; la planche 4 de cet ouvrage (illustration ci-dessus) donne à voir les panneaux en question, tous cachés par le grand orgue ; leurs numéros sont surlignés en rouge :
« D-11 – La Force. Manteau voile pourpre, robe verte. Emblème : une tête de taureau de couleur verdâtre. Bonne conservation générale. La tête est authentique. Principales restaurations : le cou et la partie supérieure de la robe ».
« F-6 – La Vierge. Femme aux longs cheveux peints sur le même verre pourpre que le visage. Elle porte une robe jaune et tient une rose rouge. Panneau bien conservé dans l’ensemble. Principales restaurations : la partie supérieure du tronc vert de l’arbre de gauche, les fleurs rouges de l’arbre de droite ».
« I-11 – Mars. Le paysan taille sa vigne avec une serpe. Il porte sur sa robe verte un manteau pourpre à capuchon, serré par une ceinture jaune, et des chaussons rouges. Une bêche est fichée en terre derrière lui. Ce panneau a été très remanié mais la tête est authentique ».
« J-5 – Le Verseau. Vêtu d’un simple pagne pourpre et coiffé d’un bandeau vert, renverse une cuve pourpre d’où s’échappent des flots verts et blancs verdâtres. Panneau assez bien conservé. La tête est authentique. Principales restaurations : l’extrémité du bandeau vert, le pagne à gauche et une pièce verte dans l’eau qui coule ».
Je défie quiconque depuis le sol de la cathédrale, jumelles en mains, d’analyser aussi précisément, au fragment de verre près, les nombreuses figures de la rose ouest cachées par le grand orgue ! Qui pourrait réussir un tel prodige ? Et qui pourrait de loin, en contre-plongée, avec le même rudimentaire instrument, décrire et dater chaque petit morceau de verre coloré qui compose des vitraux situés jusqu’à une trentaine de mètres ? C’est tout simplement ridicule ! Qui a inventé une pareille absurdité ? L’article n’est pas signé. A-t-il été relu au moins ? Il est permis d’en douter. En juin 2023, le mythe de Jean Lafond (1888-1975) établissant une critique d’authenticité (farcie d’erreurs) avec une jumelle depuis le sol de la cathédrale est repris dans le n° 5 de La Fabrique de Notre-Dame, journal de la restauration publié sous la houlette du ministère de la Culture.
En 2005 cependant, le même ministère annonçait, dans un article intitulé Des vitraux par milliers… Bilan d’un inventaire : le recensement des vitraux anciens de la France, paru dans la revue In Situ. Revue des patrimoines : « La campagne de dépose générale des vitraux à la veille du second conflit mondial créa des circonstances “favorables “particulières, dont les spécialistes surent profiter pour donner à la recherche une impulsion décisive. Tirant les leçons de la guerre 1914-1918, le service des Monuments historiques fit déposer préventivement en 1939 la majeure partie des vitraux classés, de même que d’autres pays européens, en particulier l’Allemagne. La surface des verrières mises à l’abri en France est estimée à plus de 50 000 m², évaluation sans doute inférieure à la réalité. Les grandes cathédrales, au même titre que des centaines d’édifices moins considérables, furent ainsi provisoirement dépouillées de leur décor vitré. C’est alors que des équipes de restaurateurs et d’historiens de l’art purent observer de façon rapprochée et donc idéale des milliers de vitraux ».
Voilà comment Jean Lafond a pu analyser les médaillons des trois roses de Notre-Dame de Paris et voilà comment ces derniers ont pu être photographiés sans distorsion un à un au moment de leur dépose et une deuxième fois à la fin de la guerre avant leur remontage. La plupart de ces clichés illustrent la partie consacrée aux vitraux de Notre-Dame de Paris rédigée par Jean Lafond dans le volume I du Corpus Vitrearum Medii Aevi (Corpus des vitraux du Moyen Âge). Inventer alors que l’un des plus grands spécialistes du vitrail du XXe siècle a analysé les médaillons des roses de Notre-Dame depuis le sol avec des jumelles, alors qu’il a apporté lui-même dans un ouvrage de référence les preuves du contraire, ce n’est pas seulement grotesque, c’est absurde et grave. Absurde parce qu’à elle seule cette assertion jette le discrédit sur l’ensemble du contenu et grave puisque c’est mentir dans un ouvrage scientifique. Dans quel but ? Pour faire croire au public qu’il est sérieux de nos jours d’analyser à l’œil nu les vitraux des roses de Notre-Dame depuis un échafaudage alors que nous disposons d’une technologie imparable pour dater le verre ?
Notre-Dame de Paris, la science à l’œuvre a été publié en 2022. Deux ans plus tard les scientifiques n’ont pas fait de vagues, ils n’ont jamais accusé Viollet-le-Duc d’avoir substitué d’ignobles copies aux derniers vitraux médiévaux de Notre-Dame de Paris qu’il a fait disparaître incognito. Après l’incendie du 15 avril 2019, l’histoire fera date le 8 décembre 2024 pour la réouverture de la cathédrale. Toujours à l’œuvre, la science fera dates elle aussi pour Notre-Dame de Paris, tôt ou tard.
Philippe Machicote