
Heidi Lepelletier, jeune flic du 22, le service des disparitions inquiétantes, découvre de nouveaux indices à propos de l’immobilier de Dubois, tueur en série de blondes aux yeux bleus. Aïda, jeune flic du 22, sur les traces de Dubois en vacances au Brésil, ne sait que penser des indices qu’elle découvre. (Cha. IX).
Retrouver les personnages à l’œuvre
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« Quelqu’un est assis à l’ombre aujourd’hui parce que quelqu’un a planté un arbre il y a longtemps ».
Warren Buffett
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Chapitre IX
Mercredi 14 février, 18h10, dans le bureau de Dr. Nut
Dr. Nut vient de s’ouvrir la première bière de la journée, laquelle a commencé à 6h ce matin dans le bureau du chef. La presse brésilienne s’est emparée de l’affaire et est devenue maboule, un journal à scandale étant en train d’ameuter tout le Brésil sur le cas Dubois. L’inspecteur a bien expliqué au chef que certes les cadavres semblent s’accumuler autour de l’architecte mais, comme l’a souligné Aïda, avec le collègue brésilien, ils ne trouvent que ce qu’ils cherchent, la loi des grands nombres dans un pays comme le Brésil. « Ni Aïda ni moi ne pensons qu’il s’agit là de l’œuvre de Dubois. Au contraire, il a l’air d’être en vacances architecturales avec sa copine architecte Gloria qui, jusqu’à preuve du contraire, est toujours en vie et en parfaite santé. Elle a d’ailleurs l’air enchantée d’être en compagnie de Dubois », expliqua-t-il, ce dont est convenu le chef en regardant les photos prises par Aïda. « Il ne se gêne pas le Dubois », a ironisé le chef.
Dr. Nut a dû lui expliquer le coup de la séance vaudou, la mise en scène macabre organisée par un groupe d’artistes qui a donné la peur de sa vie à Aïda. En attendant, c’est aussi cette scène-là qui a fini par leur mettre la puce à l’oreille. « Bref, il y a de grandes chances que Dubois n’y soit pour rien pour tous ces meurtres », avait conclu le policier. « Bien », avait dit le chef, « tant que cela reste confiné au Brésil, on dira comme vous, nous n’y sommes pour rien, nous ne savons rien, et sur le vaudou encore moins ». Plus enquiquinant est le journaliste de La Stampa. Il n’y a pas eu de nouvel article depuis cinq jours mais Dr. Nut doute que le nommé Lorenzo Antonetti ait lâché l’affaire.
Le reste de la journée fut à l’avenant, toute son équipe occupée à chercher des gens qu’on ne connaissait pas hier et dont il sait que si ses gars ne mettent pas la main dessus avant demain, les chances de les retrouver tout court et en vie seront déjà diminuées de 80 %.
Mais voilà qu’arrive Heidi, le jeune gars de son équipe à qui il a confié la surveillance de l’agence de Dubois à Belleville et qui s’est entiché de la nouvelle architecte, une Ukrainienne dont Dr. Nut a oublié le nom. Les méthodes de son jeune collègue sont vraiment limites mais bon. Il a appelé tout à l’heure pour dire qu’il avait des infos et il avait l’air content de lui. Ce qui n’est pas difficile, il est toujours content de lui. Les temps ont bien changé, soupire le policier qui se sent vieilli, usé, fatigué tout à coup. Bref voilà Heidi qui arrive.
– Salut Patron.
– Salut Heidi. Une bière ?
– Oui mais ne bougez pas patron, je sais où elles sont.
Finalement son air si enjoué finit par inquiéter Dr. Nut.
– Alors ces bonnes nouvelles dont tu m’as parlé.
Il ne peut s’empêcher de sourire en voyant la banane de sa jeune recrue.
– Bon, ça se passe bien avec ton Ukrainienne ?
– Oksana, Oksana Shevchenko elle s’appelle. Justement, entre elle et moi, ça se passe très très bien. Je peux même aller la chercher à l’agence, où tout le monde me connaît maintenant, et ça me permet de fouiner à droite à gauche quand tout le monde est parti. Bref, nous avons passé nos premières nuits ensemble dans un hôtel rue Vivienne, dans le 1er arrondissement. Elle était étonnée, et un peu troublée, de devoir aller à l’hôtel mais je lui ai expliqué que j’étais en colocation avec d’épouvantables célibataires et que ce n’était pas top pour la recevoir. Elle m’a dit louer un petit appartement mais elle ne voulait pas au début m’y emmener ni me dire l’adresse. Je crois qu’elle se méfiait de ce coup de foudre inopiné. Aujourd’hui, elle a un peu plus confiance, cela va encore mieux entre nous et j’ai passé chez elle la nuit dernière.
– Et c’est pour me dire ça que tu viens jusqu’ici ?
– Oui, exactement. Elle a un appartement charmant, au 147 rue du Chemin vert, à Paris, dans le XIe arrondissement. Alors ce matin, après son départ pour l’agence, j’ai tenté de retrouver le propriétaire de l’appart parce qu’elle m’a dit hier soir, à ma grande surprise, que la location est particulièrement bon marché. Elle m’a dit ne pas connaître le proprio, que l’appartement était prêt pour elle et l’attendait, que l’agence DUBOIS&MOI avait tout organisé. Elle trouve ça super ! « C’est la classe, non ? », dit-elle. Alors ce matin, j’ai tenté de retrouver ce généreux propriétaire. J’ai suivi l’adresse de l’agence indiquée sur la quittance, j’ai interrogé la concierge mais au fil de mes recherches, je me suis finalement retrouvé aux Îles vierges où la trace se perd. Mais c’est justement en allant vérifier dans vos notes vos propres recherches que j’ai fait une découverte.
Dr. Nut s’est levé, va chercher deux bières dans le frigo pour se donner une contenance. Heidi aurait trouvé dans ses notes quelque chose qui lui aurait échappé, à lui ? De fait, l’adresse lui dit quelque chose mais quoi ?
– L’adresse me dit quelque chose mais je ne sais plus quoi, dit-il.
– Je vais vous le dire, j’ai tout vérifié trois fois pour ne pas vous donner de fausse joie : 147 rue du Chemin vert Paris (XIe), c’était déjà l’adresse d’Hilda De Jong, qui travaillait chez Dubois avant de disparaître en 2020. La même adresse que Oksana et, j’en suis certain, le même appartement, à dix minutes à pied de l’agence et de l’appartement de Dubois. Vous vous souvenez d’Hilda, je suis sûr…
Dr. Nut est scié…
– Et comment…
– Ce n’est pas tout, reprend Heidi. Hilda a disparu en 2020, pas si longtemps en fait après le divorce de Dubois. Une fois divorcé, je ne sais pas comment il aurait pu monter si vite une affaire jusqu’aux Îles vierges pour acheter cet appart près de chez lui puisqu’il n’habitait pas encore Belleville. Cela signifie donc selon moi qu’il est propriétaire – ce qui reste à prouver – de cet appartement depuis plus longtemps, depuis des décades peut-être, quand il vivait encore rue Guynemer ou avait son agence à la Cité de l’ameublement. Ce type est un génie du crime au long cours. Depuis combien de temps a-t-il cet appartement sans que personne n’en sache rien ? Comme celui où il vous a retenu prisonnier ? Combien en a-t-il de ces appartements planqués dans Paris, nous ne le savons pas mais là, nous en avons un, et la jolie Oksana juste dedans.
– Attention Heidi, il ne s’agit pas de la mettre en danger.
– Patron, il faut que je vous dise, c’est parti comme un joli coup de police, mais elle est vraiment formidable cette fille…
– À peine arrivé à Paris, déjà amoureux le Nantais, soupire Dr. Nut plus heureux avec cette nouvelle qu’il ne le fût depuis des années maintenant qu’il court après Dubois.
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Jeudi 15 février, 00h24, heure de Rio de Janeiro, dans la chambre 1728 de l’hôtel Ricano
Aïda voudrait appeler Dr. Nut pour lui raconter tout ce qui s’est passé ces derniers jours. Mais il est 4h du matin à Paris et elle a besoin de se mettre les idées au clair avant de lui parler. Debout sur le balcon, alors que dehors la plage et la ville sont illuminées de mille feux, elle revoit comment les évènements autour de Dubois et Gloria se sont bousculés, surtout aujourd’hui.
Elle a enfin retrouvé la piste du duo infernal grâce à un post Instagram de Gloria posté il y a deux jours, une photo d’un coucher de soleil vu d’une chambre d’hôtel. Sur la photo, une piscine à débordement avec une vue spectaculaire sur la mer et au loin les montagnes emblématiques de Rio (Dois Irmaos). La photo est prise derrière une baie vitrée, exactement comme la mienne ici ! Dans l’image, il y avait le reflet de Dubois derrière elle. À peine visible mais suffisant pour confirmer qu’ils étaient là, tous les deux. Transmis aussitôt à Thiago, il ne lui a pas fallu longtemps pour identifier l’Hôtel Ricano sur la plage d’Ipanema à Rio, l’hôtel favori des stars de passage. Nous étions donc convenus de nous y retrouver tous les deux aujourd’hui. « J’ai réservé deux chambres », dit-il et en effet, en arrivant elle avait une chambre au 17ème étage et un message pour le retrouver – discrètement, c’était souligné – un peu plus tard au bar.
Après le retour d’Ilha Grande – et ce fut une aventure en soi – le temps de prendre une douche et elle avait retrouvé Thiago, installé au bar, sirotant une bière.
En l’apercevant, Aida eut un élan d’affection, enfin une présence rassurante. Lui aussi avait l’air content de la revoir. Elle s’est demandé comment la police brésilienne pouvait se permettre deux chambres dans cet hôtel – et elle eut une pensée pour Dr. Nut, un appart à la Courneuve, un bureau poussiéreux – mais n’a pas posé de question.
Bref, il lui a offert une Caïpirinha, « la boisson officielle du Brésil », dit-il. L’atmosphère était détendue et ils ont échangé sur les derniers jours, ses découvertes à lui et la stratégie à mettre en place puisqu’il leur fallait bien considérer que Dubois, qui était dans l’hôtel, a-t-il confirmé, était sans doute bel et bien étranger à tous ces meurtres. Thiago avait cependant un air narquois dans les yeux. Un peu vexée, Aïda lui demande pourquoi. « Tu as vu le tumulte devant l’hôtel en arrivant ? », demande-t-il. À son arrivée, en effet, elle a vu une bonne dizaine de journalistes agglutinés devant l’entrée, micro en main ou caméra à l’épaule, retenus par des vigiles derrière un cordon. Elle a imaginé qu’ils étaient là pour une star de passage, « c’est l’hôtel des stars », avait dit Thiago. « C’est le début de la pagaille », dit-il enfin avec un sourire équivoque. « Tiens, regarde qui traverse le hall ». Aïda comprit alors qu’il s’était installé de façon stratégique pour pouvoir observer l’entrée de l’hôtel sans être repéré, malgré sa taille et ses biceps. Tournant son regard comme le sien, elle les a vus, Gloria et Dubois, qui venaient d’apparaître et traversaient le hall menant à l’entrée.
Ils étaient tous deux impeccablement habillés. Gloria portait une robe en soie blanche, dos nu, qui flottait gracieusement autour d’elle. Elle avait les lèvres teintées de rouge et ses cheveux blonds relevés laissaient apercevoir ses fines épaules bien dessinées. Ses chaussures à talons claquaient légèrement sur le marbre. Dubois, de son côté, portait une chemise blanche et un pantalon en lin assorti. Ils étaient parfaitement coordonnés, comme un couple de stars de cinéma. Il lui tenait légèrement le bras.
Ils étaient à peine dehors qu’ils furent assaillis, la sécurité tentant tant bien que mal de contenir les journalistes. LES JOURNALISTES ÉTAIENT LÀ POUR DUBOIS ET GLORIA !!!!!!!! Aïda n’avait pas été la seule à repérer le post de Gloria et, a expliqué Thiago, après la parution il y a trois jours d’un article dans un magazine à sensation, la présence d’un potentiel « tueur en série français » à Rio s’est répandue comme une traînée de poudre. Avec Thiago, Aïda a observé la scène de l’intérieur sans se faire remarquer. Les journalistes cernaient Dubois et Gloria et les assaillaient de questions mais Dubois et Gloria sont restés souriants et imperturbables – ils devaient déjà être au courant de l’animation à leur sujet, Gloria est brésilienne après tout – et ils se sont calmement dirigés vers le taxi qui les attendait. « Ne t’inquiète pas, mes hommes les filent discrètement, tu peux te détendre, profite de ton séjour ici », dit Thiago en souriant. « Allons manger ».
De fait, dès que Gloria et Dubois eurent quitté l’hôtel, l’agitation est rapidement retombée, mais les deux policiers étaient à peine installés que les choses se sont compliquées. Une femme, qu’ils n’avaient pas repérée, s’est approchée de leur table avec un étrange sourire aux lèvres. Elle s’est penchée vers Aïda, lui a tendu sa main avant de se présenter : « Bianca Bertoldi, journalist, Diário Catarinense. « Enchantée », that’s how you say it in French, isn’t it? ». Thiago et Aïda en sont restés muets de stupéfaction mais Bianca a continué avec aplomb : « May I sit with you? » Et elle était déjà assise.
Elle a expliqué qu’en étudiant d’abord le cas de Léonie Meunier à Florianopolis, elle avait fini par les repérer, « un type comme Thiago avec une jolie Française ne passent pas exactement inaperçu ». « J’ai compris rapidement que vous étiez des flics – regardez-vous – et je ne me suis pas trop étonnée au début qu’une policière française soit présente, je pensais qu’elle était là pour Léonie Meunier, dont on avait découvert le corps sur une plage. Mais on vous a aussi vus à Paraty et maintenant, pourquoi ne suis-je pas étonnée de vous retrouver dans l’hôtel où sont arrivés Gloria et Dubois ? En tout cas, j’ai compris que vous n’étiez pas là pour Léonie Meunier mais pour Dubois. La question est : pourquoi ? », dit-elle.
Voilà une journaliste qui a oublié d’être conne, se dit Aïda rageusement.
Bianca a tenté de tirer les vers du nez de Aïda et d’obtenir des infos sur Dubois mais elle a vite compris qu’elle n’obtiendrait rien et bientôt Thiago s’apprêtait à la renvoyer à ses études quand, avec un sourire sardonique, elle sortit une photo de son sac qu’elle posa sur la table devant eux. Avant qu’ils aient le temps de réagir, elle poursuivait : « Julie Durantin, Française, 24 ans, retrouvée morte hier soir à Copacabana. Je crois avoir compris que Dubois aime les blondes… Vous n’auriez rien à me dire à ce sujet ? ». À ce moment-là, Aïda ne sait plus si ce qui l’a glacée était la vue d’un nouveau corps, le fait que cette journaliste ait une longueur d’avance sur eux dans l’enquête ou qu’elle ne soit plus du tout incognito dans ce pays, sa couverture explosée.
Sur la photo, une jeune femme, blonde, gisait sur un lit, nue, presque apaisée, comme si elle dormait, mais ses yeux, grands ouverts, fixaient le vide. « Une Française, Julie Durantin, je vous passe les détails, le monsieur ici – dit-elle en montrant Thiago du menton – saura les retrouver plus vite que moi ». Les questions de Bianca sont alors devenues de plus en plus pressantes : « Pourquoi êtes-vous ici ? » « Pour qui travaillez-vous réellement ? » « Pourquoi ne pas arrêter Dubois ? Vous attendez qu’il tue tout le Brésil ? ».
Aïda est restée mutique. La manière dont la journaliste insistait, son ton, tout indiquait qu’elle n’avait pas l’intention de s’en laisser conter, ni de les lâcher. Thiago lui a finalement fermement, en portugais, intimé de les laisser. Bianca leur a quand même laissé sa carte et récupéré sa photo.
« See you soon », lança-t-elle en partant avec son sourire faux-cul.
Une autre femme blonde qui disparaît dans le périmètre de Dubois. Une Française qui plus est. C’est dingue ! De retour dans sa chambre, Aïda a fait quelques recherches, l’a retrouvée sur Facebook, Julie Durantin, elle était en échange universitaire ici depuis le début de l’année. Rien d’autre. Comment Bianca était-elle déjà au courant de sa mort ?
S’agit-il encore une fois d’une coïncidence ? S’agit-il encore de simples statistiques ? Et comment Dubois, qui ne connaît pas cette ville immense, s’y serait-il pris pour tuer cette Julie ? Et pourquoi ? Et Gloria dans tout ça ?
Aïda ne sait plus trop quoi penser ni trop ce qu’elle doit faire. Elle en a perdu l’appétit et elle se sent désemparée et pense soudain avec nostalgie à son labo, elle était bien pourtant dans le labo textile de la police scientifique et la voilà qui chasse après un crime odieux après l’autre. Thiago parti se renseigner sur cette nouvelle victime potentielle, ayant fini ses propres recherches, désœuvrée, elle en a profité pour faire un tour à la piscine, nager étant une bonne manière de se détendre et retrouver sa lucidité. Elle a ensuite fait un tour du quartier, acheté quelques bricoles, a dîné léger, vu Dubois et Gloria à la télé dans les infos locales, puis attendu impatiemment l’heure d’appeler Dr. Nut. Bientôt 6h du mat à Paris. Maintenant, toute cette réflexion l’a épuisée et elle se sent inquiète. « Je l’appellerai demain matin au réveil, j’aurais les idées plus claires », se dit-elle enfin, se sentant un peu coupable sans savoir de quoi.
Elle sait que Thiago est rentré à l’hôtel, qu’il travaille encore à cette heure-là, c’est du moins ce qu’il lui a dit. Elle repense au corps de Julie Durantin, et à tous les autres, et n’a nulle envie de passer la nuit seule.
Quelques secondes plus tard, elle frappait discrètement à la porte de la chambre 1730.
(À suivre)
Secrétariat du 22
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