
L’architecte Dubois, en vacances au Brésil, est harcelé par la presse qui soutient qu’il est un tueur en série de femmes blondes. Fake news ? Cela est vrai en France mais il n’a encore tué personne au Brésil, pense Aïda, jeune flic du 22, lancée à ses trousses. (Cha. X).
Retrouver les personnages à l’œuvre
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« La simplicité ne consiste pas tant à négliger ce qui est complexe qu’à clarifier ce qui importe ».
Glenn Murcutt
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Chapitre X
Samedi 17 février, 15h (heure de Paris), dans le bureau du chef
– Merci Nut d’être venu, je sais que c’est samedi.
Le grand chef policier est dans sa position habituelle, du haut de son bureau dans le TGI, il regarde au-delà de la banlieue, vers sa chère Normandie et apparemment, se dit Dr. Nut, ce n’est pas encore ce week-end qu’il ira y rejoindre madame et les enfants.
– De rien. Comment vont Madame et les enfants ?
– Ils vont bien. Ils sont en Normandie…
Un ange passe…
– Bon, dit le chef, venons-en aux faits. Vous savez pourquoi je vous convoque ?
– Dubois j’imagine.
– Dubois évidemment. C’est la pagaille au Brésil. Au fait, comment êtes-vous arrivé si vite ?
– J’étais à mon bureau, j’ai pris l’ascenseur.
– Vous étiez au bureau, un samedi ? On ne fera jamais de vous un bon fonctionnaire Dr. Nut.
– Je sais mais c’est la pagaille au Brésil.
– Oui, et Dubois qui passe à la télé, avec… comment s’appelle-t-elle déjà ? Isabella quelque chose…
– Gloria, Gloria da Silva.
– Ah oui, Gloria. La presse en est devenue dingue. C’est la panique, Dubois l’architecte, un Français, serait un tueur en série ! La télé, les magazines, les gazettes à scandales, tout le monde en fait des choux gras et en rajoute. J’ai même arrêté de lire toutes les traductions d’articles que m’envoie l’ambassade. Le ministre m’a appelé pour en savoir plus. Je lui ai dit ce que vous avez écrit dans votre rapport reçu hier soir – c’est pourquoi je vous croyais aujourd’hui à la maison… (« à la maison » ? il est troublé le chef se dit Dr. Nut) – mais en y repensant, je voulais revoir les faits avec vous parce que si ça continue, le ministre il va me rappeler ! Bref, vous êtes certain, absolument certain – y compris Aïda sur place et son partner bodybuildé – que Dubois n’est pour rien dans ces morts mystérieuses ?
– Oui, autant que l’on peut être certain de quoi que ce soit avec Dubois. Merci d’ailleurs à Thiago, le partner Bodybuildé d’Aïda, qui est d’un plus haut niveau que je ne le pensais au début, y compris, c’est mon impression, au sein de la hiérarchie. Il demeure cependant des parts de mystère. Par exemple la mort de Léonie Meunier, celle qui a été retrouvée sur la plage près de chez Gloria où résidait Dubois, n’a pas encore été élucidée. C’est elle pourtant qui a tout déclenché mais rien n’indique que Dubois y soit pour quelque chose. Il y aurait également une autre équivoque – c’est pourquoi il nous faut éviter le mot mystérieux qui prête à confusion, vous avez vu la traduction en portugais au Brésil – car Dubois et Gloria étaient bien dans l’hôtel où est décédée la femme de chambre mais l’enquête se dirige vers un employé de l’hôtel qui la harcelait sur les réseaux sociaux ; elle avait porté plainte mais là-bas comme ici, tout le monde s’en fout de ces plaintes, apparemment elle ne savait pas que son harceleur était son collègue, qu’elle voyait tous les jours, qui la harcelait à peine rentrée chez elle… Il aurait fini par passer à l’acte en la droguant. Elle en est morte mais les preuves manquent encore.
– Une triste histoire qui, je l’espère, ne donnera pas des idées à tous les tarés que nous avons ici. Continuez.
– À Paraty, nous savons avec certitude que le premier meurtre est un féminicide, le mari a été retrouvé, il a avoué. Rien que nous ne connaissions déjà nous-mêmes.
– Hélas. Et cette femme dans sa boutique – une vieille dame !!! – dont la presse a dit que c’était un meurtre de Dubois maquillé en suicide.
– C’est un suicide. D’ailleurs si ces journalistes pouvaient interroger Thiago et Aïda, ces deux-là n’auraient aucun mal à dissiper toutes les rumeurs.
– Je vois, laissez-moi y réfléchir. Et cette Julie Durantin, vous êtes certain que ce n’est pas Dubois ?
– J’ai beaucoup de respect pour Dubois, vous le savez, car comme tueur en série, dans le genre, c’est la ligue des champions, nous n’avons même pas une trace de sang ! Et sans la réapparition du corps de Gina à Turin, nous en saurions encore moins. Cela dit, nous savons qu’il n’est pour rien dans tous ces meurtres, de toute façon, sa proie, c’est Gloria, elle a un tour de taille en or qui l’attend à Paris.
– Mais Julie Durantin…
– Voyons, Dubois est arrivé à Rio le soir même de la mort de cette Julie, étudiante en échange universitaire à Rio. Comment Dubois, accompagné de Gloria, à peine arrivé dans une ville qu’il découvre pour la première fois, dont il ne parle pas la langue, aurait-il eu le temps à peine rentré à son hôtel – les caméras de surveillance en témoignent – d’aller tuer Julie dans son appartement ? Certes elle habite à environ 20 minutes de son hôtel mais il faudrait imaginer que Dubois, à peine arrivé trouve sa victime, trouve son chemin pour la rejoindre, trouve l’appartement de la petite, y pénètre on ne sait comment et la tue on ne sait pas pourquoi parce qu’il n’a vraiment pas le temps de s’amuser avec puisqu’il lui faudrait la déshabiller vite fait et rentrer à l’hôtel, tout ça en moins d’une heure puisqu’il est vu au bar avec Gloria une heure après leur arrivée.
– Mais comment expliquer un tel concours de circonstances ?
– Comme pour Léonie Meunier. Si Julie avait été black ou asiatique, nous n’aurions jamais fait le rapprochement avec Dubois. Si nous cherchons des blondes qui se font assassiner dans un périmètre autour de Dubois dans une ville de 30 millions d’habitants, on a de grandes chances d’en trouver plusieurs…
– Et des Françaises une fois de temps en temps ?
– Et des Françaises une fois de temps en temps. La communauté française installée au Brésil, principalement à São Paulo et Rio de Janeiro, compte 30 000 personnes et, selon l’ambassade de France au Brésil, deux millions de Brésiliens ont des ascendants français, alors la loi des grands nombres…
– Il en faudra peut-être plus pour convaincre le ministre. En attendant, je vous informe que l’avocat de Gloria da Silva, et je suppose aussi celui de Dubois l’architecte, a déclaré à l’ambassade qu’il allait aujourd’hui publier un communiqué indiquant que ses clients n’ont absolument rien à voir avec tout ce dont on les accuse, sans preuve, et qu’ils se réservent le droit de poursuivre pour diffamation quiconque affirmera le contraire. Pour autant, je me demande si, comme vous l’évoquiez, ce ne serait pas une bonne idée de laisser ce Thiago et Aïda dégonfler la baudruche.
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Dimanche 18 février, 18h02 (heure de Rio), à l’aéroport international du Galeão
Aïda est installée dans la salle d’attente de sa porte d’embarquement, le bruit des annonces de vols en fond sonore. Devant elle, son ordinateur ouvert, les yeux concentrés sur son rapport pour Dr. Nut. Son vol est dans une trentaine de minutes et elle prend le temps de prévenir son chef par mail qu’elle part pour Brasilia.
Bonjour chef,
Comme convenu suite à notre échange de vendredi, nous avons vérifié Thiago et moi les vidéos de surveillance de l’hôtel, Dubois y rentre le soir et n’en ressort que le lendemain matin, ce qui confirme notre hypothèse qu’il n’a pas pu rejoindre l’appartement de Julie Durantin. La police locale a pris le relais, Thiago s’est assuré qu’elle nous rappelle s’il y a le moindre doute. J’ai comme convenu informé le consulat.
« Para você, querida ». Aïda lève les yeux, elle n’avait pas vu arriver Thiago qui lui tend une bouteille d’eau gazeuse, un sourire au coin des lèvres avant de s’asseoir à ses côtés. Depuis leur nuit imprévue de jeudi soir, ils ont repris leur routine de travail et leur chambre séparée mais le regard de Thiago est depuis teinté d’une chaleur différente, difficile à ignorer. Aïda se sent de plus en plus attachée à lui, une complicité qui dépasse largement celle d’une relation professionnelle, même si elle n’a encore jamais eu de ‘partner’ comme dans les films. Elle ne regrette rien mais elle se demande quand même ; a-t-elle dépassé les limites ? Et si Dr. Nut l’apprend ? Est-ce juste un coup d’un soir ?
Dubois et Gloria ont effectué vendredi des visites architecturales. Thiago a récupéré une voiture et nous pouvions les filer facilement, il a y tellement de monde et de circulation ici, aucune raison qu’ils aient remarqué notre présence. Bien qu’on ait croisé quelques journalistes, la pression semblait plus détendue.
En fait, ces visites furent aussi l’occasion pour Aïda de voir enfin un peu du pays ! Les grands classiques de Rio : Ipanema, Copacabana mais aussi la Casa de las Canoas de Niemeyer, Cidade das Artes de Portzamparc, et le Palácio Gustavo Capanema de Lucio Costa, elle aussi découvrait les chefs-d’œuvre de l’architecture brésilienne. Elle en a profité pour faire un reportage photo à sa sœur architecte, Sofia, qui en mourait de jalousie de son voyage. Et puis évidemment, les commentaires de Thiago pleins d’esperanto…
Vendredi soir, Dubois et Gloria sont restés dîner à hôtel. Là, à notre grande surprise, ils ont été rejoints par un jeune homme que nous avons d’abord pris pour un ami, un collègue ou un client, mais la ressemblance physique était troublante. Quelques recherches et connexions plus tard, j’avais retissé le fil : Ulysse Dubois ! Le fils de Dubois qui vit au Brésil depuis 2018. Une certaine distance était palpable entre le père et le fils, ce dernier semblait perdu dans ses pensées, Gloria mal à l’aise. Ulysse est finalement parti avant le dessert.
Aïda a retrouvé dans le dossier de Dubois, qu’elle a depuis longtemps scanné sur son ordi, que le père et le fils ne s’étaient pas vus depuis longtemps. Ce dîner était-il prévu ? Ou bien a-t-il été organisé car Ulysse les a vus passer à la télé ? Savait-il que son père était au Brésil ? Pas étonnant d’être perturbé, avait-elle pensé avec une pointe de tendresse, s’il a découvert par hasard aux infos que son père était 1. à Rio, 2. soupçonné d’être un ‘serial killer’.
Samedi, Dubois et Gloria ont poursuivi leur itinéraire architectural, cette fois de l’autre côté de la baie de Rio pour visiter le Musée d’Art Contemporain de Nitéroi de Niemeyer. Nous les avons attendus un long moment à l’extérieur et pendant ce temps-là nous avons vu des petits groupes de journalistes s’agglutiner devant l’entrée du musée. Dès la sortie de Dubois et Gloria, qui semblaient ne pas s’y attendre, la meute s’est mise à les harceler de questions, de flashs, et de caméras.
La tension était plus que palpable, les journalistes s’agitaient, certains criaient, posant des questions provocantes, en français parfois :
– Monsieur Dubois, êtes-vous un tueur en série ?
– Gloria, vous sentez-vous en sécurité avec lui ?
– Avez-vous un message pour les Brésiliens qui s’inquiètent de votre présence ?
Bref tout le monde s’échauffait, l’agitation attirait les passants qui les reconnaissaient, et Dubois, visiblement agacé, tentait en vain de percer la foule pour s’éloigner avec Gloria, qui finissait par ne plus trouver cela drôle. Ne voyant pas d’autre solution pour faire baisser la tension et craignant le pire, Thiago a alors pris les devants pour évacuer Dubois et Gloria.
Aïda revoit la scène, la situation était hors de contrôle, les journalistes ayant avalé les deux architectes. Comme la situation allait dégénérer, Thiago a murmuré à l’oreille d’Aïda « je n’ai plus le choix » avant de s’élancer dans la foule, badge de police en main, en criant à pleine voix : « Policia Policia ! Dexiem passar !!! » Et quand Thiago se met en mouvement…
Les journalistes, surpris et impressionnés, ont ouvert le passage. Le colosse, en tout cas c’est ce à quoi il ressemblait à ce moment-là, a chopé Dubois et Gloria, dont les visages trahissaient la plus totale incompréhension, avant de les guider sur la cinquantaine de mètres qui les séparait du premier taxi. Il leur ouvrit la portière, les poussa à l’intérieur, donna un ordre au chauffeur – l’adresse de l’hôtel Ricano, Aïda le sait maintenant – et, juste avant de les laisser partir, il leur a déclaré, dans son esperanto compréhensible par tous : « Inspector José Luiz da Silva, on se recroisera bientôt ». Et savez-vous ce que lui a répondu Dubois ? « Bien sûr, ce n’est jamais aujourd’hui que la seconde fois ». Dubois s’est donc souvenu de l’avoir déjà vu à Paraty.
Bref, nous voilà donc totalement démasqués aux yeux de Dubois et Gloria qui savent désormais que nous sommes la police. Nous sommes rentrés tard à l’hôtel, espérant ne pas les croiser. Et puis dimanche matin, un fonctionnaire a annoncé à Thiago que Dubois et Gloria avaient pris un vol pour Brasilia. Ils ont certainement fui Rio exaspérés par la pression des journalistes. Thiago et moi avons pris les premiers billets dispos pour les suivre et nous décollons d’ici peu.
Maintenant quelles sont vos recommandations ? On la joue comment avec les journalistes ? Et avec Bonnie and Clyde ? :-)
@ bientôt
Aïda
Aïda relit son mail et l’envoie.
« Last Call for Brasilia ». La queue s’est réduite à son minimum et Thiago et Aïda se lèvent pour embarquer quand, derrière eux, une voix s’exclame : « Just in Time ! ». Surpris, les deux policiers se retournent pour voir arriver, tout sourire, Bianca Bertoldi, la journaliste de Florianopolis qui les traque, son petit bagage et son ‘boarding pass’ à la main leur grillant la politesse.
Aïda se lève sur la pointe des pieds pour murmurer à l’oreille de Thiago, qui se penche obligeamment : « Comment dit-on ‘Et merde’ en Esperanto ? »
Secrétariat du 22
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