Colbert se battait pour terminer le Louvre pendant que Louis XIV n’avait d’yeux que pour Versailles ! Gageons que le grand Colbert contrôleur général des finances, garde un œil sur les grands travaux de l’État. La consultation pour la nouvelle entrée du Louvre est partie. Est-elle bien partie ?
Je ne formule qu’un vœu, celui de voir l’architecture française rayonner.
Rayonner comme il se doit dans le monde, pour cela il faut que l’État la soutienne, c’est son rôle, sa responsabilité, son devoir.
Il ne faut jamais oublier que l’architecture se commande. C’est l’évidence sauf qu’aujourd’hui, la pensée relativiste ayant frappé ici comme ailleurs, plus personne ne sait ce qu’est l’architecture et ce qu’elle doit exprimer. Le réflexe est alors bien naturel d’aller voir ailleurs en quête d’exotisme, nordique ou sudiste. En fait rien de nouveau, les grands concours internationaux des années quatre-vingt suscitaient un véritable intérêt et pas loin de mille réponses étaient soumises à l’évaluation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ou un jury sélectionnera cinq équipes, parmi plusieurs centaines. Comment ? Pourquoi ne pas dire tout de suite qui l’on veut ? Qui est attendu ?
Ceci est une adresse au maître d’ouvrage. Le Louvre est un vaisseau amiral français ! Si vous savez ce que vous voulez, dites-le ! Jack Lang est allé chercher I.M. Pei, le fait du Prince. Pour le projet de la nouvelle entrée du Louvre, les langues déjà se délient, on attend des « grands noms ».
À la question c’est quoi l’architecture pour vous ?
Je répondrais que je suis baroque, « baroque moderne » car aujourd’hui il faut assumer ce que l’on dit. Baroque parce que je ne parle pas de « la question de la ville », de la question du « réchauffement climatique », de la question « du logement » ou de celle de la construction ou de la place de la nature dans l’architecture mais j’en fais la substance de ma démarche. Pour moi l’architecture est une expérience, celle d’une culture qui a su toujours composer avec son histoire. Le sens et l’émotion trouveront leurs places au bon moment. De l’avis général, l’architecture va mal, pourrons-nous redresser la barre ? L’occasion nous est donnée, il faut changer de cap et commencer par dire qu’aujourd’hui nous avons appris de nos errements et que nous sommes fiers de l’architecture française, de ce qu’elle a été, de ce qu’elle peut être ! Encore faudrait-il être en mesure d’en parler avec Colbert, avec Claude Perrault, celui du pavillon de l’aurore à Sceaux celui de la colonnade qui porte son nom et par laquelle se faisait l’entrée historique du Louvre, à l’époque une entrée en surface.
Une occasion et aussi un risque : celui de passer à côté d’un débat qui mette en scène l’histoire, l’actualité et l’image de la France.
Pourquoi ce désamour ?
Il y a un préalable à remplir : comprendre qu’il n’y a rien à attendre de l’extérieur. L’idéologie mortifère nous vient de l’extérieur, le réveil doit se faire de l’intérieur. À avoir voulu la table rase, évacuer la beauté, le sens, n’être que dans la vérité du matériau, l’architecture se retrouve nue et nous pensons qu’ailleurs c’est mieux, que là-bas l’architecture a pu s’exprimer, nous envions les Aalto, Wright, Scharoun, Kahn, Mies van der Rohe, Utzon, Scarpa… Ils ont enrichi notre regard sur le monde, ils font aussi partie de notre patrimoine, de notre culture. Alors se pose une question qui interroge un demi-siècle d’architecture contemporaine : de quoi sommes-nous fiers ? De la Grande Arche inadaptée aux usages, de Beaubourg qui commence sa deuxième rénovation complète, du parc de la Villette, du siège du journal Le Monde, du Centre Gaîté à Montparnasse, de l’opéra Bastille, de la rénovation de Sully-Morland ou du naufrage des mille arbres sur le périphérique ? Et que dire du carré d’Art à Nîmes ou de la tour LUMA à Arles ?
La pyramide du Louvre il est vrai, est une belle réussite symbolique et technique, c’est une mauvaise idée d’entrée.
Nous devons être fiers : du Louvre, de l’Institut, de Vaux-Le-Vicomte, de la place de la Concorde, de la place Stanislas, de l’opéra Garnier, de la Tour Eiffel, du Quai d’Orsay, du Grand Palais… de Ronchamp, de la Fondation Cartier, de l’Institut du monde arabe… du Stade de France… de notre élégance, de notre rigueur… Nous avons la rigueur de Descartes et la fantaisie des Dior.
La France a trente mille Architectes.
Quel est le pays au monde qui pour la conception d’un projet hautement symbolique commencerait par rechercher les architectes étrangers ?
Cela n’existe nulle part ailleurs. Le petit milieu s’excite, les équipes se constituent, elles doivent être suffisamment prestigieuses pour satisfaire la manière dont le maître d’ouvrage se représente sa fonction ! Il nous faut un Japonais, deux Américains, un Anglais, un Australien, des Suisses et un Espagnol.
Signe de quoi ?
Avant les vacances, le « mercato » est ouvert ! Il n’y a en France qu’une dizaine de grands bureaux d’études ; pris d’assaut pour le projet du Louvre, ils mesurent les chances des uns et des autres, ils ne prendront aucun risque. « Désolé mais vous n’êtes pas attendu ! », répondent-ils aux impétrants.
Il faudrait donc pour une agence française aller chercher un bureau d’études américain ou polonais pour être entendu ?
Paradoxe du temps présent en France !
Où est Colbert ? C’est lui qui a choisi le modeste et talentueux architecte de la colonnade. Il ne faut pas scier la branche sur laquelle on est assis, mais il n’y a plus de branches ! Le développement durable, l’écologie, le numérique, l’imagerie et l’IA nous ont anesthésiés comme la petite grenouille qui, plongée dans l’eau fraîche n’a pas compris qu’elle allait être ébouillantée. Que personne ne bouge et tout ira bien.
Les monuments les palais les châteaux c’est nous !
Chenonceau, Azay-le-Rideau, Fontainebleau, Versailles… les Invalides… c’est nous ! Pour autant, notre modernité aura été timide faute de Colbert. L’architecture se commande, elle ne tombe pas d’un autre « ciel ». Il ne faut pas se tromper : Louis XV et Stanislas savaient ce qu’ils voulaient.
Ce n’est pas politiquement correct de le dire et pourtant il n’y a rien de plus vrai. Nous avons été fiers du Normandie, du France, de nos Concorde, du TGV.
Soyons fiers d’une architecture que nous avons transformée en patrimoine et à laquelle nous devons apprendre à redonner vie, car être baroque ce n’est rien d’autre que cette capacité à créer du lien, de la continuité, tout en étant résolument moderne.
Oui il y a une autre modernité possible, attentive, surprenante, émouvante… une modernité incarnée porteuse de sens qui utilise tous les moyens disponibles pour arriver à ses fins, et proposer un grand projet.
Nous avons la chance d’avoir les meilleures entreprises du monde, nous ne devons pas avoir peur de dire que nous avons les meilleurs architectes du monde car ils ont sous les yeux les plus belles villes, les plus beaux monuments. Il faut leur donner l’occasion de s’exprimer librement, pas dans de faux duos imposés par la maîtrise d’ouvrage pour se faciliter la tâche. L’enjeu est important, c’est l’image de la France qui se joue.
La France a le projet de se réindustrialiser et l’architecture comme démarche aura comme hier son rôle à jouer pour donner envie de retrouver de la beauté, du lien, de nouvelles histoires.
Soyons fiers
Soyons simplement fiers de notre histoire et croyons dans l’avenir de l’architecture française car elle doit être nourrie pour advenir, elle n’est pas une immanence. S’il est vrai qu’il y a eu un creux, il est urgent, à la manière du surfeur, de se donner l’occasion de remonter la vague pour à nouveau l’affronter. Il y a un style français il faut le revendiquer : il est fait d’audace, de panache, de beauté, du plaisir de découvrir, de contraste et, surtout, toujours d’une grande justesse de l’échelle.
À l’attention du maître d’ouvrage du Louvre, l’architecture française est sous vos yeux, il faut lui donner l’occasion d’éclore. Ne regardez pas le doigt qui désigne la lune, c’est l’astre qui mérite votre attention. Il faut prescrire l’architecture au-delà du fonctionnement, c’est notre histoire et notre avenir, c’est une aspiration et il faut la conduire jusqu’à son terme. L’astre n’est pas la lune, c’est Colbert qui est convoqué.
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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