C’est à Vatopedi, au mont Athos, dans ce monastère qui demeure aujourd’hui l’un des plus connus des centres administratifs du Mont Athos,* que je rencontre pour la première fois le moine Spyridon. Il parle un peu anglais. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Nous sommes assis lorsqu’il me révèle être le prêtre de Potamos, à Amorgos — une belle église, nichée sur cette île des Cyclades. Depuis cette rencontre, nous restons en contact, et je lui confie mon désir d’explorer son île et surtout de visiter le monastère de Panagia Hozoviotissa : un sanctuaire du XIᵉ siècle accroché à flanc de montagne, suspendu comme une tache blanche, tel un nid d’aigle dominant la mer.

Une architecture organique où la caverne sert d’habitation, où le monastère est construit sur une falaise caverneuse dont la profondeur est égale à celle de la construction, où le dédale des escaliers intérieurs se mêle à la roche : rien n’est autre qu’une architecture spontanée et harmonieuse. Les terrasses offrent des points de vue vertigineux, et l’équilibre y est de rigueur.
Il faut gravir trois cents marches, le long d’une paroi vertigineuse, pour atteindre ce lieu qui s’élève à près de trois cents mètres au-dessus de la mer Égée.
C’est le moine Spyridon qui m’accueille, au seuil de ce monde hors du temps. Les voyageurs de passage viennent visiter l’église et, dans le salon des hôtes, chacun reçoit un verre d’eau fraîche et un petit verre de psimeni raki — une eau-de-vie locale à base de raki, légèrement parfumée aux clous de girofle et à la cannelle — pour se remettre de l’ascension. Ce salon est décoré de portraits et de vieilles photos en noir et blanc des anciens moines, gardiens de mémoire dont les visages racontent à eux seuls l’histoire séculaire du monastère.
À ma grande surprise, Spyridon m’invite à partager le déjeuner en compagnie de deux autres moines venus du Péloponnèse. Le repas, simple, organique et végétarien, se transforme en véritable festin de saveurs : carottes parfumées, pommes de terre, oignons doux, lentilles et fèves, fruits de saison. Spyridon m’invite ensuite à célébrer seul avec lui la messe. Après le déjeuner, une discussion s’étire pendant des heures, oscillant entre la vie intérieure du monastère et les récits du monde extérieur, là-bas, au-delà de la mer Égée.
Lorsque vient l’heure de sa sieste, je découvre avec étonnement que j’ai la liberté de circuler à ma guise dans tout le monastère. Ma curiosité s’éveille aussitôt. Je dessine et j’explore les recoins les plus secrets : les cellules silencieuses, les bibliothèques chargées de manuscrits, les salles de réunion et les terrasses ouvertes sur l’infini. Du haut des remparts, la vue est saisissante : la mer, d’un turquoise éclatant, s’étend jusqu’à l’horizon ; au loin, une île bleutée flotte dans la brume, tandis que les cris d’oiseaux ponctuent le silence. Seule la cloche, suspendue au-dessus de l’abîme, attend l’heure des vêpres pour résonner à travers la falaise.
J’assiste à l’office. Le moine Spyridon entonne les chants, balance l’encensoir, passe d’une icône à l’autre et psalmodie les textes sacrés. Ses gestes sont lents, rituels, comme un souffle qu’il répète jour après jour, trois fois par jour, dans un dévouement immuable. Sous sa toque, il laisse tomber sa longue chevelure et sa barbe blanche, tandis que la fenêtre ouverte laisse entrer le vent des Cyclades. La mer luit au loin, d’un bleu profond, et dans cette église suspendue entre ciel et mer, le temps semble s’être arrêté.
Sur l’île, il y a de nombreuses chapelles peintes à la chaux blanche et en pierre. Beaucoup datent du début de la période byzantine ; d’autres, des XVIIᵉ, XVIIIᵉ ou XIXᵉ siècles. La plupart, construites au XXᵉ siècle, sont simples et blanches : généralement une petite pièce avec un toit de tuiles. Le dôme, contrairement aux autres églises des Cyclades, est constitué de larges dalles sur deux niveaux. La structure finale est peinte à la chaux, souvent érigée avec les pierres des anciens temples.*
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
Toutes les chroniques de Jean-Pierre Heim
* Retrouver toute la série des monastères orthodoxes :
– Les Météores, monastères perchés entre spiritualité, rêve et réalité (Nov. 2024)
– Mont Athos, spiritualité entre ciel et mer (Mai 2025)
– À Amorgos, hors du temps au monastère de Panagia Hozoviotissa (Sep. 2025)
– Les Monastères de Grèce — Exploration et Patrimoine de l’UNESCO (Oct. 2025)






