Dans les petites villes et villages, les maires ont le plus souvent été dépossédés de leur compétence urbaine et architecturale, quand ils ne l’ont pas abandonnée d’eux-mêmes au profit de SEM métropolitaine ou d’agglomération qui ne s’embarrassent pas des détails. A Baillargues, dans l’Hérault, Jean-Luc Meissonnier a fait le choix inverse. Avec un succès incontestable. Portrait.
Une soirée d’août 2017, Jean-Luc Meissonnier, 58 ans, maire de Baillargues en Hérault, reçoit au café, en face de la pizzeria. Le rendez-vous a été obtenu au pied levé le jour même, pour 17h. Nous appendrons incidemment au fil de la conversation qu’il s’agit là de son ancien café. La pizzeria, c’est lui aussi. Au-dessus, des logements. C’était déjà, dans sa vie d’avant, sa façon de façonner son village. Voici l’histoire du cafetier devenu maire.
De Nîmes à Montpellier par la N113, une desserte importante. L’ancienne voie impériale n’est qu’une litanie de lotissements mal gérés et d’éléments de stockage, de boîtes à chaussures, d’hypermarchés et de restaurants génériques en entrée de villes et villages. D’ailleurs, c’est tout le réseau routier qui ressemble à un grand n’importe quoi, donnant l’impression que chaque collectivité locale a tenu, dans une concurrence effrénée, à construire ses propres routes. Sans compter l’Etat puisque l’autoroute vient d’être dédoublée.
A Baillargues, à une vingtaine de kilomètres de Montpellier, surgit un quartier de logements, neuf à l’évidence. Il y a des palmiers. Le dessin des bâtiments respecte tous les codes du logement contemporain, aussi loin que les normes l’autorisent, mais il est clair qu’un effort de qualité, de conception et de mixité a été réalisé.
Surtout, en prise directe avec le centre-ville historique, l’insertion urbaine du projet est remarquable. Le quartier Joseph Suay crée un lien dense, ouvert et efficace entre le centre, accessible à pied en quelques minutes, les zones pavillonnaires des années 70 et le nouveau quartier. «L’insertion dans le tissu ancien de Baillargues était une priorité et la clef du projet», confirme Philippe Bonon, de l’agence montpelliéraine A+Architecture qui a réalisé l’ensemble, livré en 2016.
Le maire, «issu d’une famille baillarguoise depuis plusieurs générations», rentre d’une partie de pêche au gros et explique à loisir les mérites d’une canne plus légère qu’il a commandée au Japon. La Camargue et la mer ne sont pas loin. «Il est important de trouver un architecte qui offre la sensibilité du village, d’une commune rurale. L’architecture contemporaine ne doit pas écraser ce qui était là avant, les jeunes doivent avoir le respect des anciens et proposer une architecture adaptée», argumente le maire.
Ce quartier Joseph Suay dont nous parlons était auparavant un terrain de foot communal et une cave, «une coopérative, qui avait une âme», dit-il. La ruralité, les traditions, notamment taurines, le maire (élu en 2001 sous l’étiquette RPR puis réélu en 2008 et en 2014, au premier tour) les revendique assurément.
«C’était notre crainte d’avoir affaire à un maire ‘tradi’, avec sa culture des taureaux, qui nous impose des tuiles», se souvient Frédéric Devaux de l’agence MDR qui a notamment construit une vaste école maternelle* dans le village. «Ce maire parvient à concilier aménagement et architecture contemporaine tout en gardant une âme et une identité de village», souligne l’architecte.
Cette école, la maternelle Antoine Geoffre, que le maire fait visiter avec passion, est en effet une autre surprise. Dans la cour de récré, une arène stylisée, «que les enfants puissent jouer au taureau».
Là encore, au-delà de la force de l’architecture et de son caractère contemporain affirmé, c’est son insertion urbaine qui rend l’ouvrage novateur. Et de comprendre que dès lors que les intentions urbaines du maire sont respectées, l’architecture contemporaine a toute liberté de s’exprimer. Au fil du temps, de nouveaux bâtiments, d’expériences partagées – MDR a livré dans la même commune une résidence étudiante et travaille sur de nouveaux logements en centre-ville tandis que François Fontès est l’auteur d’une crèche et d’un mini ‘quartier’ de logements sociaux particulièrement réussi -, la vision urbaine de Jean-Luc Meissonnier prend forme.
A charge pour les architectes et promoteurs de l’accompagner dans sa politique sociale. Si proche de Montpellier, le risque pour une commune de cette taille est celui de la cité-dortoir ou de la cité huppée, voire balnéaire. Jean-Luc Meissonnier ne veut ni l’une ni l’autre. Pour les futurs logements conçus en cœur de ville, l’agence MDR explique que «les espaces extérieurs communs ont permis d’implanter et d’imaginer le bâti».
«Une ville est valorisée par les transports en commun, le centre-ville de Montpellier est à dix minutes en TER, mais il faut faire attention à la typologie des logements», explique le maire. Il se méfie de la loi Pinel et préfère «des grands logements pour que les gens restent et s’investissent pour vivre dans le village, pas seulement y habiter». Il constate sans déplaisir que le concept de maison individuelle ‘provençale’ avec jardin et piscine vieillit mal. Selon lui, le logement collectif est la clef du développement harmonieux de sa commune. La ville comptait 5 800 habitants en 2001 à son arrivée, elle en compte 7 500 en 2017.
Sur les 213 logements du projet Joseph Suay, les logements sociaux comptent pour 25% du total, 60% sont en accession et 15% sont réservés aux primo-accédants. Certes, quand il a gagné la mairie en 2001, la commune ne comptait que 3% de logements sociaux et devait répondre de la nouvelle loi SRU. La commune aurait pu, comme d’autres, préférer payer l’amende. Mais si Baillargues compte aujourd’hui 12% de logements sociaux, ce n’est pas tant à cause de la loi que de la volonté du maire de promouvoir la mixité au sein de la population.
S’il sait que la ville va se densifier grâce au TER, «le but est de conforter le bien-vivre ensemble». «S’il n’y a que des gens aisés en ville, pour les cours de musique de leurs enfants, ils auront des professeurs particuliers, tandis qu’avec une population plus diverse, une commune peut se doter d’une école de musique», explique-t-il. Ainsi, d’un point de vue architectural, il ne veut «pas de distinction entre social et résidentiel car c’est source de discrimination». Il insiste pour que tous les logements en cœur de ville disposent de vastes terrasses et soient confortables. Plus tard dans la conversation, il précisera d’ailleurs «que le taureau, il ne fait pas la différence entre l’origine des gens». De fait, durant les fêtes votives, les chevaux non plus ne font pas la différence.
Certes, d’un point de vue patrimonial, la ville entame cet automne la rénovation d’une porte vestige, ancien souvenir des fortifications, et, avec un usage intelligent de ses droits de préemption, est engagée dans un processus actif de réaménagement du centre historique. Mais c’est vers le futur que la ville est tournée. Cent vingt compagnons du devoir sont installés dans un bâtiment flambant neuf signé des architectes Christophe Moralès et Pierre Siméon, inauguré par la ministre du Travail Myriam EL Khomri en mars 2017. La commune compte également 450 apprentis de la métallurgie dans un bâtiment signé NBJ (Elodie Nourrigat, Jacques Brion et Romain Jamot architectes) livré en 2013. Dans l’ancienne maternelle, qu’il n’a pas détruite, va naître la première école de BMX-flat. «Les jeunes insufflent une dynamique», explique le maire, 59 ans. De fait la commercialisation du projet d’A+ a été réalisée en deux mois.
«Je n’ai jamais de recours, ce mal français qui fait souffrir les projets», se félicite le maire. «L’unanimité ne s’obtient pas en saignant les promoteurs, en revanche ils doivent être à l’écoute, recréer de l’âme. J’insiste pour l’usage de la pierre naturelle, je veux de la ferronnerie pas des grillages, je veux des venelles incitatives à la promenade qui ne soient pas des coupe-gorge», dit-il. Comme Meissonnier Jean-Luc est également vice-président de Montpellier Méditerranée Métropole, les promoteurs y regardent à deux fois avant de caresser le maire de Baillargues dans le mauvais sens du poil. De fait, la pierre de Claret, toujours plus stylisée au fil des projets des architectes, rend son identité méditerranéenne au village.
Preuve de son autonomie, le maire garde la haute main sur l’urbanisme de sa ville, même si la nouvelle métropole en a théoriquement récupéré la compétence. Quand la plupart des autres communes de l’agglomération se sont rangées sous le drapeau du groupe SERM-SA3M, qui agit pour le compte de la Ville de Montpellier, de Montpellier Méditerranée Métropole et de ses communes, Baillargues a conservé son indépendance et le maire a, au contraire, développé son service urbanisme.
La SERM-SA3M annonce avoir «pour mission essentielle d’assurer le développement harmonieux du territoire». De nombreux villages voient donc pousser de nouveaux quartiers en périphérie, presque hors-sol, sans attache avec le centre. «Des bombes à retardement», estime Jean-Luc Meissonnier.
«La plupart des communes autour de Montpellier travaillent avec la SERM qui fait la majorité des ZACS. Pour des opérations de 300 ou 400 logements, le maire n’est pas lui-même aux commandes. Jean-Luc Meissonnier gère, lui, toutes ses opérations, s’appuyant sur un service d’urbanisme étoffé – instructeurs, juristes, directeurs des services techniques – qui passe tous les projets à la moulinette, une implication que l’on trouve habituellement plutôt dans les services techniques des grandes villes», souligne l’architecte Frédéric Devaux.
«En travaillant directement avec l’aménageur, le promoteur et l’architecte, je peux donner une cohérence avec le reste du territoire», poursuit le maire. Avec toujours cette obsession du maillage urbain. «Si un quartier est comme une île dans un territoire, c’est que vous avez raté quelque chose», dit-il. Il est aussi question de maillage intergénérationnel et de maillage commercial. Il faut en effet résister aux enseignes qui font aux maires les yeux doux. «Je n’ai accepté qu’un petit supermarché à la sortie du village sur la route nationale», dit-il.
Enfin, le maire a fait un choix stupéfiant pour son entrée de ville. En lieu et place de boîtes à chaussures, il a décidé de faire un parc ‘multi-glisses’, entre la gare et le centre. Un parc, en entrée de ville ! Le maire qui se vante de n’avoir pas de recours sur ses projets s’est heurté en l’occurrence à un imbroglio quant à la définition d’une digue ou d’un barrage, les mêmes normes ne s’appliquant pas, qui depuis cinq ans retarde le projet**. Comme si le maire n’avait jamais entendu parler d’un évènement cévenol.
Bref, Jean-Luc Meissonnier connaît désormais quasiment tous les architectes de la région et peut se targuer de leurs réalisations sur sa commune. L’ancien cafetier démontre en tout cas, qu’en matière d’architecture, il n’y a pour les édiles, même d’une petite ville, même autodidactes, même pour une rémunération mensuelle de 2 000€, pas de fatalité de la médiocrité architecturale. Il y a d’autres façons que la vente en VEFA.
Lors de la fête d’été qui s’est achevée le 30 juillet, les arènes de Baillargues étaient pleines de tous les habitants du village et les taureaux et les chevaux ne faisaient aucune différence entre les anciens et les nouveaux. Il y avait même des Arlésiennes. Comme quoi, il n’y a pas de fatalité.
Christophe Leray
*En sus de l’école, le programme comprenait la restauration scolaire de l’ensemble des groupes scolaires primaires et maternelle de la ville et un parking de centre-ville.
** La qualification de digue a été retenue par le juge en cour administrative d’appel suite à un recours. L’Etat avait qualifié l’ouvrage aval du plan d’eau de barrage. Soit l’Etat s’est trompé dans l’instruction du dossier soit le juge d’appel à mal interprété la définition d’un barrage. En première instance au tribunal administratif, le juge avait donné gain de cause à la commune et à l’Etat qualifiant l’ouvrage de barrage. Cet imbroglio juridique perdure cinq ans après l’obtention des autorisations, alors même que les travaux des bassins sont déjà réalisés.