La sculpture de certains esthètes à la mode des tenants de l’Industrie du luxe ou du Big Pharma est au mieux baroque, et au pire, dépassée avant même de s’être montrée. Une histoire du temps ?
Impossible de parler de temps sans faire référence à Stephen Hawking, physicien théoricien et cosmologiste britannique qui malgré une grave maladie dégénérative (maladie de « Charcot ») a écrit les plus belles pages sur la notion de temps en relation avec l’univers.
Stephen Hawking a décrit les trous noirs comme des pièges énergétiques dans lesquels le temps disparaît. Apport indéniable à l’histoire de la pensée sur le temps, c’est une philosophie inspirante et inédite d’une vision du rapport temps/espace parfaitement étonnante
Une des dimensions les plus troublantes de cette pensée, conséquence directe du travail sur les trous noirs, est la présence simultanée dans l’univers d’un temps passé, présent, futur et d’un temps « ailleurs ».
En général le fil du temps s’exprime par un double cône inversé où le fil s’écoule doucement du passé vers le futur, comme une source magique bordée de petits arbustes au feuillage enchanteur, laissant entendre le gazouillis d’oiseaux de paradis, en passant par le présent, comme sous un pont de branchages entrelacés en béton armé aux motifs champêtres où l’amont devient l’aval avec délicatesse, sérénité et bienveillance. Mais d’après Hawking, il existerait un temps échappant à ce court inexorable.
L’essentiel de ses travaux sur le temps a été puisé dans sa discipline, la cosmologie, et plus particulièrement au cœur des trous noirs où la matière disparaît dans un piège interstellaire possédant une énergie infinie capable tout capter par la loi de l’attraction gravitationnelle, définie par Einstein, y compris les photons d’où l’appellation « trous noirs » d’où nulle lumière ne s’échappe. C’est au sein de ces trous noirs à énergie infinie que la matière n’existe plus, et le temps se déforme jusqu’à disparaitre en tant que paramètre de l’équation de la gravitation universelle :
E = mc²
Où le C est une constante équivalente à la vitesse de la lumière, théoriquement constante… sauf au sein des trous noirs. Il n’y donc plus de temps passé, plus de temps futur, plus de présent non plus, le temps est « ailleurs ».
Compte tenu des relations intimes qu’entretien l’architecture avec le temps, comme évoqué à l’épisode précédent* de cette chronique (entre le temps de la production du projet et le temps de l’époque et des passions), est-il possible d’imaginer une architecture qui ne soit ni présente ni passée, ni future mais « ailleurs », comme un OVNI, inqualifiable, venue de nulle part, laissant muet les journalistes d’architecture les plus pointus.
Une architecture venue d’une autre planète laissant sans voix ceux qui sont capables de haine ou d’amour au gré des modes et des coteries, ceux qui ont un avis sur tout et sont de tous les jurys et de tous les prix.
L’intemporalité absolue, rêve des formes les plus ambitieuses…
Déjà, nous pouvons constater la disparition du futur, sans doute depuis que celui-ci se compromet jours après jours dans la morosité d’une planète menacée, où le futur se résume au choix des paramètres à venir des règlements thermiques. La disparition du mot « futurisme » des dictionnaires de l’architecture contemporaine est révélatrice de l’absence de rêve dont est aujourd’hui victime l’ensemble de la profession, et la culture en général.
Ou sont les Buckminster Fuller et les Iakov Tchernikhov d’aujourd’hui ? Leurs noms sont-ils seulement présents dans le corpus des références indispensable pour cerner une époque où le souvenir d’une anticipation appartenant au passé a disparu du présent ?
La pensée prospective n’a certes pas disparu, mais la mythologie d’un futur bienfaisant et bienheureux s’est mutée en des objets architecturaux support d’une névrose généralisée où l’environnementalement correct a pris doucement la place de l’onirisme, d’où les explosions de végétalisation outrancières et outrageuses sur les façades court-termistes au possible tant la croissance des racines est incompatible avec l’étanchéité (que font les bureaux de contrôle ??), comme remède aux îlots de chaleur.
On végétalise les façades et on met de la climatisation !
Pour revigorer la notion de futur, peut-être faut-il chercher du côté des mythes un refuge similaire à ce qu’a été l’an 2000 pour le siècle précèdent, c’est-à-dire un objectif cible et lieu de convergences de tous les espoirs en un monde imaginaire ou tout serait beau et bon : on irait à l’école en transport volant, la ménagère comblée serait entièrement assistée par des robots ménagers automatiques. De ces prévisions futuristes, seule sans doute est venue l’ubiquité avec les zooms, Team viewer et autre Google meeting.
Faut-il attendre l’an 3000 pour que refleurissent ces coiffeurs de l’an 3000, le fleuriste de l’an 3000 comme on a eu, enfants, les assurances de l’an 2000, les auto-écoles de l’an 2000, etc., il y a même eu la frayeur du bug de l’an 2000 où les ordinateurs devenant fous pour une date non prévue dans les codes à court terme des bricoleurs qui furent les parents de Bill Gates et Steve Jobs.
Dans le corpus architectural, le futur a changé de sens d’une façon extrêmement sensible ces vingt dernières années. Mais qu’en est-il du présent et du passé ?
Le passé est toujours là : inspiration forcenée de toutes les associations des vieux machins (Paris, Lyon, Viarmes, etc…) et autres ABF, réunions de pervers climatosceptiques pour qui rien ne remplacera jamais l’ardoise noire ou le zinc anthracite pour les toitures qui pourtant auraient tout à gagner à être enfin blanche pour mieux protéger des effets négatifs de la période des surensoleillement des dix ou vingt prochaines années.
Mais non ! Ainsi construisaient nos aînés, ainsi nous construirons !
Le présent est une chose éphémère par définition puisqu’hier n’est déjà plus et que demain n’est pas encore. Mais ce qui est intéressant dans la notion de présent est son rapprochement avec le mot « contemporain » qui qualifie l’époque dans un intervalle flou qui laisse le curseur se placer là où celui qui s’en sert veut l’amener.
Ainsi au choix, l’architecture contemporaine contient encore les dinosaures du mouvement moderne, mais exclue les fantaisistes formelles qui ne sont pas contemporaines, pour ce que le mot contemporain contient, d’une façon sous-jacente, de modernité ou d’avis sur le sens ou l’époque de celle-ci.
Or si le rationalisme du mouvement moderne, radicale secousse de la pensée urbaine et architecturale du siècle précédent, est moderne, la sculpture de certains esthètes à la mode des tenants de l’Industrie du luxe ou du Big Pharma est au mieux baroque, et au pire, dépassée avant même de s’être montrée.
Peut-être sont-ils ailleurs, tant leurs architectures semblent hors de propos avec l’époque caractérisée par une certaine logique née des contraintes et des outils (sans privilégier l’un parce qu’on est célèbre ou l’autre parce qu’on est paresseux). Mais quel architecte souhaite être considéré comme pratiquant une architecture « d’ailleurs », ce qui pourrait signifier, entre les lignes que son auteur est dérangé ?
Finalement, peut-être ces architectes auraient peut-être dû rester dans le trou noir de la non-pensée d’où ne s’échappe aucune radiation ni étincelle de la moindre vision architecturale ?
François Scali
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*Lire la chronique Ô temps suspends ton viol