Faire d’une île et de l’eau, d’historiques contraintes urbaines, des moteurs d’attractivité des villes ?C’est en tout cas le pari qu’a fait Nantes dès le début des années 90 avec le projet Ile de Nantes. Aujourd’hui, la phase 2 du projet arrive à terme. Une exposition s’est ouverte le 7 octobre dernier (jusqu’au 27 décembre), à la galerie Loire de l’ENSA-Nantes, relatant les grands axes de réflexion des dernières années au travers des 28 des projets sorties de terre, sous l’ère Marcel Smets et Anne Mie Depuydt (uapS).
Au début des années 90, suite au départ en 1987, des chantiers navals, Jean-Marc Ayrault, alors maire, lance une grande étude sur le devenir du site. Le projet Ile de Nantes est lancé. La première phase, sous l’égide d’Alexandre Chemetov, urbaniste de l’île, se concrétise dès 1999 avec la construction, face à la Loire, du palais de justice signé Jean Nouvel. Le symbole est notable, l’île entrera dans la modernité au travers d’une architecture forte ! (D’ailleurs la raideur de ce bâtiment n’annonce-t-elle pas les futures crispations de la société ? Nde)
L’île prend corps rapidement car le projet urbain est ambitieux. Le rythme est extrêmement soutenu, la production architecturale dense, les différents quartiers étant reliés par une trame paysagère pour constituer un territoire homogène. Il s’agissait d’attirer de nouveaux habitants et, en 2010, l’île comptait 18 000 habitants, plutôt jeunes et modestes.
L’ère Chemetov fut «une période d’interventions héroïques et très expressives», rappelle Alain Bertrand, directeur général adjoint de la Samoa, l’aménageur de l’île de Nantes, créée en 2003 pour suppléer Nantes Métropole. Il s’agit dorénavant de faire venir sur l’île des familles, du pouvoir d’achat, du dynamisme. Cette année-là, la phase 2 entre en action avec les urbanistes d’uapS pour remplacer Alexandre Chemetov à la maîtrise d’œuvre urbaine.
La perméabilité de l’île est une donnée majeure, notamment en vue de la construction prochaine du nouveau CHU, au sud-ouest de l’île, conçu par l’équipe Art & Build-Pargade architectes, lui-même en soi «un projet global de territoire». Pour cela pas moins de huit ponts et passerelles piétonnes, routières et ferroviaires rythment les berges septentrionales de l’île, cinq autres ouvrages relient la partie méridionale. Citons notamment ceux édifiés par Marc Barani (Pont Eric Tabarly- 2013) et Marc Mimram (Pont Léopold Sédar Senghor – 2010). Des lignes de bus, un tramway sortent de terre.
Surtout, le projet change d’échelle. De l’équipement public, l’attention se tourne désormais vers le logement et la mixité sociale, comme sur la ZAC Danube à Strasbourg. Les interventions se font plus discrètes, sans pour autant être timorées. La Samoa se donne les moyens de son ambition et, en 2015, 5 500 logements ont vu le jour.
La Samoa a développé un partenariat avec le bureau d’études en environnement Franck Boutté Consultant. Ensemble, ils ont permis d’intégrer la notion de durabilité afin de palier la contrainte économique forte. En substance, au lieu de proposer sur chaque opération toute la panoplie du développement durable et des qualités d’usage, il est demandé aux équipes de se concentrer dans leur projet sur une ou deux idées. Ainsi, chacune des opérations mises bout à bout donne son épaisseur environnementale et sa particularité à Ile de Nantes 2.
Anne Mie Depuydt, au travers d’ateliers de «forme urbaine» et de workshops avec des architectes locaux, a pu développer une réflexion quant à de nouvelles façons de concevoir le logement, notamment autour des problématiques d’évolutivité des programmes et des usages, de rez-de-chaussée habités ou encore celle du prêt-à-finir. «Le PLU a même été modifié dans l’intérêt du projet», rappelle Anne Mie Depuydt. «La seconde phase est placée sous le signe de l’urbanité au sens de la politesse. Comment l’ensoleillement fonctionne par exemple d’un bâtiment à l’autre, pour trouver davantage de cohérence», explique Alain Bertrand.
Aujourd’hui, les ouvrages qui parsèment l’île semblent néanmoins indiquer que les maîtres d’ouvrage publics et privés ont privilégié une l’écriture architecturale affirmée d’agences locales et nationales ayant le vent en poupe. Bigre architecture et Raum architectes côtoient les ténors Barré Lambot, GPAA voisinent avec Brenac et Gonzalez et Antonini et Darmon. Un côté «djeun» et «in» peut-être un peu trop surjoué cependant en regard de l’ambition urbaine initiale.
Il est bien beau de loger les nouveaux insulaires, encore faut-il qu’ils aient à faire dans le quartier, travailler notamment. La phase 2 est également l’ère de l’activité économique et de son lot de bureaux. Là aussi, la Samoa démontre une connaissance approfondie de la mode architecturale. Dominique Perrault, Atelier Bruno Gaudin, AIA (Bio Ouest – 2016), LAN architecture, Abinal & Ropars, Franklin Azzi, ECDM, Brigitte Métra. A noter la présence d’un bâtiment signé de l’agence Souto de Moura, un ensemble à R+8 de ‘bureaux et d’activités dédiés aux industries culturelles et créatives’, avec une galerie d’art en rez-de-chaussée.
Comment ne pas évoquer ce qui à horizon 2030, devrait occuper un quart de la surface du territoire, la construction sur plus de 270 000 m² du nouveau CHU ? Ce fut d’ailleurs «le gros du travail d’uapS que de préparer et de digérer les conditions d’intégration du CHU sur le territoire», souligne Alain Bertrand lors de la présentation à la presse de l’exposition.
Dommage d’ailleurs que les panneaux de cette exposition déroulent des ‘books’ d’architectures sans finalement d’autre cohérence que celle d’être au goût du jour, le voyageur pouvant en voir de semblables dans chacune des nouvelles ZAC en chantier dans le pays. Qui plus est, depuis 20 ans, les villes comme Lyon (Confluence), Strasbourg (Danube) ou Boulogne-Billancourt (le Trapèze et l’Ile Seguin), s’attellent avec plus ou moins de bonheur à de vastes projets urbains afin de redynamiser les îles et autres quais, arguant notamment d’une redécouverte d’une qualité de vie plus agréable en bordure d’eau. Le phénomène est international, de Lisbonne à Hambourg ou Londres, parmi nombre de villes dynamiques, capitales économiques ou universitaires, cosmopolites et branchées. Pourtant, le discours qui le sous-tend est toujours le même (qualité de vie, retour à la nature…), le vocabulaire similaire (Fablab, qualité environnementale, urbanité, jardins partagés…), au risque d’une nouvelle standardisation des modes de vie. Mondialisation urbaine ?
Pourtant, ce qui dessine l’identité propre du projet nantais et sa plus-value est sans doute le fait que l’île n’est pas sortie de terre en 1990 et que ce n’était pas juste une friche industrielle. Dans les années 70, le quartier Beaulieu était même appelé «Manhattan sur Loire» se souvient Alain Robert, adjoint au maire et vice-président de Nantes métropole. De plus, les halles Alstom (en cours de réhabilitation) ou l’usine Beghin Say continuent de souligner le passé industriel de l’île. «C’est le mélange de l’architecture contemporaine avec les bâtiments historiques et patrimoniaux, mêlé à un travail minutieux sur l’échelle des bâtiments construits, qui donne toute son identité et son unicité au territoire», affirme Alain Bertrand,
Il demeure qu’habiter l’île de Nantes coûte au nouveau propriétaire environ 25% plus cher qu’en centre-ville. Qu’importe puisque ça marche, les habitants y vivent et y travaillent bien que l’offre en termes de culture et de convivialité reste encore à développer. Des brasseries, des fablabs plutôt que des boutiques ?
Toujours est-il qu’en décembre, l’accord-cadre avec uapS sera arrivé à terme et une nouvelle équipe de maîtrise d’oeuvre urbaine sera nommée pour cet épisode 3 dont l’essentiel sera lié au futur CHU, lui-même épicentre d’un véritable quartier de la santé. Lequel à terme accueillera notamment nombre d’activités qui lui sont liées (laboratoires de recherche, une partie de la fac de médecine et d’odontologie, des formations paramédicales, des entreprises de biotechnologies, etc.) et aussi près de 6 000 résidents-étudiants, portant leur nombre total sur l’île de Nantes à près de 10 000.
Léa Muller