
Dominique Alba, nouvelle directrice des Ateliers Jean Nouvel, asserte que « le seul m² durable, c’est celui qu’on ne fait pas ». Si ce n’est pas là une pensée définitive ! En a-t-elle parlé à Jean ?
En l’occasion du Grand Prix national d’Urbanisme, remis pour mémoire en juillet 2022 à Franck Boutté, une série d’entretiens a été réalisée sous la houlette des ministères de l’Ecologie, de l’Energie, des Territoires et de la Mer. Dont un entretien inspirant avec Dominique Alba, membre du jury 2022, mené en février 2023 par Ariella Masboungi, Grand Prix de l’Urbanisme 2016. C’est en accès libre* et ça vaut le détour !
Pour ceux qui ne la connaissent pas – ils sont nombreux dans ce cas dans la Creuse – Dominique Alba, après avoir dès 1982 travaillé au sein de l’agence Jean Nouvel puis être devenue architecte libérale associée avec Philippe Roux de 1986 à 2000, a rejoint en 1996 Bertrand Delanoë, l’ancien maire de Paris (de 2001 à 2014) avant de diriger le Pavillon de l’Arsenal, bras armé culturel de la mairie de Paris, avant encore de rejoindre la direction de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) qu’elle finit par présider jusqu’en novembre 2022. Ouf ! Enfin, retour à l’envoyeur, pour finir les jours heureux, Dominique Alba est depuis cette date directrice des Ateliers Jean Nouvel.
Bref une autorité, surtout quand il est question du « grand projet » de rendre la ville « belle et durable ».** D’ailleurs, durant la conversation, pas un mot sur Anne Hidalgo.
L’entretien débute sous des auspices qui font rêver. « Ce qu’on ne connaît pas ne nous intéresse pas, que ce soit dans les relations humaines ou urbaines », explique l’architecte DPLG. Bonjour la curiosité ! C’est cependant ce qui justifie d’expliquer, en substance, que « plus on connaît les choses, plus on a envie de les conserver ». Il s’agit du concept de « la connaissance du déjà-là ». N’est-ce pas là la définition crue du conservatisme ? Demain, c’est déjà hier !
Il est question ensuite d’un immense travail réalisé au sein de l’APUR sur les données numériques – ici il fait chaud, là il fait froid – travail dantesque dont Chroniques, parmi d’autres, s’est déjà fait l’écho.*** Dominique Alba, évoque modestement une « grammaire du territoire durable », la base de données devenant selon elle un outil de planification. Intelligence artificielle, intelligence tout court ?
De fait, l’architecte, pas loin de se rengorger, évoque « une planification inventive, pas normative, une planification solidaire, pas solitaire ». « Comme ça, c’est dit simplement », résume-t-elle pour être sûre d’être comprise. Certes les mots sonnent comme un slogan bien-pensant mais que signifient-ils ? Quel architecte va plastronner et faire le cador avec une planification normative et non inventive, avec une planification solitaire et non solidaire ?
Quand on a dit ça, on n’a rien dit.
Sauf pour Jean Nouvel peut-être…
En tout état de cause, dans ce cadre, Dominique Alba s’interroge généreusement, et c’est bien gentil de sa part, quant à la capacité des citoyens de financer le développement durable, financement qui s’appuierait sur un taux d’usage issu d’un savoir-faire… citoyen. Bref l’écologie non punitive mais un peu quand même !
Pour plus de précision, Dominique Alba asserte bientôt – pour résumer « en gros » sa pensée – que « le seul m² durable, c’est celui qu’on ne fait pas ». Elle précise pour les malentendants « qu’il faut utiliser plus et mieux avec ce que l’on a ». Si ce n’est pas là une pensée définitive !
Pour savoir si les m² déjà disponibles à foison sont bien utilisés, ce n’est pas compliqué, il y a ce que « les utilisateurs font de l’équipement mis à leur disposition ». Il fallait y penser – dans une piscine, ils se baignent – et « ça s’analyse ». La preuve, ce qui se passe dans la salle des fêtes, « c’est une chronotopie d’usage ».
Une chronotopie d’usage ?
Selon la définition, la notion de chronotopie désigne la prise en compte simultanée des dimensions temporelles (chronos) et spatiales (topos) : c’est en résumé penser l’espace en fonction du temps disponible et des usages possibles tout en considérant les différents publics présents. Comme chez Madame Michu, poissonnière rue d’Auteuil à Paris, par exemple.
C’est sûr que pour un(e) architecte, penser les usages en 2D, c’est être déjà sur le bon chemin.
De fait, selon Dominique Alba, si nos villes sont « équipées » depuis les années ’80, il faut aujourd’hui « équiper le citoyen », c’est-à-dire Madame Michu, poissonnière rue d’Auteuil à Paris : « on l’a bien vu pendant la crise Covid, la capacité de chacun à savoir se gérer était la bonne solution puisque les équipements n’étaient plus accessibles », ce qui signifie en substance qu’il « faut aider le citoyen à bien vivre sa ville plutôt que [mettre] davantage de m² à disposition ». Sous prétexte d’écologie, chacun pour soi ! « Hey, Coco, t’es sûr d’avoir besoin d’une piscine ? ».
Au-delà du fait qu’il faut toujours se méfier de ceux qui vous assènent ce qui est bon pour vous – le citoyen pauvre cloche a besoin d’aide – que se passe-t-il pour un équipement obsolète, un gymnase par exemple ? Quarante ans plus tard, il se révèle inadapté à la pratique du sport et il y a des rats dans les vestiaires. On fait quoi ? Il est transformé en tiers-lieux avec un coût d’exploitation incertain ? Et les athlètes, si on ne leur construit pas un nouveau gymnase en m² non durables, ils vont s’entraîner dans le parc, tous ensemble comme en Chine ?
« Toute la chaîne de valeur se fait sur la valeur de l’immobilier », déplore doctement l’architecte invitée. Quelle découverte ! Nouvelle du front : au milieu du désert, là où personne n’a envie d’aller et besoin d’un toit, le mètre carré vaut peau de balle.
Le reste de l’entretien est à l’avenant : la Pravda – la Vérité en français – mais du côté confortable, sans les canons sinon ceux de l’air du temps !
Revenons cependant à cette phrase que nul ne pouvait prédire : « le seul m² durable, c’est celui qu’on ne fait pas », déclare donc Dominique Alba.
…
Dit autrement, à y réfléchir, tous les m² avant Sandrine Rousseau ne seraient donc pas durables, mal (re)construits sans doute. Les architectes ‘avant’, tous des nazes ! Fuck the context ? Fuck le Vorarlberg ? Fuck Palladio ? Un vrai saccage phallocrate de la planète depuis dix mille ans et Rem Koolhaas ! Et pendant ce temps-là, pas une bonne âme parmi les hommes et femmes de l’art…
Sa nouvelle directrice générale, elle en a parlé de ses m² durables à Jean Nouvel, lequel construit à tout-va des bâtiments anachroniques et déjà atteints d’arthrite ?****
Sur le fond, sous l’égide de tous ces ministères qui nous veulent du bien, que nous dit Dominique Alba ? Que certainement la seule voiture durable est celle que personne ne conduit parce qu’elle n’est même pas construite ! Que la seule eau vive durable est celle qui n’est pas utilisée, et donc pas bue ! Que la seule vie durable et amicale pour la planète est celle qui n’est pas vécue ! Après tout, au-delà des architectes incompétents depuis des siècles, les vils êtres humains que nous sommes inspirent de l’oxygène, rejettent du CO² et réchauffent la planète.
A ce compte-là, sus à l’humanité ! Ce qui, pour une architecte, règle direct le problème des bidonvilles qui pullulent dans le monde.
Foin de mauvaise langue, Dominique Alba nous rassure quant à sa bénévolence. « Tout le monde veut la ville plus belle mais aucune ville n’est belle quand il y a des gens qui dorment dans la rue ». Sniff sniff. La solution ? « Il s’agit de faciliter l’utilisation temporaire des bâtiments pour justement accueillir ceux qui n’ont rien et qui dorment dans la rue ». Re sniff sniff tant il est vrai que sont à Paris accueillis avec des fleurs les militants du DAL (Droit au Logement).
Elle a raison Dominique Alba, les voilà les tiers-lieux : les pauvres gens sont installés temporairement dans un gymnase désaffecté et pourrissant sur pieds pendant que les athlètes, à qui la construction d’un stade neuf aux m² non durables est interdit, sont dans le parc !
Son optimisme vaut d’ailleurs feuille de route : « la difficulté de ces gens dans la rue, notre difficulté à les accueillir, peut nous apporter de très jolies solutions pour retrouver de l’urbanité », dit-elle.
Tant qu’elles sont jolies et en m² durables les solutions…
Elle en a parlé à Jean Nouvel ?
Christophe Leray
*Court entretien avec Dominique Alba, l’intégrale
** Lire notre article A Paris, pour l’architecture, le mercato en mode réemploi
*** Lire notre édito A l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), un travail profond tant il est creux
**** Lire notre édito Avec DUO, Jean Nouvel a inventé les tours de guingois