Deux ans après les élections, la feuille de route urbaine de l’équipe municipale, pilotée par Mathilde Chaboche, l’adjointe au maire de Marseille, en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux, s’adosse à de multiples outils urbains, municipaux et métropolitains. Rencontre.
La charte de la construction durable de la ville de Marseille a été adoptée le 1er octobre 2021 après plus d’un an de discussions entre la ville, la métropole, la fédération des promoteurs immobiliers, les constructeurs, les bailleurs, les architectes… Au programme, rien de très innovant tant il est question de processus de dialogue, de respecter le contexte, de faire avec le déjà-là, de fabriquer la densité adaptée et bien d’autres points tous plus revus les uns que les autres.
A quoi bon se doter une charte aussi simpliste ? Selon Mathilde Chaboche, qui a reçu Chroniques le 7 novembre 2022 au pavillon Daviel de l’hôtel de Ville, il faut « réintégrer de la méthode dans la fabrication urbaine ». La charte de la ville durable s’inscrit dans une liste de différents outils mis en place par la ville et la métropole pour accompagner les pouvoirs publics dans le développement de la ville.
Un PLUi (plan local d’urbanisme) qui se met en place doucement à l’échelle des 92 communes de la métropole, un PLH (programme local de l’habitat) en cours de finalisation, un plan de relance logement signé avec l’Etat, un plan école adopté en 2021… Marseille, en retard sur les méthodes d’urbanisme, se met au diapason.
Sans ces outils, la ville et la métropole n’ont pas les moyens juridiques de la mise en place d’une vision globale du développement de la deuxième ville de France. Aujourd’hui « Marseille, de ville honteuse de son urbanisme, doit pouvoir devenir le laboratoire à ciel ouvert de ce qu’est faire la ville aujourd’hui », explique l’adjointe formée à Sciences-Po Paris, La Sorbonne et à l’institut d’urbanisme d’Aix-en-Provence.
Ces outils permettent de s’emparer des différentes vulnérabilités locales : un urbanisme sans plan d’aménagement général, un manque de logements, des espaces verts en voie de disparition, des équipements insuffisants et obsolètes, des risques naturels de plus en plus contraignants (érosion, feu, sécheresse, …).
Pour améliorer la ville, les réponses semblent les mêmes qu’ailleurs. « Il faut arrêter l’étalement urbain. Et trouver des m² en hauteur car Marseille souffre de sous-densité [3 600 hab/km²]. Ici c’est une nécessité puisque le service public ne pourra retrouver sa pleine place qu’au sein d’une ville plus dense », dit-elle.
Pour cela, alors que les grandes métropoles ont fortement urbanisé les quartiers aux abords des centres-villes, Marseille propose une autre solution que des ZAC à tout prix. « Il y a déjà douze Zac en fin de vie qui génèrent peu de droits à construire, à peine cinq à six opérations dans l’année à venir », précise l’élue. Aussi parce que la question de la densification doit passer par des opérations en diffus, lesquelles s’apparentent davantage à de la réparation, notamment en vue de la réhabilitation de plus de 40 000 logements indignes.
Pour cela, la ville, aidée du PLUi métropolitain, a gelé la constructibilité au-delà d’une ceinture autour de la ville afin de créer une trame verte et bleue. La densification est ainsi fléchée sur des opérations d’aménagement autour de « corridors de bonnes dessertes des transports en commun ». L’ironie est que ces corridors sont rares dans la cinquième ville la plus étendue de France, qui compte pour l’heure trois lignes de tramway et deux lignes de métro, qui suivent presque les mêmes tracés.
Des projets de renforcement des réseaux de transports sont en cours dont un prolongement du tramway vers le sud, déjà en retard, et deux autres prolongements vers le nord, tandis qu’un projet d’extension du métro est dans les cartons. Alors les projets sont annoncés, la ville pousse à la construction dans ces quartiers au détriment d’autres. Résultat, alors que rien n’est encore vraiment concret, les prix flambent dans certains quartiers au sud.
« Le PLUi doit d’ailleurs permettre à ces quartiers de déplafonner les hauteurs pour accompagner la densification et la création des 4 500 logements annoncés lors des élections », ajoute la femme politique, précisant que 2 300 de ces logements doivent être attribués au parc social. Aujourd’hui, le plan de relance signé avec l’Etat devrait permettre d’en fabriquer au moins 3 000. Entre septembre 2021 et août 2022, 3 380 logements ont été approuvés selon la ville, les premiers actes sont là.
La charte de la ville durable doit ainsi s’intégrer au sein de cette méthode de fabrication de la ville. Elle permet de créer un socle sain entre les exigences de la ville et les doléances des acteurs privés qui la construisent, d’ailleurs parties prenantes de sa rédaction lors d’ateliers. Il est regrettable que de sa simplicité ne transparaisse justement la trop grande implication des acteurs privés au sein des débats. La ville souhaitait la charte « inattaquable », la laisser aux mains des promoteurs permet-elle de ne pas s’engager trop loin ?
D’autant que cette charte, non opposable, doit permettre d’engager les acteurs avant les phases de dépôt de permis. Finalement, comme les chartes qui existent dans chaque zone d’aménagement. En se passant de la ZAC mais en conservant ses outils, c’est à se demander si la ville fait encore là une bonne affaire concernant la qualité architecturale de ses futures opérations. Néanmoins, la charte est prévue comme évolutive. Le 27 octobre 2022, un bilan de cette année 1 a été dressé pour permettre de durcir progressivement les ambitions de la ville.
A même méthode, même travers ? A la question du maintien des prix des logements à des tarifs en corrélation avec les moyens des citoyens, l’adjointe botte en touche, du moins pour la partie accession libre. Pour le social, le PLUi encadre les prix de vente des VEFA aux bailleurs sociaux. Sur un territoire dans lequel 80% des logements sociaux sont construits en VEFA, c’est un maigre lot de consolation que les mathématiques des bilans financiers ne devraient pas satisfaire.
Désormais, en centre-ville et dans les corridors de bonnes dessertes, 30% des opérations doivent être vendues en bloc, aussi pour opérer un rééquilibrage légal en accord avec la loi SRU. L’adjointe table sur le fait que vendre un tiers d’une opération en lot social devrait mathématiquement faire baisser les charges foncières initiales. Ailleurs, les acheteurs du parc privé ont bien vu que ce type de régularisation par la contrainte n’avait que peu d’impact sur les prix de sortie quand les bailleurs sociaux ont été dépossédés de leur métier de maître d’ouvrage et relégués à celui de gestionnaire.
« La relance constructible, nécessaire, ne pourra pas se faire sans tirer les leçons de ce qui a été fait par le passé, car les équipements doivent devenir des moteurs de la fabrication de la ville. Densifier est aussi réagencer les fonctionnalités urbaines avec en ligne de mire la réduction des inégalités. Le plan écoles doit intervenir sur 174 écoles. Certaines seront mutualisées afin de créer des groupes scolaires, plus efficients en terme énergétique mais aussi social », affirme Mathilde Chaboche.
Fortement critiqué, le plan écoles a d’ailleurs subi un changement de taille. Annulé par une décision administrative du tribunal de Marseille,* il devait initialement être entièrement réalisé sous forme de partenariat public-privé (PPP) pour un milliard d’euros de travaux en six ans**. En 2021, la société publique des écoles marseillaises a été créée afin de piloter la réhabilitation des équipements locaux redonnant les clés au public de la maîtrise d’ouvrage et de la qualité de la construction.
De fait, les écoles sont un biais important de développement urbain. Dans les grandes villes, les équipements scolaires sont très souvent refermés sur eux-mêmes. Passé les heures d’apprentissage, les espaces sont laissés vacants. L’adjointe prône pour la mutualisation de ces équipements qui doivent se mettre au service de la création de la trame verte locale.
« Marseille a perdu 75% de ses arbres ces dernières décennies. Nous sommes loin des ambitions de l’OMS qui préconisent 12m² d’espaces verts par habitant », ajoute l’urbaniste. En effet, en moyenne, les habitants profitent de 4,6 m² d’espaces verts, 2,5 m² dans les quartiers nord et 1,8 m² dans le centre-ville.
Les cours des écoles doivent désormais être désimperméabilisées, végétalisées et, surtout, ouvertes au public en dehors du temps scolaire afin de jouer ce rôle de jardins de proximité. En témoignent par exemple, les deux chantiers en cours des écoles Jolie Manon mené par Huit et Demi architectes et l’école ludothèque Marceau piloté par l’agence bordelaise Hessamfar Vérons architectes associés.
Quand la puissance publique conserve dans son giron la production de la ville, l’expérience montre combien les opérations menées sont plus vertueuses. Pour un logement de qualité, toutes les chartes n’y pourront rien tant que les acteurs privés en resteront les moteurs. A Marseille comme ailleurs.
Léa Muller
* Contestée par trois contribuables marseillais et les ordres régional et national des architectes, la délibération de la mairie actant le PPP des écoles avait été annulée en première instance par le tribunal administratif de Marseille en février 2019.** La cour administrative d’appel a confirmé le jugement le 27 décembre 2019.
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