Un «cluster de la création» pour assurer à la ville de Nantes une stature européenne ? Pourquoi pas ! C’est en tout cas ce à quoi se sont engagés la Samoa et l’architecte Franklin Azzi, qui s’attellent depuis 2011 à la réhabilitation des anciennes halles industrielles d’Alstom, situées sur la pointe ouest de l’île de Nantes. Présentation.
Lors de la présentation à la presse, réunie dans le futur amphithéâtre de l’école nationale des Beaux-arts encore en chantier le 6 octobre 2016, la présence de tous les acteurs, de la maîtrise d’ouvrage aux architectes des bâtiments qui composent les halles, en passant par chaque partenaire, en dit long sur l’ambition du projet et l’importance que revêt cette opération de réhabilitation des Halles Alstom pour la ville. De fait, ce projet représente «une urbanité à la nantaise qui ne fait pas table rase du passé, qui puise dans ses racines, dans le patrimoine et dans l’imaginaire de la ville pour en inventer le futur», explique Johanna Rolland, maire de la ville et présidente de Nantes Métropole, lors de la présentation des projets aux acteurs locaux et aux journalistes.
Le lieu choisi pour cette rencontre n’était pas anodin car il invitait tout un chacun à pénétrer dans le chantier et à en prendre la mesure. Dans l’histoire nantaise, ces halles ont vu passer plus d’un million d’ouvriers jusqu’à la fermeture des chantiers navals en 1987 et le départ du Bougainville, leur dernier navire. Rachetées par la communauté urbaine en 2001, elles sont cédées à la Samoa en 2003. En 2011, l’agence Franklin Azzi architecture est sélectionnée pour coordonner le projet de réhabilitation générale des 15 ha de friches industrielles. «Il s’agissait de désépaissir et transformer l’échelle urbaine industrielle en une échelle humaine, en bref, réinstaller l’humain», explique l’architecte, le même jetant son dévolu sur les halles 4 et 5 pour y installer l’école des Beaux-arts dont la livraison est prévue en 2017.
«La Samoa avait fait le choix d’une équipe jeune qui travaillait pour la première fois à l’échelle urbaine», raconte Franklin Azzi, qui souligne «s’être attaqué avec bienveillance et subtilité» à ces vastes nefs, dans lesquelles règne encore une atmosphère très particulière. Les halles, conçues à l’origine comme un clos/couvert, avaient été agrandies en fonction des besoins, sans gêner la production et surtout sans se soucier de la ville alentour.
«Pour créer de la proximité et des synergies, nous avons inventé une perméabilité urbaine qui n’existait pas dans cet ensemble qui tournait le dos à la ville. Deux percements nouveaux permettent de définir chaque bâtiment, leurs nouvelles entrées, leurs nouveaux adressages et leurs nouveaux usages», décrypte-t-il.
Nantes s’enorgueillit «de s’enrichir au fils des ans des contributions de grands noms [de l’architecture]». Pourtant, si la délicatesse de l’agence berlinoise LIN s’attachera à la halle 6 ouest pour le pôle universitaire dédié́ aux cultures numériques et à l’innovation, les agences choisies restent majoritairement locales.
Cinq programmes dédiés à la création et aux projets innovants viennent se loger dans les volumes existants. Depuis 2014, chaque projet évolue à son rythme : alors que le chantier de l’école des Beaux-arts battait son plein, les architectes désignés pour les quatre autres projets ont affiné leurs propositions. D’ici à 2019, les chantiers de reconversion des halles avanceront de manière cadencée.
Les halles 1 et 2 sont destinées à devenir «le tiers-lieu créatif piloté par le Cluster Quartier de la Création», dont les travaux démarreront en 2018 sous l’égide des agences Gardera-D et Bouriette et Vaconsin. DLW architectes et Fichtre ont pour mission d’installer «le grand restaurant» dans les halles 1 et 2 bis fin 2018, face à l’école des Beaux-arts et avec laquelle il fera parvis commun. Enfin la Halle 6 sera consacrée à une pépinière d’entreprises imaginée par Avignon et Clouet architectes et au pôle universitaire dessiné par LIN.
Avec la réappropriation des anciennes nefs, la ville de Nantes veut s’affirmer un peu plus comme la sixième métropole de France et digne représentante du label FrenchTech. A l’heure où les étudiants chercheurs filent de par le monde pour apprendre et travailler, la ville propose un campus de la création qui renoue, depuis l’arrivée de l’école d’architecture sur l’île, avec la figure de l’université au cœur de la ville. «Avec le quartier de la Création, Nantes fait le pari de la jeunesse et mise sur son potentiel créatif !» martèle l’édile. A terme, l’ENSA, le pôle des arts graphiques, le Pont Supérieur, l’école des Beaux-arts et le pôle de recherches interdisciplinaires Médiacampus ainsi que l’école de design se côtoieront sur l’île qui entend héberger à terme plus de 10 000 étudiants-résidents.*
Progressivement, une autre ambition se fait jour. Faire de ces nouvelles nefs bien plus qu’un symbole local de l’expérimentation urbaine, sociale ou encore environnementale, soit. Mais, en connectant ces pôles de recherche et ces écoles aux réseaux internationaux, Nantes entend bien devenir «la ville de l’hyperproximité» et rayonner à l’échelle européenne, tout en offrant des perspectives aux acteurs locaux. Que l’architecte berlinois Philippe Koenig de l’agence LIN compare les deux villes pour leur jeunesse, leur dynamisme et leur créativité, n’est sans doute pas un hasard, tout comme le fait que le directeur de l’école des Beaux-arts, Jean-Pierre Galdin, compare Nantes à Helsinki, Amsterdam ou Londres.
Pour en revenir à l’architecture globale du lieu, Franklin Azzi semble avoir imaginé un projet d’urbanisme respectueux de l’histoire, ce qui témoigne encore que le patrimoine est une matière malléable et évolutive, comme le sont les structures des nefs qui ne sont pas toutes semblables et mélangeaient allègrement sous-structures en moellons, structures en béton et charpentes en métal. Comme sous des parapluies japonais, les équipes d’architectes et d’ingénieurs proposent un système «de boîtes dans la boîte», libérant ainsi les espaces centraux et les rez-de-chaussée.
«A l’image des deux rues, il s’agit de créer des espaces ouverts et animés où les différents publics des halles se rencontreront, échangeront», justifie l’architecte parisien. «Dorénavant, il y aura une trame d’espaces publics ouverte et connectée au reste du quartier et à la ville», ajoute-il. Ces circulations seront complétées par le Parvis des arts. Situé à la proue de l’école des Beaux-arts, il s’inscrit comme une place centrale créatrice de liens entre les différentes entités. Il pourra également accueillir des expositions en plein air ou des manifestations artistiques.
Les Halles d’hier ont accouché d’une partie de la révolution industrielle, celles d’aujourd’hui et de demain composeront certaines des innovations sociétales, économiques, urbaines et culturelles de notre époque. Cela écrit, cette ville «créative» est-elle réellement porteuse de développement économique tel que la municipalité́ en fait le pari ou restera-t-elle une simple utopie urbaine ? La ville de Nantes essaie en tout cas d’en relever le défi.
Léa Muller
*Voir à ce sujet nos articles A l’aune de la mondialisation urbaine, l’Ile de Nantes ? et Les nouvelles nefs Alstom racontées par leurs architectes