
A Rome, où il est dit-on si difficile de construire, l’agence NemesiStudio est en train de construire un complexe de bureaux et de 200 logements en s’appuyant sur un nouveau concept : l’agrégation de ‘villas’. Une réinterprétation contemporaine et audacieuse des maisons à cour née d’une simple volonté de standardisation. Le résultat est surprenant, les possibilités infinies. Découverte.
Le projet situé sur l’aire Torino Nord à Rome est le lauréat d’un concours lancé en 2001 par Eurodomus spa, un maître d’ouvrage privé. Il s’agissait de concevoir un complexe résidentiel de 200 logements moyen et haut de gamme, de bureaux, d’espaces commerciaux et d’une salle de sport sur une parcelle d’un quartier bâti dans les années 60 et 70, habité par des classes moyennes, qui a surtout le mérite d’être proche et de l’aéroport et du centre historique. C’est sur cet axe que Renzo Piano et Massimiliano Fuksas construisent d’ailleurs de nouveaux lotissements.
«L’opération a été l’objet d’une recherche conceptuelle élaboré à partir de deux aspects distincts et, d’une certaine manière opposée, devant traiter des dimensions collectives et individuelles de vivre les espaces. De ce point de départ a dérivé les choix fondamentaux à partir desquels le projet a été élaboré : d’une part, la nécessité de donner la valeur d’une nouvelle identité urbaine de qualité, favorisant un processus d’identification nécessaire pour générer un lien entre lieu et vie ; d’une autre part penser l’habiter collectif comme la construction de potentialités individuelles diverses et autonomes,» explique l’architecte Susanna Tradati.
Le programme prévoyait que l’espace central de la parcelle devait reprendre le thème de la cour en milieu urbain tout en restant ouvert au public. L’idée de NemesiStudio fut de définir les unités résidentielles de l’ensemble en se référant à une matrice de base apte à générer d’innombrables variantes de configuration des espaces, lesquelles, agrégées ensemble devaient construire les «coulisses architecturales» de cette grande place publique centrale.

Cette matrice, ou module en structure métallique, a permis au projet d’adopter une forme de typologie ouverte et intégrée dans le paysage qui l’entoure, selon un programme qui combine espaces privés et urbains. Un cadre spatial sophistiqué organise des espaces superposés et des jardins suspendus, des cours privées, des passerelles et de grands espaces communs, le tout formant au final un ouvrage cohérent.
«Le projet de Nemesi se distingue, de manière imprévue, par sa capacité d’interprétation savante des contraintes d’urbanisme et typologique qui étaient imposées,» assure Susanna Tradati. «Après le concours, un intense travail d’échange entre le client et l’équipe de projet, a permis la conception d’un ouvrage qui sans compromis en termes de qualité a néanmoins permis de répondre à l’objectif ambitieux de maximisation, voire en l’occurrence d’augmentation, des espaces par rapports aux données de départ,» dit-elle.
Le permis de construire a finalement été approuvé sur sa «valeur architecturale» même si ce projet dérogeait, tant dans sa conception que dans son mode constructif, aux normes en vigueur à Rome. «En effet, nous n’étions plus dans le schéma rigide de la maison individuelle ni dans celui, aussi rigide, d’un bâtiment collectif car le projet réinterprétait le programme tout en conservant les surfaces volumétriques et habitables prescrites,» se félicite Susanna Tradati.

Les travaux sur les matrices agrégatives des espaces habitables et des résidences révèle aujourd’hui une composition typologique complexe dans laquelle chaque unité à des caractéristiques à la fois d’unicité – pour des clients exigeants quant au caractère ‘individuel’ du logement – et de complémentarité. «C’est l’agrégation de toutes ces unités dans un contexte unique qui nous a permis de substituer à la conception traditionnelle en blocs la notion de ‘villas superposées’,» explique Susanna Tradati. Ces ‘villas’ donnant sur une place centrale aménagée, c’est ici la typologie des ‘maisons à cour’ qui est interprétée de manière contemporaine, dans le cadre d’une «intégration serrée» entre espace privé et public.
Un nouveau concept d’habitation
«En voulant exalter la valeur de la collectivité conçue comme une addition de personnes porteuse d’unicité et de différences, nous avons ainsi imaginé non pas un contenant mais une addition de résidences individuelles engagées dans une communication particulière entre elles,» poursuit-elle. Du point de vue architectural, cet objectif est obtenu grâce à la libre répétition dans d’infinies variations de volumes stéréométriques – les modules préfabriqués – qui dans leur agrégation forment «un tissu traversé par le vide».

Ce parti pris constructif exalte les différences tout en introduisant de manière formelle des mécanismes combinatoires, les différents choix d’agrégation et de typologie créant in fine l’aspect esthétique d’un thème architectural qui n’est plus strictement fonctionnel et lié aux prestations imposées. «La résidence particulière, affranchie conceptuellement du terme réducteur de ‘logement’, permet d’envisager une dimension de la maison individuelle en agrégation, dans laquelle les modalités d’accès, la diversification des surfaces, et le modèle de structuration des relations internes au logement (espace jour/espace nuit, espace parents/espace enfants, duplex or simplex, etc.) deviennent des moments de construction de son propre style de vie,» soutient Susanna Tradati.
De fait, la solution adoptée ici – mais on comprend que le même système sur un autre site, en modulant la typologie, aurait produit des immeubles totalement différents – offre des solutions extrêmement riches et diversifiées pour les façades des différents logements, même si l’architecte souligne la complexité du travail réalisé pour inventer toutes les possibilités d’agrégation. Mais le plus étonnant peut-être est que la matrice métallique préfabriquée s’est révélée d’une remarquable souplesse en phase chantier.
Non seulement l’agrégation a offert plus de variantes que les architectes ne l’avaient eux-mêmes imaginé mais les clients ont pu, pendant le chantier lui-même, demander des modifications de l’espace intérieur sans affecter l’espace modulaire global. Pour des clients haut de gamme, voila un supplément de luxe inestimable. Une flexibilité qui a permis notamment également de gérer tous les réseaux sans contraintes excessives. «A partir d’une idée de standardisation, nous avons découvert un concept d’une très grande richesse quelles que soient les caractéristiques d’un site,» se félicite Susanna Tradati.

Cet espace résidentiel cohabite avec les espaces commerciaux, tertiaires, bureaux ainsi qu’un centre sportif (centre fitness) du programme. Les parkings sont souterrains. Au final, si les architectes de NemesiStudio conviennent qu’il reste très difficile de construire à Rome, force est de constater que les occasions de concevoir des bâtiments très contemporains existent quand ils sont portés par de vrais projets d’architecture.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 19 mars 2008