Faut-il associer de nouveaux partenaires à la tête d’une agence d’architecture pour lui permettre de perdurer ? La question taraude de plus en plus d’agences françaises. Le sujet divise, tant les raisons de l’association peuvent être différentes selon les ateliers. Qu’il s’agisse d’allumer la flamme, de passer le flambeau ou de relancer les feux, les associés des agences font le choix d’y répondre de bien des façons, pour bien des raisons.
Aussi étrange que cela puisse paraître, l’idée d’associer de plus ou moins jeunes talents tandis que la machine est déjà lancée est somme toute relativement récente en France et va de pair avec l’ambition de faire perdurer le nom de l’agence bien après que les fondateurs, ayant souvent donné leur nom à l’atelier, ne choisissent de se retirer des affaires. Les exemples d’une transmission réussie de père en fils ou de père en fille semblent nombreux mais ils sont en réalité assez rares.
Pour Le Corbusier, la vie d’agence n’a pas été un long fleuve tranquille et, malgré sa grande renommée à la fin de sa vie, l’agence du maître à penser de l’architecture moderne n’a pas eu de descendance immédiate. Il en va de même pour beaucoup d’architectes du XXe siècle, comme si l’agence d’architecture devait nécessairement être rattachée à une (ou des) personnalité(s) et finir avec elle(s).
Depuis quelques années, les fondateurs d’agences d’architecture bien installées depuis plusieurs décennies réfléchissent à une méthode pour passer les flambeaux. Signe parfois d’un ego qui ne diminue pas avec le temps, nos architectes contemporains «souhaitent préparer l’avenir», dans leur bouche une expression consacrée.
Pour cela, quoi de mieux en effet que de s’attacher les compétences de plus jeunes tout aussi talentueux, souvent formés à la philosophie de l’agence depuis leurs premières années de pratique ? Pour des architectes qui ont fait leur carrière, bâti leur réputation et leur réflexion sur leur seul nom, il n’est pas facile de partager les prises de décision. Dans des ateliers dirigés par de fortes personnalités, le «& associés» simplement accolé aux noms des fondateurs historiques témoignent parfois de la présence un peu plus affirmée de directeurs de projets au sein de la structure, et que ces fameux associés vont et viennent sur des laps de temps parfois assez courts.
Pourtant, dans les agences internationales, la pratique est courante et permet de faire fructifier une image et une qualité de travail. C’est ainsi que IM Pei and Associates est progressivement devenue Pei Cobb Freed and Partners, alors que Ioh Ming Pei, 99 ans profite de la retraite. La question pour nombre d’associés de ce type, après parfois plus d’une décade dans une agence, est de partir ou pas. S’ils ne franchissent pas le Rubicon, ils ne partent plus jamais.
Chez d’autres, «préparer l’avenir» signifie progressivement passer la main à des directeurs de projets qui ont toute latitude pour faire évoluer l’image de l’agence et l’architecture proposée. En témoignent par exemple des projets récents de l’agence Viguier, un immeuble de logements à Montpellier ou la future tour Hyphérion qui devrait voir le jour d’ici 2020 à Bordeaux, bien différents de «Coeur Méditerranée» ou du Campus SFR. C’est ce qui explique le grand écart formel entre deux projets d’une même agence.
Parfois, l’association permet d’organiser de grandes agences en équipes dédiées et forcément plus soudées. Les compétences sont alors spécialisées sur des typologies de projets, chaque associé gérant urbanisme, tertiaires ou encore logement comme autant de pôles. C’est le cas par exemple de l’agence ANMA pour Agence Nicolas Michelin et Associés, les deux acolytes de Nicolas Michelin s’occupant chacun des opérations de logements ou de tertiaire.
Le virus de l’association ne touche cependant pas que les très grandes agences ou celles déjà bien installées. C’est aussi une stratégie de développement pour de petits studios ambitieux. En architecture comme à vélo, si on n’avance pas, on tombe, dit la sagesse populaire. C’est ainsi une manière de grandir pour l’encore jeune agence Antonini et Darmon et Associés. Avant eux, Gaëlle Penaud l’avait déjà mis en pratique en lançant, à plusieurs années d’intervalles, deux salves d’association.
L’association, au sein d’une agence qui ne porterait le nom d’aucun des associés, serait-elle l’assurance d’arriver et de rester un grand parmi les grands, au point d’en oublier parfois la cohérence architecturale des débuts ? C’est en tout cas un des partis-pris d’Architecture-Studio, qui mise moins sur des personnalités que sur des compétences. Qui fait quoi ? Qui est où ? Qu’importe ! Ce qui compte est de remporter des concours et de concevoir des projets, parfois très loin, et même de fabriquer une marque plus qu’un produit. Les egos s’effacent, chacun peut aussi prendre la décision d’aller vers tel ou tel projet, dans un pays ou dans un autre, car le processus de l’agence est cloisonné et parce qu’aucun associé n’empiète sur les plates-bandes des autres.
En architecture, le mariage est souvent de raison, et à ce petit jeu les Anglo-Saxons sont bien meilleurs que les Français. Richard Rogers (83 ans), au sein de Rogers Stirk Harbour + Partners à treize associés tandis que pour Gerhy and Partners, neuf associés font progresser la marque Gerhy. Le maître de 88 ans garde encore un œil sur le travail mais d’aucuns se doutent qu’il ne prend plus part depuis longtemps à chaque projet. Même Le Baron Norman Foster of Thames Bank s’est associé avec pas moins de douze personnes, que des hommes, au cœur de Foster and Partners.
«J’ai la chance de pouvoir me reposer sur douze associés remarquables, que je connais depuis des années, l’un d’eux ayant été mon premier employé !»* reconnaît Bjärke Ingels, à qui il est souvent reproché de diriger une multinationale plus qu’une agence d’architecture. Il est curieux de constater qu’il est très facile de connaître le nom de chacun des partenaires de ces stars de l’architecture internationale, tandis qu’en France, des investigations plus prenantes sont nécessaires. Les 26 associés du groupe AIA ne sont par exemple pas mentionnés sur le site internet du groupe.
Etant donné le travail que demande la création d’une agence d’architecture, l’association, par goût et/ou nécessité, en couple à la ville ou non, est souvent la base d’une agence. Hamonic&Masson, les Chartier Dalix et autre TVK, les jeunes agences se fondent désormais sur la multiplicité des compétences. Ils sont, par exemple et parmi bd’autres, trois à O-S, quatre chez NP2F comme à l’Atelier Secousses architectes tandis que six jeunes architectes font vivre le StudioLada. Quoi de plus normal que de monter une agence à plusieurs ? L’architecture n’est-elle pas le résultat d’un travail d’équipe, de discussions interminables et de regards croisés sans fin pour voir aboutir le projet ? Cela écrit, les séparations peuvent être particulièrement douloureuses, voire aussi violentes qu’un divorce.
Si pour certains, croiser les compétences et les points de vue a été nécessaire, quelques irréductibles se refusent encore à jouer le jeu des partenariats au sein de l’agence qu’ils ont créée. Franklin Azzi avoue que s’associer à d’autres architectes n’est pas à l’ordre du jour, bien qu’il admette que «l’association de certaines compétences très particulières, comme sur le design ou la communication, pourrait être envisageable». Un autre l’aura fait avant lui, Jacques Ferrier, qui s’est adjoint les talents de l’architecte Pauline Marchetti et du philosophe Philippe Simay sur le projet Sensual City Studio, «laboratoire de recherche pour une approche prospective, humaniste et sensible de la ville et de l’architecture».
Notons encore la structure originale créée par Françoise Raynaud : en effet, dès la création de l’agence, ses trois associés sont Alexandra du Couëdic, diplômée de l’EDHEC, dans un rôle de management, de gestion financière et juridique, Jonathan Thornhill, un architecte anglais qui assure la direction technique des projets et Pierre Mas, ancien régatier et fondateur d’une entreprise de construction de bateaux à voile chinois, qui apporte son expertise d’entrepreneur. L’agence s’est très tôt ouverte à l’international. Pour le concours du Pont d’Issy à Issy-les-Moulineaux par exemple, c’est elle qui a proposé à l’architecte japonaise Itsuko Hasegawa, qu’elle ne connaissait pas personnellement, de s’associer au projet. Ensemble, ces deux petites agences, outsider s’il en est, sont parvenues à l’emporter devant Claude Vasconi, Arte Charpentier, Jean-Michel Wilmotte, Valode&Pistre, Manuelle Gautrand et Rogers/Hauvette. Hello !
Evolution de la commande, il est désormais de plus en plus fréquent de voir des agences répondre en équipe à des sujets ambitieux.
D’autres ateliers ont fait le choix moins ponctuel de s’associer sur la durée. Parmi les premières à avoir tenté l’aventure, les membres de l’Atelier 234 soit à l’origine l’Atelier d’architecture Olivier Arene et Christine Edeikins, Mas et Roux architectes et Bolze et Rodriguez-Pagès. Ensemble, ces trois relatives agences ont accouché d’un prolifique atelier d’architecture.
Parfois, les plus grosses absorbent de plus modestes, c’est du moins la technique de Sud-Architectes. L’agence figure depuis quelques années dans le confortable top 10 des agences d’architecture du Moniteur, ce qui témoigne selon ses associés de l’efficacité du procédé.
Enfin, pour finir, noter que parfois la transmission d’une agence s’effectue dans les règles de l’art. C’est le cas de l’agence Arcane qui, fondée en 1975, a parfaitement réussi sa propre mutation, la transition entre les quatre anciens associés fondateurs – dont trois sont déjà parties – et les nouveaux associés promus en interne assurant la pérennité de la structure. La nouvelle génération – Estelle Hopsort, Irena Morawiec, Sophie Saunois, Diane Steimberg, avec le concours de Guy Saint-Macary – apporte, plus de quarante ans plus tard, en sus d’une pratique confirmée, un regard sur l’architecture qui demeure ainsi contemporain.
Léa Muller
*Bjarke Ingels, l’architecte extraterrestre, Les Echos Week-End, Karl de Meyer, publié le 3 mars 2017