Un intellectuel est quelqu’un qui va expliquer un concept simple de façon compliquée. Un artiste va exprimer simplement un concept compliqué*. Le photographe Alban Lécuyer, basé à Nantes, avec sa série Ici prochainement, déconstruit en quelques photomontages les promesses creuses des discours commerciaux et publicitaires pour donner à percevoir l’avenir tangible d’une architecture contemporaine désincarnée. Fulgurant. Chroniques-photos.
La ville contemporaine permet-elle de se projeter dans un avenir tangible ? Est-elle conforme aux plans imaginés par les architectes ?
Avec la série Ici prochainement, j’ai décidé de transposer un habitat collectif ordinaire et sans valeur apparente dans l’esthétique des vues projectives destinées à promouvoir les projets immobiliers de standing.
Le marketing architectural s’inspire largement des codes publicitaires : on ne vend pas seulement un produit, mais également la promesse qu’une réécriture de l’architecture ou d’un plan de circulation peut engendrer une ville nouvelle.
Une ville dépourvue de nuisances et peuplée de personnages majoritairement blancs, blonds et féminins.
Peu de véhicules ou d’animaux domestiques, les contrastes sont légers et les ombres, sièges du doute et de l’incertain, peu prononcées.
Tout ce qui se dresse entre le spectateur et le projet – arbres, véhicules, piétons, etc. – apparaît en transparence.
Une représentation du réel sans angles morts, sans valeurs, qui traduit insensiblement la place d’un individu partiellement absent du décor.
Les photomontages de la série Ici prochainement, réalisés à partir de prises de vues réelles, laissent au contraire entrevoir les inscriptions sur les murs, le linge ou les paraboles aux fenêtres, les objets abandonnés sur les trottoirs, l’usure – tout ce qui atteste qu’une civilisation produit des traces et marque les espaces qu’elle s’approprie.
La présence d’individus réels, habitants ou usagers du quartier, contredit la valeur prospective des mises en scène à travers l’irruption d’une mémoire des lieux et de trajectoires éprouvées.
En remontant le temps d’une histoire déjà écrite, celle des politiques du logement dictées dans la seconde moitié du XXe siècle, ces photographies font apparaître en creux les lieux communs d’une architecture contemporaine désincarnée, dont la forme tend de plus en plus à s’affranchir du territoire dans lequel elle s’inscrit.
Alban Lécuyer
Pour découvrir plus avant son travail : Alban Lécuyer Photographe
*pour paraphraser Charles Bukowski.