Voilà, cela fait un peu plus d’une semaine que le confinement a commencé pour la sécurité de tous, pour l’intérêt général, pour tenter d’endiguer la crise sanitaire. Il me faut cependant continuer à couvrir l’actualité, tenter de réfléchir à propos d’une crise qui absorbe toutes nos pensées. Autant prévenir, j’ai renoncé.
Au début de la semaine dernière, c’était facile. Les communiqués de presse arrivaient de toute part, le sujet prenait forme dans ma tête pour le mardi suivant. Les architectes contactés disaient être prêts, que « rien n’était plus important que d’assurer la sécurité des collaborateurs et des partenaires, que le télétravail s’organisait, etc. », bref que tout allait bien se passer.
Puis au milieu de la semaine, le cerveau a commencé à tanguer, comme pris d’une sorte de vertige non violent. Rien n’est remis en doute. Oui, tout continuera à fonctionner. La technologie est disponible : ordinateur portable, Internet, groupe de message, vidéoconférence, etc. Mais de crise sanitaire en crise économique, l’esprit a fini par concéder de devoir faire face à une vaste inconnue, quelque chose jamais vécue, ni même jamais imaginée.
Arrivé vendredi, j’ai commencé à ne plus avoir envie d’écrire. Ni déprime ni pessimisme pour autant, plutôt l’envie de ne plus ni lire la presse, ni ouvrir ma boîte mail, surtout de ne plus recevoir des communiqués de presse pour me donner l’avis d’un « expert » sur le marché, le BTP, la construction, l’architecture, ni de regarder twitter où chacun a une opinion et verse son expérience du confinement.
La semaine dernière, j’ai suivi la crise entre les fédérations du BTP et le ministère du Travail, sur la nécessité de continuer ou d’arrêter, avec l’Ordre des architectes au milieu de tout ça (et les architectes de twitter à la rescousse de leur profession). Je me disais qu’il était bien étrange de voir la Fédération française du bâtiment, la Fédération Nationale de travaux publics, la CAPEB, etc. en première ligne face à la ministre quand les architectes, au milieu du gué, n’étaient pas invités aux réunions de secteur. Il est quand même atterrant que l’Ordre n’ait pas participé aux réunions avec le ministère du Travail et le ministère de la Cohésion des territoires.
Du coup, j’ai lâché prise et accepté ce week-end pour ce qu’il devrait être toujours, un moment de pause : peu de réseaux sociaux, moins de radio, le journal une fois par jour, un roman, des films, des amis (par téléphone). Je n’avais plus envie d’entendre parler du Covid-19 et de ses répercussions. Je ne suis pas indifférente, loin de là, très loin de là, mais je ne me sens pas capable d’écrire un article d’actualité sur un sujet que je n’arrive pas à suivre, sur lequel je n’ai aucun recul et qui affecte familles, amis et connaissances à travers le monde entier.
Sur n’importe quel autre sujet, les références existent, la distance aussi. La campagne des municipales de Paris est un condensé de débats centenaires et de la longue distance de la politique. Quand j’écris un compte rendu sur une conférence, une exposition, il y a des références croisées, le contrepoint d’un architecte, un livre qui permet de rebondir… Le journalisme et l’analyse de l’actualité demandent un peu de hauteur.
Or cette crise n’a pas de référence, pas chez moi en tout cas. Elle ne s’ancre pas dans mon cerveau et son temps n’est pas le mien. Elle va trop vite, les journaux sont en direct, les radios sont reprogrammées pour ne parler que de cela quasiment toute la journée et la seule chose dont j’ai envie est justement de laisser cette crise reposer, un peu plus loin. Certes pour y revenir mais plus tard.
Se référer à la grippe espagnole, à la peste, pourquoi pas ? Mais ce sont des crises a-technologiques. Nous n’avons jamais été autant connectés et informés mais la seule chose dont on a vraiment envie à la fin de cette première semaine est de tout éteindre, d’arrêter le flux infernal de l’information, de prendre soin de ceux qui nous sont chers (même s’ils sont loin), d’être enfin confiné pour de vrai.
Parce que, finalement, toutes les agences de communication peuvent envoyer autant de communiqués de presse qu’elles le souhaitent pour rassurer la population, elles font comme tout le monde, elles avancent au jour le jour et à l’aveugle sans trop d’idées sur ce qui se passera demain.
Je pourrais parler de mon coup de téléphone à mon rédacteur en chef, lundi après-midi, où je lui ai dit : « je n’arrive pas à écrire, tout me dépasse ». Nous avons discuté de ce que nous avons lu/vu cette dernière semaine : Paris (enfin) sans voiture pour le plus grand plaisir de la maire – ‘Anne Hidalgo en a rêvé, le Covid-19 l’a fait’ – avons-nous imaginé comme titre d’un article ; la propagation du virus aidée par les microparticules ; les élections municipales et la reconfiguration des projets urbains post-crise ; les solutions comparées de Poutine et Trump, la France qui somatise au journal de 20h, etc.
Autant d’idées qui mériteraient d’être explorées mais cette crise, je n’ai pas envie de l’écrire. Cette plongée en temps réel dans quelque chose que nous n’avons jamais connu me laisse dans l’incapacité de réfléchir, de faire un pas de côté face aux événements. J’aurais bien un avis sur ce qui se passe mais je ne parviens pas à le nuancer, à le composer dans ce monde aujourd’hui trop bavard.
Les questions ne manquent pas. Quelles seront les conséquences de la crise sur la profession, sur les programmes ? Quelle ville post-crise ? La crise sanitaire est-elle liée à celle des métropoles et/ou à celle du climat ? Comment l’architecture s’adaptera au jour d’après ?
Pour l’instant cependant, avancer au jour le jour, laisser décanter les hypothèses parce qu’il est trop tôt, beaucoup trop tôt, pour y penser.
Aussi durant ce confinement, je promets de plus parler de virus ou de crise mais peut-être de ces livres qui attendent depuis si longtemps d’être lus. Promis, il y sera question d’architecture.
Julie Arnault