Depuis quelques années, il n’est pas rare de constater que la conception d’un bâtiment somme toute ni trop gros ni trop petit a nécessité un mariage de raison entre agences. Les internationaux vont chercher les nationaux, les vieux s’entichent des jeunes, les ateliers féminins sont forts appréciés. Ces associations n’ont ni les mêmes sources ni les mêmes enjeux.
1930, 1950, 1970, la commande battait son plein. Les architectes, sans AutoCad, assuraient sans complexe des commandes parfois démesurées. Par exemple, Marcel Lods et Eugène Baudouin livraient en 1935 les 1 250 logements de la Cité de La Muette à Drancy tandis que Le Corbusier achevait les 337 logements à la Cité radieuse marseillaise en 1952.
Aujourd’hui pour concevoir moins de 100 logements, il n’est pas rare de jouer de l’association. Que François Leclercq et associés s’associe à Richez et associés à Thiais-Pont de Rungis pour le concours Inventons la métropole afin de concevoir 1 600 logements, pourquoi pas puisqu’il est ici question d’une échelle proche de celle d’une ville. En revanche, les 440 logements (hôtel et bureaux) qui verront peut-être le jour à Anthony nécessitaient-ils réellement la mobilisation d’AREP, de Laisné-Roussel et Clément Blanchet Architecture ?
Récemment, une consultation a été lancée, dans un des nouveaux quartiers parisiens, pour construire un peu plus d’une centaine de logements sur un ancien site de la SNCF. Pour y répondre, les promoteurs devaient proposer des mariages arrangés entre des agences bien installées et des plus jeunes, lesquelles ne demandent bien sûr que ce type de proposition pour se lancer dans le grand bain. Ce qui est inconvenant ici est l’obligation. Chacun sait comme l’architecte peut aller à reculons quand il s’agit de travailler avec un confrère. Quant au maître d’ouvrage, l’histoire ne dit pas si à force de se gratter le crâne pour résoudre son casse-tête de la carpe et du lapin, il a toujours ses cheveux.
Il y a peu encore, c’est un bailleur social qui publiait une candidature pour la réhabilitation d’une partie de l’ancien site du ministère des Armées, rue Saint-Dominique à Paris, en 251 logements. Pour postuler, il faut là encore être devenu maître dans l’art de l’assemblage. Des jeunes, des vieux… 251 logements, c’est une jolie commande pour le futur lauréat mais ce n’est pas non plus une tour à Taïwan. Comme dans Inventons la Métropole, beaucoup d’agences, jeunes et moins jeunes, pourraient y concourir seules et mener à bien le projet estimé à 30 M€ de travaux*. Et ici, c’est de commande publique qu’il s’agit !
D’autant que les relativement jeunes agences qui émergent sur la place des métropoles qui construisent à foison n’ont rien à envier aux grandes. Celles qui ont en plus le vent en poupe, cru AJA, NAJA, ou AJAP c’est selon, qui leur avait déjà assuré une publicité jusqu’à l’international et pour certains une présence à la un peu snobe biennale de Venise, ont déjà bénéficié de quelques tremplins facilitateurs. Pour peu qu’ils fréquentent assidûment l’église de l’Arsenal, le temple de la Maison de l’architecture ou toute autre association se réclamant de l’institution professionnelle… certains pourraient crier à l’injustice et au favoritisme.
Faut-il les en blâmer ? La nouvelle AOM, Laisné-Roussel ou encore Pietri Architectes sont-elles des agences considérées comme jeunes au regard de la taille des ateliers et du volume des projets traités ?
Le jeunisme ne touche pas que la mairie de Paris. Les aménageurs et promoteurs de la France entière sous-entendent et proposent, tout en se désolant en même temps, ces formes d’associations. De quoi en devenir schizophrène ! Il n’y a qu’à regarder le paysage des agences d’architecture françaises pour se rendre compte que la jeunesse peut être un atout pour décrocher un projet, du moins en partie. Au-delà de ceux qui ont su bien tôt tirer leur épingle du jeu, finalement, les ateliers qui fonctionnent très bien aujourd’hui ne sont pas forcément présents depuis si longtemps sur la photo de classe des bons élèves. Si l’architecte est encore jeune à 45 ans, alors les agences qui roulent sont bien juvéniles, à ne surtout pas confondre avec inexpérimentée.
Ces relativement jeunes agences mettent même les bouchées doubles pour accéder non plus seulement à la commande mais également à la notoriété, ce qui va parfois de pair. L’an dernier, ce sont les quadras de Muoto et Bruther qui avaient raflé la mise. Cette année, Block, Berranger-Vincent, seront prêts à assurer la relève, même s’ils ne sont pas seuls.
Ensemble, les quadras parviennent à déplacer les montagnes, en témoigne encore le concours de la réhabilitation de la tour Montparnasse où il aura quand même fallu se mettre à trois pour coiffer sur le poteau agences internationales et architectes primés. En amont l’engagement fût à la hauteur de l’événement, Nouvelle AOM étant née de la nécessité de proposer des garanties surestimées pour espérer gagner quelques concours au nez et à la barbe des agences anglo-saxonnes.
Frédéric Chartier et Pascale Dalix n’en sont d’ailleurs pas à leurs premiers faits d’armes en matière d’association intelligente à souhait. En effet, quand ils ne jouent pas sur un pied d’égalité, ils endossent volontiers le rôle du Petit Poucet. En témoigne leur collaboration régulière et fructueuse avec les prolixes quinquas de l’atelier Brenac&Gonzalez, avec qui ils ont livré en octobre pas moins de 24 200 m² de bureaux à Clichy-Batignolles.
Il y a depuis quelques années une effervescence non feinte autour des firmes d’architecture internationales. Pour elles, concourir en France revient alors à trouver sur place un partenaire de confiance pour assurer les liens avec une maîtrise d’ouvrage différente et un chantier loin de la base de conception.
Comment ne pas citer la collaboration régulière d’OXO architecte avec Sou Foujimoto, notamment pour l’immeuble pont de la Porte Maillot ? Certaines agences s’en sont fait une spécialité comme Calq architectes, bras armé de RCR à Rodez ou de David Schipperfield sur le site Morland de Réinventer Paris. Encore faut-il accepter d’être parfois les grands oubliés des projets. Gageons cependant que la jeune agence NeM architectes, qui a annoncé cet été être lauréate du concours pour l’installation de la collection de la Fondation Pinault dans l’ancienne bourse de commerce de Catherine de Médicis, ne se laissera pas voler la vedette.
Symptomatique des différents profils d’agences qui existent et éventuellement des faiblesses d’un modèle franco-français difficile à exporter, les associations d’architectes, qu’elles soient demandées, nécessaires, ponctuelles ou réfléchies, sont aussi le témoin d’une profession hyperconcurrentielle dont la restructuration pousse à la concentration.
A l’heure de l’ouverture des frontières et des marchés, il est bien difficile pour la plupart des agences françaises de rivaliser avec celles de nos voisins anglo-saxons et leurs cousins américains, et autres Germains et Chinois qui fonctionnent comme de réelles multinationales, avec des pôles non seulement d’architecture et d’urbanisme, mais aussi d’ingénierie, de développement et administratif. A leur tête, il n’est pas rare de compter une dizaine d’associés, des millions de chiffre d’affaires.
L’association, quand elle est égalitaire entre agences de même profil, montre qu’elle peut offrir une réponse efficace à ce déséquilibre.
Alice Delaleu
* http://www.rivp.fr/acquisition-de-lilot-saint-germain-la-rivp-prevoit-251-nouveaux-logements/