Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, a jugé utile de changer les règles de l’émigration légale. Sous prétexte de ne pas «piller les cerveaux de pays en développement», vingt et cent, voire des milliers d’étudiants étrangers sont brutalement priés d’aller voir ailleurs si la Francophonie y est.
Doivent plier leurs gaules même celles et ceux déjà embauché(e)s avec bonheur par ces entreprises qui sont les piliers de notre industrie intellectuelle et mécanique.
La circulaire (dite «circulaire Guéant») du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle et aux étudiants étrangers – son intitulé est déjà un poème – est parvenue à coaliser contre elle l’élite intellectuelle, industrielle, universitaire et académique du pays.
Dès la diffusion de cette circulaire, la Conférence des Directeurs des Ecoles Françaises d’Ingénieurs (CDEFI), la Conférence des Présidents d’Universités (CPU) et la Conférence des Grandes Ecoles (CGE), dont les écoles d’architectures, ont exprimé leur profonde inquiétude.
En effet, quand même le recrutement d’un professeur étranger devient difficile, bonne chance aux écoles françaises, dont celles d’architecture, pour recruter ces brillants étudiants désormais exotiques dont les frères et sœurs aîné(e)s se sont soudain vu ici brutalement notifié de déguerpir fissa !
Plus concrètement, puisque nous nous inquiétons d’architecture, bonne chance aux agences françaises, même parisiennes, même connues, pour aller gagner un concours prestigieux à Séoul, Shanghai, Dubaï, Sao Paulo, le Caire et partout dans le monde quand ceux-là mêmes qui auraient permis de s’inscrire à ces compétitions, sinon de la gagner, ont été renvoyés dans leur pays comme des malpropres !
Plus concrètement encore, à chaque fois qu’un étudiant étranger frappera à la porte de quelconque agence d’architecture en France, en expliquant peut-être aimer absolument le travail d’untel ou d’unetelle et que c’est vraiment là qu’il a envie de travailler, l’agence devra dorénavant remplir moult dossiers aux chausse-trappes innombrables et ce(tte) jeune architecte de la Nouvelle-Orléans, de Johannesburg, de Luanda ou Mumbai passer sous les fourches caudines d’une administration kafkaïenne et réticente avant d’être aux calendes grecques à 9h lundi matin devant sa table à dessin. C’est déjà compliqué et consume déjà un temps hors de proportions. Alors demain…
Certes Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, a fini par reconnaître un «malentendu», amendant sa circulaire sans rien céder sur le fond. Du coup, ces étudiants étrangers qui ont de l’entregent réussiront à rester quand d’autres plus timides auront pris leurs cliques et leurs claques. Ceux qui ne viendront plus ne viendront pas.
Enfin, demeurera sans doute de cette circulaire le fait que tant que ne sera pas dûment rempli et paraphé le formulaire ad hoc relatif à la maîtrise de l’immigration professionnelle et aux étudiants étrangers, ces derniers et leurs employeurs, fussent-ils architectes, n’ont qu’à bien se tenir derrière une nouvelle ligne Maginot.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 4 janvier 2012