Avec mon colocataire Earl, un bâtisseur ayant récemment œuvré à la rénovation du bar de l’Hôtel Salomon de Rothschild pour un happening de la Villa Schweppes, nous avons été sollicités par le cabinet noir de l’Elysée afin de dresser les plans d’un nouvel incubateur. Ce dessein, appelé en interne «Etoile En Marche Project» est censé accueillir les start-ups migrantes, fuyant un Royaume-Uni qui a succombé aux chants des sirènes du mal pour rejoindre la France.
Originaire des nuits mondaines, j’ai le privilège de côtoyer de temps en temps quelques têtes exécutantes au service des puissants de notre pays. Le Supreme Leader, Emmanuel Macron, en plein bras de fer avec les rebelles syndicaux de fer félons (entre deux rénovations architecturales via la Méditerranée Orientale), a chargé ses femmes et ses hommes d’anticiper le futur, en augmentant la cadence des constructions d’édifices devant accueillir nos entrepreneurs de demain.
Mon colocataire et moi avons pour mission d’organiser, «to plan» comme on dit dans la langue d’Attali, l’érection de l’édifice principal.
«Nous nommerons notre incubateur : l’Etoile En Marche» nous répète à l’envi la voix du président dans les haut-parleurs de l’open space qui nous accueille Earl et moi. «Parce-que c’est notre projet».
Les murs de l’open space, spécialement conçus pour une réverbération parfaite, font rebondir les sages paroles du guide suprême.
Alors qu’Earl se charge de réunir les différents outils nécessaires et de constituer son équipe, je pars en observation dans Paris afin de m’inspirer des différents profils de citoyens de notre République. Je veux cet incubateur à l’image des ‘walkers’. Parfaitement incompétent dans l’art architectural, je mets donc à leur service mes talents de planificateur. C’est ainsi qu’Earl et moi organisons notre compagnonnage, facturé au nom de la République En Marche.
J’entame alors mon parcours en zigzagant entre les cols blancs du parvis de la Défense. Quitte à bâtir pour que le pays soit à l’image de la vision du pouvoir en place, autant faire un saut directement dans ce grand bain infesté de requins.
Des winners à droite, des burn-out en sursis à gauche, des sponsors en haut… j’ai affaire à une diversité uniforme. Les âmes diffèrent mais les carcasses ne font qu’une.
Les multitudes de PME ambulantes, qui ont remplacé les salariés de jadis, servent avec ferveur la loi de l’offre. Hier le travailleur était soit un marteau, soit une faucille. Aujourd’hui, le collaborateur est une micro-puce, contenant des crédits d’exploitations, usable à durée déterminée et flexible.
Ces crédits constituent le nouveau matériau utilisé pour dresser les quatre murs qui porteront le toit de nos start-ups. J’ai trouvé la base de mes discours qui serviront la propagande. Le sol de notre incubateur sera un damier en noir et blanc. «Soyez différents en harmonie». En politique comme en architecture, il faut toujours vendre ses idées à l’impératif.
Dans ce mantra, ce qui compte n’est ni «différents», ni «harmonie». Mais «soyez». Ainsi, le goût de l’architecte, qu’il soit bon, ou mauvais, ou juste, ou faux, devient une norme à laquelle nul ne doit déroger. Le beau s’impose avant d’aller de soi.
Maintenant que j’ai le sol, je pars à la recherche de ce qui inspirera les murs de l’Etoile en Marche. Afin que nos porteurs soient à la fois vigoureux mais sereins, sans faille mais séduisants, je décide d’entamer une tournée dans les quartiers gentrifiés d’Île-de-France.
Je profite du chauffeur mis à ma disposition pour outrepasser les obstacles au progrès que les grévistes, de pauvres êtres manipulés par le mal, ont mis en place sur le réseau francilien. «Edwy, emmenez-moi à Bastille je vous prie. Puis nous enchaînerons avec Strasbourg-Saint-Denis, puis Belleville et nous finirons par Jaurès, Pantin et Montreuil».
La majorité des entrepreneurs ne sont pas des branchés qui vivent dans ces quartiers-là. Les branchés représentent néanmoins une force de leadership d’opinion non négligeable. Après tout, ils inventent (ou récupèrent) chaque jour les goûts et les couleurs et les musiques et les progrès et les indignations qui s’imposent toute l’année à la masse des consommateurs.
Les murs de notre incubateur seront à l’image des murs des appartements, des lofts et des espaces de coworking des branchés. Un design industriel. Du blanc cassé et granuleux pour les salles de réunion, des briques rouges et des poutres en métal pour l’open space. Les murs s’élèveront à une hauteur de 20 mètres. Le plafond soutiendra de longues tiges de bambou, dont l’extrémité accueillera une lumière destinée à éclairer les futurs entrepreneurs durant leur quête du progrès.
Je reçois tout à coup un coup de fil d’Earl, qui me sort de mon inspiration. Il y a un problème… la municipalité tente de freiner l’avancée du projet de l’Etoile En Marche. Nous sommes tous convoqués chez Thibault Cairzergues, le patron de notre cabinet noir.
A suivre…
Herizo
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