Ce jeudi 16 juin 2016, un étrange ballet avait lieu dans les collections permanentes de la Cité de l’architecture. Un petit groupe d’étudiants de l’ENSA-La Villette avaient fait du silencieux musée un terrain d’expérience pour répondre à la question «Comment dire l’architecture ?», ou plutôt, comment la raconter et la rendre accessible à tous. Un parcours muséal original. Visite.
L’enjeu était d’investir, de manière ludique mais savante, l’écart entre l’architecture et la perception de son public. A la suite d’un semestre d’enseignement, étudiants et professeurs présentaient donc leurs idées de médiation imaginées tout au long d’un semestre de leur première année de master à l’école d’architecture de La Villette.
«A Vendre» s’affiche sur la façade de l’unité d’habitation de Le Corbusier. Un petit groupe se presse à l’intérieur du logement. Une visite guidée ? Non, une visite immobilière pour qui souhaiterait acquérir, pour la modique somme de 375 000 euros, cet appartement en duplex de quatre pièces de 93,31 m² avec vue. Le diagnostic thermique est en cours de réalisation explique le prospectus de la fictive agence Texier Immobilier, dont Poline, étudiante en M1, se fait l’agent érudit pour les deux heures que dure l’événement, enchaînant, la voix pas toujours très assurée, anecdotes historiques et autres informations sérieuses.
Plus loin, une anachronique rencontre a lieu dans l’appartement (imaginé) du second étage du 14 rue Guynemer à Paris, devant la maquette du bâtiment. Michel Roux-Spitz, l’architecte de l’immeuble joué ici par Haythem, étudiant, essaie de rentrer chez lui tandis qu’Alexiane (sa camarade), occupe désormais les lieux. Nous sommes en 2016 et ce visiteur du XXe siècle apprend que son immeuble est désormais classé. Le spectateur de cette courte scène de théâtre, écrite avec plusieurs variations par les deux apprentis comédiens, enrichit son vocabulaire et sa culture architecturale au travers de l’explication des principes qui ont guidé l’architecte de l’immeuble Art Déco. Il perçoit également l’investissement des élèves qui sont allés jusqu’à rendre visite aux actuels occupants de l’immeuble.
Ce jour-là, le visiteur pouvait encore découvrir avec Alfredo, à la lumière d’un jeu de société «fait maison», l’histoire de la Maison de la Radio ou s’intéresser aux moulages romans avec les ‘mappings’ de Florentin et Lambert. «Nous avons choisi nos constructions et nos moyens de médiations en utilisant nos propres outils d’architectes» souligne Alfredo, étudiant mexicain qui triture la maquette qu’il a réalisée pour son jeu.
Cette initiative est née d’un constat de Pierre Chabard et de Julien Bastoen, professeurs en charge de cet enseignement optionnel. «Les étudiants souffrent d’un véritable déficit dès qu’il s’agit de construire leur discours autour de leurs propres projets», expliquent-ils. Les douze élèves qui animent les œuvres sont en quatrième année et vont bientôt arriver sur le marché du travail. «Souvent les architectes ont tendance à oublier que seulement quelques initiés peuvent se passer de traduction. Ils sont formés dans le mythe que la maquette et le dessin parlent pour eux. C’est ce qui est d’ailleurs à l’origine de l’anonymat des concours d’architecture en France. C’est en réalité une fausse bonne idée. L’architecte doit parler et argumenter pour exprimer et expliquer son projet», souligne Pierre Chabard. «Un langage hermétique est propice à la langue de bois et permet aux architectes de justifier d’un entre soi rassurant», dit-il.
Poline, l’agent immobilier, a conscience de cette lacune. L’exercice auquel elle se livre lui a d’ailleurs demandé beaucoup de recherches. Son appréhension ? «Le plus difficile est de ne pas connaître le niveau de connaissance des personnes à qui je m’adresse. Peut-être que certains en savent plus que moi», dit-elle. Si la médiation devient alors un moyen d’enseignement pratique, l’exercice n’est pas simple. «Les élèves ont le trac, ils s’exposent beaucoup», note Julien Bastoen.
Que ce soit au travers de l’appartement de Roux-Spitz ou de l’unité d’habitation de Le Corbusier par exemple, les étudiants sont bien plus que de simples cartels parlants, bien que leurs recherches les aient conduits de bibliothèques en archives. Ils projettent les visiteurs directement dans des appartements d’architectes et posent finalement la question de comment habiter aujourd’hui des appartements des années 30 ou 60, classés et donc contraints. Soukeina et Camille font quant à elles le lien entre la galerie méconnue des peintures murales et des vitraux avec la galerie de l’architecture contemporaine notamment au travers de la polychromie, suscitant l’intérêt pour un des espaces parmi les moins visités. Le savoir ne se contente pas d’être rebattu, il est problématisé afin d’être mis à la portée des visiteurs.
Enora Prioul, chargée de coordination et responsable de projet à la Cité, admet que «les futurs architectes peuvent manquer parfois d’un peu de vocabulaire mais ils sont un regard plus frais et montrent plus de curiosité. Sans se complaire dans la simplification du discours, ils se plaisent à rendre l’architecture accessible au plus grand nombre et de façon plus juste». D’autant plus qu’ici, l’architecture patrimoniale nécessite un plus grand bagage de connaissances. «Il s’agissait de varier les formes de façon à aborder différemment les thèmes, avec leur regard d’architectes et non pas d’historiens de l’art comme la plupart des médiateurs habituels», résume Pierre Chabard.
C’est la deuxième année que des étudiants investissent les lieux de façon éphémère. «Cet événement est le fruit d’une association plutôt naturelle entre La Cité de l’Architecture et du Patrimoine et La Villette, à l’initiative de Guy Ansellem, Président de l’institution», explique la chargée de projet. Une façon aussi pour le musée d’attirer un public différent dans ses collections, de dédramatiser le savoir sans pour autant le brader, le tout à moindre coût financier.
Le temps d’une soirée, les étudiants se sont donc appropriés leur culture afin de mieux en parler. L’expérience semble avoir été concluante et les organisateurs des journées du patrimoine pourraient d’ailleurs s’en inspirer et rappeler Poline, Camille et les autres pour redonner un peu de vie aux collections du Palais conçu par Léon Azéma, Jacques Carlu et Louis-Hippolyte Boileau en 1937 et dont les couloirs résonnent dans le vide le plus souvent.
Léa Muller