L’ouvrage Construire réversible, paru en avril 2017 et édité aux Editions Canal architecture, donne la parole à un large panel d’acteurs de la construction. Du politique à l’architecte, en passant par la sociologue, et le promoteur… Seul peut-être manque à l’appel le citoyen lamda mais, après tout, chacun habite quelque part. Morceaux choisis.
Suzel Brout, architecte : «Un bâtiment dont la construction répond exactement à son programme est finalement un bâtiment qui n’est pas durable. La durabilité́ d’un bâtiment est d’abord structurelle».
Nicola Delon, architecte : «Dans notre métier de tous les jours, on est face à une telle complexité́, que pour ajouter la cartouche du réemploi, on se frotte à des monstres réglementaires, méthodologiques».
Bruno Fortier, architecte-urbaniste : «La réversibilité́, c’est un concept nouveau lié à la misère».
Patrick Bouchain, architecte : «C’est la liberté́ qui peut changer l’architecture. Je pense toujours que ce qui n’est pas fait pour être habité reste le plus habitable. Car c’est la rencontre possible d’un habitant avec un espace non conforme au modèle idéal qu’il avait imaginé».
Francis Rambert, directeur de l’IFA : «Même un bâtiment moche, s’il est bien construit, il a de l’avenir».
Matalli Crasset, designer : «Les friches industrielles transformées sont remplies de mémoire. Avec du réversible neuf, il y aura moins d’histoire».
Sybille Vincendon, rédactrice en chef adjointe de Libération : «Ce qui est frappant, c’est à quel point l’idée de bâtiments réversibles est marquée au coin du bon sens».
Lucien Kroll, architecte : «L’avenir est impossible à prévoir : faisons du parfaitement transformable techniquement et socialement».
Frédéric Druot, architecte : «L’architecte doit réfléchir à des systèmes constructifs suffisamment simples, économiques et capables».
François Leclerc, architecte : «Il faudrait que chaque permis de construire de bureaux possède son permis bis de logements transformés avec des coûts limités. De la même manière qu’il y a un volet ‘paysager’ dans les permis de construire, il devrait y avoir un volet ‘transformabilité’».
Dominique Alba, directrice de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (Apur) : «Les architectes qui travaillent la réversibilité́ doivent laisser de côté́ la conception produit, qui domine depuis les années 1950 et 1960, pour aller vers une conception process».
Marine Carpentier-Daubresse, observatoire régional de l’immobilier d’entreprise en Ile-de-France : «On est au début du chantier de l’immobilier réversible. Peu d’opérations sont lancées malgré́ l’émergence de solutions de construction, à l’image de l’opération Conjugo conçue par Vinci Immobilier et Patrick Rubin, de l’Immeuble à Destination Indéterminée élaboré́ par Icade et Anne Demians, ou encore d’Office Switch Home de Bouygues Construction».
Dominique Perrault, architecte : «La question de la réversibilité́, c’est transformer ce qui existe déjà̀ et c’est aussi penser, imaginer et réaliser de nouveaux programmes dans une perspective plus ouverte. Il est intéressant de porter cette question à un niveau théorique, politique, stratégique».
Daniel Calori, adjoint au directeur général délégué, pôle immobilier d’entreprise Sefri-Cime : «Sur la question, on voit émerger pas mal de projets, comme l’immeuble de LAN aux Batignolles, très bien conçu du point de vue de l’organisation d’un étage. On trouve également des études poussées sur la trame de la façade et son incidence sur l’organisation intérieure des niveaux, c’est assez convaincant. Mais le plan d’un immeuble parfaitement réversible du point de vue des escaliers et des ascenseurs, je rêverais de le voir ! Comment fait-on pour éviter le marteau-piqueur ?»
Raphaël Ménard, architecte et ingénieur, président d’Elioth, groupe Egis : «Pour le logement, et surtout pour le tertiaire, on constate une hyperspécialisation programmatique : on rend les objets conformes à un environnement technico-réglementaire, jusqu’à obtenir une certaine optimalité́ économique. Il y a des convergences analogues dans le design automobile, un resserrement autour d’archétypes. Ces bâtiments ont une obsolescence intrinsèque du fait de leur destination initiale».
Michèle Laruë-Charlus, directrice de l’aménagement à la Ville de Bordeaux : «Tout coince, tout bloque : les habitants, le court-termisme, les coûts, les a priori…».
Ian Brossat, adjoint au Maire de Paris en charge du logement et de l’hébergement d’urgence : «Sur le plan des autorisations, la Ville de Paris a ouvert cette année cette possibilité́. Avec une autorisation réversible sous 15 ans. Cela permet au propriétaire de bureaux qui aurait peur pour la future valorisation de son bien de franchir le cap de la transformation de bureaux en logements».
Isabelle Vallentin, directrice générale, Sequano Aménagement : «Il revient aux architectes d’être convaincants et ne pas laisser échapper leur rôle de concepteur dans l’acte de construire».
Olivier Haye, directeur de la maîtrise d’ouvrage, Gecina : «L’immobilier, c’est fabriquer des prototypes, il n’y a pas un immeuble qui ressemble à un autre: ils correspondent à une orientation, un emplacement, une desserte, un usage. Le premier critère, c’est de dépenser le moins d’énergie et le moins d’argent pour faire muter un immeuble».
Sébastien Thiéry, politologue : «Cela peut être éthique, avec une dimension très claire d’espace public. Ce serait peut-être intéressant que le 1% artistique ou autres, comme le pratique Patrick Bouchain dans ses architectures, passe devant la marge dans le cahier des charges. Pour que la réversibilité́ ne demeure pas une solution technique mais un acte politique».
Compilation réunie par Léa Muller