A l’heure où Corbu, longtemps après sa mort, tire encore la couverture à lui et fait les choux gras des gazettes, il convient pourtant de rappeler qu’il n’était pas seul au monde et que si la nature a horreur du vide, lui seul ne le remplissait pas tout entier. Pour preuve cet inventaire bien peu exhaustif.
Le 17 juillet 2016, l7 sites conçus par l’ingénieur, architecte, designer, urbaniste et théoricien Charles-Edouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier, ont été reconnus au Patrimoine mondial de l’Unesco. Si l’Histoire a préféré oublier les débuts un peu tâtonnant de l’Helvète et sa propension à vouloir faire le bien des gens malgré eux, elle a retenu un théoricien et un constructeur novateur dont l’autorité, écrasant confrères, amis ou opposants à l’humanisme plus nuancé, eut vite fait de l’introniser comme l’Architecte de la Modernité. A (re)voir…
Pierre Chareau (1883 – 1950) – De la délicatesse du verre et de l’acier
Pierre Chareau est l’un des premiers architectes à inclure le verre et l’acier dans ses constructions.
Entre 1928 et 1931 rue Saint-Guillaume à Paris, il réalisa la maison de verre pour le docteur Dalsace. Composée de trois étages, elle est conçue comme un espace total. La façade sur cour est entièrement vitrée : une structure métallique tramée soutient des panneaux en pavés de verre. La structure en acier, les canalisations et conduits restent visibles et participent à l’architecture, transformant ainsi les éléments utilitaires de la maison en éléments décoratifs.
Eugène Beaudouin (1898 – 1983) – l’architecte des 30 glorieuses
Associé à Marcel Lods dès 1930, son intérêt se porte rapidement sur le logement collectif dont il cherche à industrialiser les processus de préfabrication.
La cité de la Muette à Drancy, réalisée dans le cadre des chantiers de cités-jardins pour l’OPHLM de la Seine emploie des carreaux de Lap, dont la fabrication est devenue industrielle. Il réalise également la Maison du Peuple de Clichy.
Il a été l’urbaniste de La Havane et sur le plan Prost* en Ile-de-France, puis après-guerre à Marseille ou entre encore à Saigon. En 1951, il remporte le concours de la Cité Rotterdam de Strasbourg afin d’y développer de nouvelles méthodes d’industrialisation du bâtiment. Les Minguettes à Vénissieux sont également le fruit de sa réflexion à l’instar du quartier Maine-Montparnasse à Paris.
Fernand Pouillon (1912 – 1986) – La reconstruction haute en couleurs
Il fut un des artisans de la reconstruction aussi bien en France qu’en Algérie ou en Iran. Alors que ces contemporains usent du béton, lui préfère abuser de la pierre, moins chère.
A Marseille, il laissa l’ensemble de la Tourette, fuit d’une synthèse de la réflexion des entrepreneurs et ingénieur afin de faire baisser les coûts de construction. Pendant la période de la Reconstruction, il fait un pari audacieux. Construire à Aix-en-Provence 200 logements en 200 jours pour 200 millions de francs. Pari gagné grâce à l’utilisation de la pierre.
Georges-Henri Pingusson (1894 – 1978) – Ingénieur et architecte
Georges-Henri Pingusson se fait connaître rapidement en dessinant l’Unibloc, une voiture concept d’avant-garde, dont la production, l’économie et la valeur d’usage deviendront le fil conducteur de son travail.
Sa réalisation la plus significative reste le mémorial des Martyrs de la Déportation, réalisé avec une contrainte de non-visibilité en raison de la présence de Notre-Dame de Paris. Il magnifie le programme en l’enfouissant dans une crypte, à laquelle on accède forcément seul dans le gabarit de l’escalier qui y mène.
Architecte en chef de la reconstruction de la Sarre puis du département de la Moselle, il propose en 1947 un plan d’urbanisme pour la reconstruction de Sarrebruck.
Paul Tournon (1881 – 1964) – La spiritualité au service des normes sociales.
Reconnu pour la réalisation d’une douzaine d’édifices religieux en béton armé en France et au Maroc, il fut nommé architecte de la banque de France en 1940.
Une de ces constructions les plus marquantes est la grande maison pour étudiantes de la rue Lhomond à Paris, édifiée entre 1929 et 1930. Une des premières résidences universitaires de 125 chambres individuelles meublées et équipée de tous les services généraux et conçue selon les normes HBM de l’époque. Elle constitue un témoignage social, à la fonctionnel et élégant, sobre et spirituel.
André Lurçat (1894 – 1970) – L’homme de convictions
André Lurçat a été un des fondateurs des CIAM en compagnie de Le Corbusier, malgré une position affirmée pour un modernisme modéré.
Le groupe scolaire Karl Marx de Villejuif constitue un de ces succès. Il travailla ensuite à Moscou.
Il participa à la création du Front national des architectes résistants et dès 1945, est choisi pour la reconstruction de la ville de Maubeuge. En 1950, il devient l’architecte et l’urbaniste en chef de Saint-Denis où il élèvera la cité Paul Langevin, ainsi que le quartier Fabien.
Lurçat donne aux bâtiments une valeur politique dans laquelle le communisme a une large influence.
Michel Roux-Spitz (1888 – 1957) – Un moderne classique
Homme de convictions et de théories, il prend les rênes de la revue l’Architecte, est actif au sein de l’Architecture d’Aujourd’hui et sera le rédacteur en chef de l’Architecture française. Il y prend position pour une architecture moderne et s’oppose vigoureusement aux principes corbuséens.
Influencé par Auguste Perret, il conçoit pour la bourgeoisie parisienne des immeubles de belles factures, avec bow-windows en façades, avec une structure en béton mais avec un placage de pierre. A partir de 1932, il est nommé comme architecte en chef de la Bibliothèque nationale dans laquelle il livre un des premiers chantiers de façadisme de Paris et se fond dans le travail d’Henri Labrouste dans les magasins. Dans le département des estampes, il conçoit un escalier à la fois moderne et classique à l’image de ses préoccupations.
Léa Muller
* Le plan Prost est un plan d’urbanisation à l’échelle de l’Ile-de-France, qui débuta dès 1939