De l’intention de l’architecte au ressenti de l’habitant, il y a parfois un gouffre. En témoigne ce long courrier adressé à la rédaction à propos du communiqué* intitulé ‘A Paris, la Tunisie calligraphiée par Explorations le long du périphérique’. Courrier du cœur.
Mesdames, Messieurs,
Je viens de lire votre article sur le pavillon Habib Bourguiba à la Cité internationale universitaire de Paris.
En effet, j’habite actuellement dans ce pavillon et, en tant que résidente, je voudrais vous dire que votre article ne correspond pas du tout à la réalité que l’on vit ici.
Vous donnez une impression que l’architecture de la maison est bien pensée et bien faite. Quelques extraits du texte que vous avez publié :- « D’un point de vue fonctionnel, la façade protège efficacement les résidents du Pavillon contre l’ensoleillement et donne une véritable intimité à tous les espaces, y compris la nuit le long du périphérique » ;
– « La forme organique permet de répondre avec acuité aux contraintes d’un site parisien très exposé à la vue, au bruit et aux éléments naturels (orientation plein sud). Les façades du bâtiment ondulent pour limiter les nuisances acoustiques, afin de répondre au masterplan de Bruno Fortier et pour offrir des points de vue uniques à chaque chambre » ;
– « Le rez-de-chaussée accueille la salle d’études, qui est en articulation entre la résidence et la zone publique ».
En tant que résidente, je trouve que ces phrases sont tellement loin de la réalité que la plupart des résident.e.s vivent ici (la moitié des chambres est placée côté périphérique et l’autre moitié côté parc, je parle ici des chambres qui donnent sur le périphérique).
Depuis ma fenêtre par exemple, je ne vois que le périphérique. En plus, la vue est limitée par les lettres qui sont fixées à l’extérieur de l’immeuble.
Qui plus est, il fait une chaleur insupportable dans les chambres qui sont orientées vers le périphérique. Il nous est donc conseillé de garder les rideaux toujours fermés, des rideaux d’ailleurs trop petits pour couvrir toutes les fenêtres, ce qui est surtout très embêtant durant la nuit car on voit les lumières des voitures qui passent. Par ailleurs, les spécialistes conseillent des stores plutôt que des rideaux contre la chaleur, et je me demande pourquoi des choses aussi simples et pas chères n’ont pas été appliquées.
La pire chose est le bruit du périphérique. Même avec des fenêtres fermées, le bruit demeure insupportable. Le bruit moyen pendant la nuit (mesuré par exemple avec une application sur mon portable entre 23 h et 6 h du matin depuis mon lit, fenêtre fermée) s’élève à presque 50 décibels, avec des maximums à 89 décibels !
Le ministère de la Santé constate dans une brochure qu’un bruit constant de 40 décibels est susceptible d’entraîner des troubles de sommeil, ainsi que des troubles de concentration. A partir de 55 décibels, le risque pour des maladies cardiovasculaires augmente drastiquement. Sans parler des problèmes de santé que provoque la pollution du périph à quelques mètres de ma chambre. Si le périphérique se trouve simplement à côté du bâtiment et si on ne peut alors peut-être rien faire contre la pollution, on aurait très facilement pu introduire une meilleure isolation sonore et aussi des stores et d’autres outils d’isolation thermique. Il n’y a par exemple pas d’air conditionné. Et des stores n’auraient pas été beaucoup plus chers que des rideaux. Des fenêtres supplémentaires l’auraient peut-être été, mais au moins on pourrait dormir. On aurait peut-être pu économiser un peu dans la façade.
En effet, je dors extrêmement mal et très peu dans ma chambre et il n’est pas question d’y étudier : la chaleur (au moins en été) et surtout le bruit le rendent impossible. Je me sens tout le temps stressée et fatiguée. Les autres résident.e.s auxquels j’ai parlé disent se sentir pareil. J’ai vécu dans d’autres maisons de la Cité internationale, également juste à côté du périph, où le bruit était beaucoup moins embêtant alors qu’elles ont été construites dans les années 50 et 60 – alors que le Pavillon Habib Bourguiba a été inauguré l’année dernière.
Par ailleurs, la salle d’études est tellement mal isolée et mal placée qu’on n’y entend pas seulement le périph (moins fort que dans les chambres) mais aussi tout ce qui se passe à la réception, les gens qui marchent dans les couloirs, les sons de l’ascenseur, ce qui se passe dans le foyer, dans les escaliers et devant la cuisine.
Il y fait également chaud et les fenêtres sont orientées vers le périph.
De plus, la cuisine est dans un état désolant, les matériaux les moins chers semblent avoir été utilisés, en tout cas les plaques ne marchent pas et il y a déjà beaucoup de traces d’usage, les surfaces sont partiellement déjà brûlées et cassées.
En résidant dans cette maison, on n’a l’impression que tout le budget a été dépensé pour la façade, les salles représentatives, etc., tout ce qui peut être beau sur des photos. En guise de quoi, pour celles et ceux qui habitent dans des chambres orientées vers le périph, c’est-à-dire environ la moitié d’entre nous, on ne peut ni dormir ni étudier dans les chambres ni de manière concentrée dans la salle d’études, ni ne peut-on y cuisiner correctement. Pourtant, je croyais qu’il s’agissait-là de fonctions importantes pour une habitation étudiante. Et tout ça pour 510€ de loyer !
Je serais reconnaissante, en tant que magazine architectural, de ne pas contribuer à la propagation d’informations incorrectes et euphémistes sur un projet de résidence étudiante qui, franchement, n’en mérite pas le nom. Et qui me semble n’être qu’un projet de prestige, sans avoir pour objet que nous puissions étudier et dormir et cuisiner.
Bien cordialement
Une résidente dépitée
Septembre 2021
*Pour comprendre le fonctionnement de notre rubrique Et pendant ce temps-là, lire notre édito explicatif.