Peu d’agences d’architecture au Vietnam disposent de véritable culture d’agence, mais cela ne saurait tarder.
La chine est désormais pionnière en la matière.
Les pratiques architecturales et la production bâtie an Asie sont le résultat tangible d’une globalisation qui n’est désormais plus discutée.
« L’une des principales difficultés de construire dans un milieu tropical réside dans la découverte d’un langage de conception, de lignes, d’angles et de mailles et d’ombres plutôt que d’une architecture de plan, de solides, de plein et de vides. Ceci nécessite un processus autodidacte du fait de la prédominance de l’architecte européenne qui compose l’essentiel de la formation des architectes sur ces 200 dernières années ». Tay Keng Soon Architecte 1997 Singapour.
L’internationalisation du monde, la circulation sans filtres des projets d’architecture sur les réseaux sociaux ont amené une culture uniforme de l’image.
Les mêmes outils informatiques mis à disposition des agences d’architecture, les mêmes logiciels de calcul d’images des graphistes et modeleurs 3D des agences d ‘architecture définissent partout dans le monde les mêmes résultats, les mêmes lumières, les mêmes effets graphiques et perspectives. La production bâtie suit cette uniformisation de l’image et du process du dessin.
Le Vietnam n’échappe pas à cette règle.
Mais le monde change …
L’après crise de Covid engagera d’autres pratiques qu’il est difficile d’anticiper.
D’aucuns qualifient de frugale une architecture qui obéit plutôt à une pauvreté d’investissements et de mise en œuvre, un capitalisme sauvage qui valorise le court terme, l’effet sur la durée.
Le biosourcé, des réseaux vertueux de l’économie circulaire dissimulent une hypocrite diminution des investissements depuis trente ans.
Toutefois, le besoin de réduire l’économie de matière des projets est salvateur pour la planète. Dans un monde pillé sans scrupule depuis cent ans, le sable vient à manquer partout.
Cependant, au-delà d’une architecture sobre et attentive à l’environnement, il est question de l’évolution globale de notre profession d’architecte.
Dans un monde qui restreindra la circulation de matières, quel sera alors le sens d’une architecture frugale au-delà de sa simple réponse à des budgets atrophiés et un changement climatique crispant nos reflexes ?
Le regard de l’architecte
Il s’agit pour ma part de ne pas oublier les fondements ; de toujours suggérer une culture du regard, d’offrir aux utilisateurs de nos bâtiments des fenêtres de lecture sur le monde, sa poésie, de ne pas sombrer dans une techno-architecture qui sous prétexte de frugalité enterrerait l’essence même de notre métier.
Plus perfidement et dans une nouvelle période où s’instaurent des distanciations sociales, il faut se méfier de l’émergence de nouveaux réflexes anxiogènes qui favoriseront des lieux sordides et solitaires, des couloirs anxiogènes de sécurités et des immeubles lisses comme des pots de yaourt propres, sans aspérités et sans poussières.
L’architecte est celui qui ancre un bâtiment, apporte le support qui calera le bâtiment.
L’architecte est celui qui cadre, compose graphiquement des fenêtres au propre comme au figuré.
L’espace, le travail sur la lumière, le filtre entre le dedans et le dehors est la quintessence de notre travail.
L’œuvre construite est un tout unitaire dans une relation au paysage.
Les architectes et les artistes sont défenseurs de cette poésie.
En Asie la peau focalise les attentions, en architecture l’aspect, le revêtement du bâtiment, son habit, sa texture importent plus que tout.
Peu importe le sens constructif, le fonctionnement, la gestion des flux, le squelette de la structure qui ordonne, la durabilité n’est pas de mise ici, ce qui compte est ce qui se voit vite et immédiatement. Peu importe de mettre du verre en plein soleil puisque la climatisation régulera la fraîcheur…
La composition et l’assemblage, les prérogatives de l’architecte au Vietnam?
C’est l’architecte qui choisit les matières en fonction du projet. C’est lui l’homme de l’art qui endosse cette responsabilité.
La culture anglo-saxonne qui structure la majorité des agences internationales en Asie apporte une fausse précision et une déresponsabilisation. La description à outrance des détails pourrait même à long terme être à l’origine du manque d’initiative et d’écoute des ouvriers spécialisés sur les chantiers, simplement un manque d’échanges constructifs.
Contrairement au Japon qui a poussé à l’extrême un savoir-faire ancestral et une culture du bois et de l’éphémère, le Vietnam manque d’artisans qualifiés susceptibles de tirer vers le haut la construction et l’entretien des projets d’architecture.
Il faudra aussi cesser de dissocier ; architecture intérieure et composition globale au risque de perdre sens et cohérence.
Au Vietnam la production hétérogène des agences d’architecture est le résultat d’une situation ou la maîtrise d’œuvre est incapable de mettre l’architecte dans son rôle majeur de chef d’orchestre et de coordinateur.
L’architecte est un prestataire de service quelconque dans la chaîne de l’élaboration d’un bâtiment. L’architecture est un produit qui s’achète et se modifie au bon vouloir de son commanditaire, et ne donne plus sens à une composition cohérente unitaire du début à la livraison intérieure d’un bâtiment.
C’est la raison principale pour laquelle les plus belles réalisations d’architectes sont celles de maisons individuelles dont l’échelle reste maîtrisable.
La culture du patchwork – travail en addition de matériaux et de signes – règne souvent, certains architectes la revendiquent pour justifier leur manque de rigueur.
Le « less is more » est difficile dans ce pays où l’accumulation de richesses et de signes marque le succès…
Les architectes vietnamiens de Tropical Space ou Vo Trong Nghia et 1+1>2 développent des projets dont le rapport au sol (la terre et la brique pour tropical space) et la nature (la végétation dans les bâtiments de Vo Trong Nghia) illustrent une démarche sensible à l’écologie.
L’esprit est de construire avec des filières locales et simplement.
De nombreux autres talentueux jeunes architectes les suivent. Ces quelques agences ont donc réussi un premier pari, celui de développer des cultures d’agences :
– une culture d’agence se construit avec savoir-faire, expérience, méthode et rigueur constructive, un compagnonnage éprouvé, des échanges permanents avec les partenaires ingénieurs qui déterminent le squelette, le corps puis la texture filtrante d’un bâtiment avec les architectes ;
– une culture d’agence se traduit dans une lisibilité graphique des projets et une compréhension immédiate de sa production ;
– une culture d’agence repose sur des réflexes, des méthodes de travail, une rationalité des échanges avec la maîtrise d’ouvrage et les partenaires techniques, la mise en place de process créatifs et de développement de projets.
Mais le monde change…
La société vietnamienne confinée par des longues années de temps de guerre et de communisme ouvre les yeux, voyage depuis vingt ans dans un monde capitaliste qui lui se transforme à toute allure et dans lequel les plus agiles en sortiront peut-être les gagnants, les véloces seront les maîtres.
La mobilité et la rapidité de répondre à une commande terrassent l’architecte occidental qui débarque en Asie. Alors qu’il lui faut huit mois pour faire des études comme cela se pratique normalement, les commanditaires demandent de réaliser toutes les études en moins de six semaines.
Cela demande une grande professionnalité, une dextérité et un savoir-faire incomparable pour ne pas être tenté de reproduire et ne pas tomber dans le tentant copier-coller toutefois de mise pour ces agences.
Les architectes, sportifs de haut-niveaux, sont en Asie des seigneurs de guerre.
L’exercice, la mise en place de pratique de développement de projets et d’équipes rodées demande une célérité exceptionnelle dans laquelle nos habitudes occidentales se cassent les dents car peu aptes à de telles pratiques.
Depuis plusieurs années j’ai observé ce phénomène et je suis admiratif devant la vélocité de mes confrères asiatiques qui arrivent à mobiliser équipes et collaborateurs dans des temps records.
Je ne sais pas si cette manière de faire est bien, ni ce qu’elle produira à long terme…
Nous pouvons nous en inquiéter, nous ne pouvons le nier, je constate seulement que les rapports de forces se modifient.
Dans ce Vietnam tigre émergeant de l’Asie du Sud-Est, de nombreux architectes disposent de ces nouvelles cultures d’agence, lesquelles me semblent plus réactives à la période post-covid qui s’annonce.
Olivier Souquet
Saigon le 9 mai 2020