Voyager est une remise en cause permanente : que se passe-t-il ailleurs au moment présent ? L’ailleurs est une découverte, une exploration et un apprentissage constant de cultures, de géographies et de climats. En témoignent au Maroc les Ksour Imazighen. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Je considère mon métier d’architecte comme une étude anthropologique où l’architecture depuis ses origines tente de répondre aux attentes futures de nos sociétés, d’où cette attention aux cultures locales et mes études organiques quant aux moyens d’utilisation de matériaux divers. Dans ces univers inconnus, le dessin devient une instrumentalisation et un moyen d’explorer les détails et de les sélectionner.
J’ai effectué des missions et construit dans plusieurs régions du Maroc. Près de Tanger, j’ai notamment rénové l’hôtel du Club Méditerranée de Yasmina en plusieurs phases : une phase de rénovation et une autre d’implantation de village.
J’ai alors parcouru le pays du nord au sud pour en découvrir l’artisanat, j’ai fouillé chez les artisans de Marrakech à la recherche de couleurs, de matériaux, et d’idée pour un mobilier original. Les zelliges, le tadelakt, les couleurs, la terre rouge et ocre des moucharabiehs, le tout est magique et une florissante source d’inspiration.
Je ne voulais pas acheter des meubles de catalogue, il s’agissait selon moi de dessiner pour le lieu, d’en choisir les étoffes et les couleurs, de faire tisser des motifs particuliers et originaux pour l’habillage des rideaux, des coussins et dessus de lits sans pour autant copier un motif existant.
Donner un esprit aux lieux avec des matériaux locaux et des ingrédients de couleurs ne signifie pas forcément consommer local mais plutôt s’inspirer du génie des lieux pour imaginer de nouvelles créations. De fait, les marchés au Maroc regorgent de multiples créations même si nombre d’artisans se laissent influencer par les tendances de créateurs en vogue, quitte à s’en inspirer très largement.
L’architecture elle-même n’est autre qu’une déclinaison d’un savoir-faire largement influencé par des architectes contemporains invités à dessiner ou à créer des architectures plus modernes. Le style a donc évolué mais demeure la magie de la constante des couleurs et de l’abondance des matériaux, la lumière faisant le reste.
Lors de mon dernier voyage, en janvier 2023, j’ai traversé l’Atlas sous la neige – à plus de 2 200 m d’altitude, des cols, des routes en lacets, des animaux sauvages… – pour étudier l’architecture des Berbères, ou Imazighen tels qu’ils se nomment eux-mêmes, et les ksour, ces villages fortifiés traditionnels parfois vieux de plus de mille ans engoncés dans des vallées sinueuses aux terrasses vertes et luxuriantes. Des Ksour sont encore habités, d’autres sont rénovés en maisons d’hôtes, d’autres sont en ruines.
Les femmes Imazighen, qui influencent la décoration et l’aménagement intérieur, sont les artistes de ces villages, tisseuses d’un art respectant encore aujourd’hui des rituels au cœur d’un héritage millénaire ayant déjoué la colonisation.
En une demi-heure de route en pays Imazighen, la nature, le climat et la roche offrent un paysage ou décor toujours changeant, d’une vallée verdoyante à une ’oasis verte’ comme l’oasis et les jardins de Skoura, en passant devant le plus grand champ solaire de Ouarzazate où une tour solaire illumine telle une torche perpétuelle un paysage de plaine avec la chaîne enneigée de l’Atlas en arrière-plan,
S’aventurer sur la route de Ait Ben Haddou est un émerveillement. Pour sa beauté et la stature imposante de ses greniers à blé, je ne peux pas m’empêcher lors de chaque voyage d’y faire une sorte de pèlerinage. Le Ksar (singulier de Ksour) d’Ait Ben Haddou, habitat traditionnel présaharien, estentouré de murailles de hautes tailles renforcées par des tours d’angle. Il est maintenu en état de conservation et rénové tous les trois ans car les pluies, qui peuvent être torrentielles, ravinent les murs.
Ait Ben Haddou fut un comptoir situé sur la route commerciale qui reliait l’ancien soudan à Marrakech. Les ksour ici sont nombreux et se succèdent à chaque oasis avec le même type d’architecture, peut-être d’ailleurs inspirée de celle du Yémen, dans la vallée du Draa et de Dades notamment. Si ce patrimoine mondial de l’UNESCO offre des techniques de constructions présahariennes, pour autant la plupart des ksour ne sont pas plus anciens que le XVIIe siècle.
Dans les palmeraies du sud, les postes défensifs en terre crue et en paille parfaitement rénovés, bien qu’aujourd’hui inoffensifs, demeurent un formidable témoignage de ces vallées et oasis remarquables où se mélangent passé et présent car l’histoire et le futur ne se différencient jamais.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Janvier 2023
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