Il n’y aura pas de nouveau Guggenheim à Helsinki, en Finlande. Dommage pour Moreau Kusunoki Architectes, l’agence franco-japonaise fondée par Nicolas Moreau et Hiroko Kusunoki en 2011 à Paris qui avait gagné le concours haut la main. En effet, le 1er décembre 2016, le conseil municipal d’Helsinki a mis fin à l’histoire d’un projet controversé dès le début. Ce n’est pas chez nous que ça se passerait comme ça. Si ?
C’est sûr que quand la Fondation Guggenheim et la ville d’Helsinki prennent langue au détour de l’année 2010, la ville Finlandaise est flattée sans doute. Quant à la fondation Guggenheim, elle en est fort aise, les Helsinkiens, qui doivent porter l’intégralité de la facture de ce nouveau musée d’art contemporain, s’en apercevront bientôt. En effet, parmi les petits caractères, les règles imposées par la fondation sont drastiques. Il y a bien sûr le coût de construction (estimé à 130 M€) et le coût de fonctionnement annuel (14,5M€) auquel il faut ajouter encore des frais de licence, estimés selon les sources entre 25 et 30 M€. 30 M€ rien que pour la licence ! Parlez d’une fondation ! Bilbao semblait soudain bien éloigné d’Helsinki.
A tel point que le prix de cette licence a fait grincer les dents des membres du conseil municipal de la ville. Même si la Finlande c’est loin, leur émoi a fini par s’avérer coûteux en termes d’image pour la Fondation Guggenheim. Laquelle, en 2013, a viré sa cuti et rescindé sa proposition, réduisant les coûts de construction et de fonctionnement et oubliant même tout frais de licence puisqu’on est entre amis et tope-là. L’affaire était partie d’un mauvais pied mais tout semblait enfin en ordre.
La preuve un concours international et anonyme est lancé. Plus de 1 700 candidats, six finalistes, un vainqueur : Moreau Kusunoki Architectes. Une agence française, cocorico ! Et tant mieux pour eux ! S’ils avaient moins d’une chance sur mille, les deux époux s’avançaient armés : Nicolas Moreau a fait carrière au Japon auprès de Sanaa et Kengo Kuma, Hiroko Kusunoki auprès de Shigeru Ban. Ils ont tous deux collaboré avec Kengo Kuma pour la réalisation du Frac de Marseille (pas la meilleure œuvre du japonais soi dit en passant, et gentiment). C’est d’ailleurs pour Kengo Kuma qu’ils ont quitté le Japon et ouvert une agence à Paris, avant donc d’ouvrir la leur. Bref leur victoire à Helsinki n’est pas un coup de chance. D’autant que de la chance, ils n’en ont pas tant que ça puisque ce bâtiment ne se fera pas.
Le coup est passé si près. En effet, fin novembre le conseil d’administration de la ville donnait son imprimatur au projet par 8 voix contre 7. Sauf que quelques jours plus tard le conseil municipal, réunit en session plénière, ne tenait pas compte de son avis et rejetait la construction du musée par 53 voix contre 32. Fin de l’histoire.
Ce qui est à retenir peut-être, outre le fait que culture et business font apparemment souvent bon ménage, est la teneur du débat qui s’est déroulé en Finlande. En effet, la question n’était pas l’architecture de l’agence française mais le coût du bâtiment : dit autrement, veut-on dépenser autant d’argent pour ce bâtiment-là à cet endroit-là ?
La réponse des Finlandais peut s’interpréter comme un non sans ambiguïté à l’architecture spectacle. Mais le rejet aurait-il été si tranché si un architecte Finlandais ou scandinave avait gagné par exemple ? Elle peut aussi s’interpréter comme un souci légitime d’économie puisque les temps sont durs en Finlande aussi.
En tout cas le processus démocratique est tout à fait transparent et la Fondation Guggenheim aurait sans doute préféré éviter toute cette publicité. Surtout, à aucun moment, les élus n’ont remis en cause l’architecture du projet, qui avait plutôt bonne presse : pas par goût mais tout simplement parce que cela ne fait partie de leurs compétences. Que connaît un pharmacien ou un dentiste de l’architecture ? Les élus finlandais ne se sont pas aventurés sur ce terrain, cela ne leur est même pas venu à l’esprit. Par contre la gestion du budget municipal est l’une des premières, sinon la première, de leurs compétences de conseillers municipaux.
Bref, que l’on approuve ou pas leur choix d’envoyer bouler la fondation Guggenheim, les élus étaient parfaitement dans leur rôle pour refuser ce projet. In fine, au travers du budget, ils ont aussi posé la question du rôle de l’architecture et Nicolas Moreau et Hiroko Kusunoki se rassureront, maigre consolation, de n’avoir pas été remis en cause dans leur métier et leur domaine de compétence.
Processus à comparer avec la façon dont sont construits en France ces grands ouvrages culturels, dont la Philharmonie de Paris par exemple avec chiffres et concours bidonnés dès le départ, ou avec la fondation Vuitton qui, malgré ses voiles de verre, aurait mérité sans doute un peu plus de clarté quant aux bonnes affaires de la Fondation avec la Ville de Paris. Au moins les choses ont été validées par les élus, quelles que soient ou non leurs vertus.
L’action publique dans le cadre d’un domaine de compétence est un concept parfois apparemment mal compris en France. Qu’on en juge. Le 30 novembre 2016, au moment même quand les élus finlandais s’interrogeaient gravement, Philippe Goujon, maire LR du très bourgeois XVe arrondissement de Paris, montait sur ses grands chevaux, s’élevant à nouveau contre un projet de la ville dirigée par la socialiste Anne Hidalgo. Objet cette fois de son courroux – car ce n’est un secret pour personne que les courroux des élus des arrondissements de l’ouest de la capitale sont nombreux : la surélévation d’un commerce, un Leader Price, rue de Vaugirard à Paris.
Il s’agit là pour ce projet de construire au-dessus du commerce, sur huit étages, 32 logements, dont 11 sociaux. Les riverains, dans un conseil de quartier organisé ad hoc, estiment qu’ils «seront privés de lumière et d’une belle vue sur les toits de Paris». Je n’en sais rien mais j’ai peine à imaginer qu’un architecte et son maître d’ouvrage ne respecteraient pas toutes les contraintes réglementaires dans ce domaine. Mais bon, que les riverains se plaignent et geignent à loisir, c’est leur droit.
Par contre, que le maire, vent debout contre le projet, déplore lui «le choix de matériaux et des coloris, la couleur safran de la façade et les balcons filants, inadaptés au paysage urbain», voilà qui ne laisse pas d’étonner.*
Philippe Goujon sait parfaitement qu’il ne dispose d’aucun pouvoir en la matière, que l’urbanisme ne fait pas partie de ses compétences, dans les deux sens du terme. Pourtant, «si le promoteur obtient le feu vert de la direction de l’urbanisme, j’aiderai les riverains à trouver des voies de recours voire à empêcher ou à manifester sur la voie publique contre la construction de ce bâtiment», prévient-il. Une menace ? En tout cas utiliser la couleur safran pour flatter les instincts de ses électeurs et chacun dans le quartier croira qu’il est question d’architecture.
Le plus drôle, ou le plus triste, est la réaction du promoteur, cité dans le même article. «Nous multiplierons les tentatives de réconciliation avec les riverains pour montrer que nous ne sommes pas des voyous ou des bandits de grand chemin. Nous nous attendons à ce qu’il y ait des recours mais nous lancerons quand même la commercialisation de l’immeuble», dit-il. Le type il n’a pas encore donné le premier coup de pioche qu’il a déjà calculé les recours. Ils en penseraient quoi les élus finlandais si près de leurs sous dans leur domaine de compétence ?
Le plus drôle, ou le plus triste, est que l’architecte du projet, pourtant jamais cité, est déjà bien habillé pour l’hiver, safran sans doute la couleur du manteau.
Christophe Leray
Cité par Le Parisien : Cet immeuble devrait grimper… de 8 étages, par Elodie Soulé, publié le 30 novembre 2016 et Le Figaro : La surélévation de cet immeuble parisien déclenche la fronde des voisins, par Guillaume Errard, publié le 1er décembre 2016