Fin juillet 2017, Emmanuel Macron, après Jospin, Chirac, Sarkozy et Hollande, des trémolos dans la voix, y allait à son tour de son vœu pieux. «Je ne veux plus d’ici la fin de l’année avoir des hommes et des femmes dans les rues, dans les bois. Je veux partout des hébergements d’urgence», déclarait-il à Orléans sur un ton très jupitérien. A Hambourg, cela fait longtemps que les habitants ont commencé à s’organiser pour accueillir les migrants. Et personne ne dort dehors. Explications.
La bienveillance présidentielle montre ses limites comme en témoigne le harcèlement des services d’ordre et, souvent, de la justice, à l‘encontre des bons samaritains et des migrants eux-mêmes.
Le ridicule atteint son comble dès le 18 août suivant quand près de 2 500 migrants – hommes, femmes, enfants, Dieu reconnaîtra les siens – sont évacués dès potron-minet de la porte de la Chapelle par 350 policiers. Ridicule parce qu’il ne s’agit rien moins que de la 35ème évacuation de la sorte à Paris en deux ans. Ridicule encore que ces migrants soient logés provisoirement dans des gymnases, lesquels devront être remis en état pour la rentrée scolaire deux semaines plus tard. Ca c’est du planning ! Et pourquoi évacuer dès 6h le matin ? Les autorités craignaient qu’il n’y ait plus personne à 10h ?
Si gouverner c’est prévoir, qu’est-ce qui a donc été prévu entre la première et la 35ème évacuation ? A la 35ème, bonjour l’effet de surprise ! Et pour la 35ème, des gymnases ? Et donc le président de nous assurer «qu’avant la fin de l’année, blablabla, blablabla…». Ah bon, il a une idée peut-être ?
En 2016, indique Eurostat, plus de 1,2 million de demandes d’asile ont été recensées dans les pays de l’UE, soit presque autant qu’en 2015 (1,26 million, un record), principalement émises par des Syriens, des Afghans et des Irakiens. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), fin mars 2017, ils étaient déjà 25.000 migrants/réfugiés à être entrés sur le territoire européen, principalement via L’Italie depuis qu’un accord avec la Turquie a sensiblement diminué le flot arrivant en Grèce.
Toujours selon Eurostat, en 2016, l’Allemagne est de loin le pays où le plus de nouvelles demandes ont été enregistrées (722.300 en 2016, soit 60% du total), devant l’Italie (121.200), la France (76.000) et la Grèce (49.000). Enregistrées ne veut toutefois pas dire acceptées. La raison, peut-être, des campements sauvages à Paris et ailleurs dans l’Hexagone ?
La crise des réfugiés n’est pas née en un jour. En juillet 2013, le pape lui-même dénonçait déjà la «mondialisation de l’indifférence». Il y avait donc le temps de s’y préparer. La preuve : depuis 2015, à elle seule, la ville d’Hambourg, qui compte 1,7 million d’habitants, presque moitié moins que Paris, a par exemple accueilli plus de 50 000 migrants, et pas un ou presque ne dort dehors. Par quelle magie ?
Dans un rapport daté de juin 2017, Marie Baléo, chargée de mission auprès de La Fabrique de la Cité*, donne les clefs du miracle.
Premier constat : quand Angela Merkel, en septembre 2015, a pris la décision pourtant décriée d’accueillir plus d’un million de réfugiés, les villes allemandes ne sont pas restées les bras croisés. «Les autorités municipales ont relevé ce défi en mettant sur pied des partenariats avec des acteurs de la société civile, du monde universitaire et du secteur privé tout en mobilisant les citoyens», explique Marie Baléo.
Hambourg, qui recevait au plus fort de la crise en été 2015 près de 400 personnes par jour, a rapidement réagi en créant une nouvelle entité, l’Unité centrale de coordination pour les réfugiés, ou Zentraler Koordinierungsstab Flüchtlinge (ZKF), entièrement consacrée à la résolution des multiples problèmes nés de ce choc démographique. «Cette unité emploie 80 personnes chargées de l’accueil, de l’hébergement et de l’intégration du flux de réfugiés», souligne le rapport.
Ses premières décisions : la création de 34 ateliers citoyens partout en ville, la répartition équitable des réfugiés dans tous les arrondissements, l’embauche de personnel dédié. Certes, ça a râlé dans les beaux quartiers, comme en France**, mais cela a permis d’aboutir à un compromis : des centres d’hébergement d’environ 300 places et séparés d’au moins un kilomètre. Aujourd’hui, les 150 centres d’hébergement de Hambourg peuvent accueillir 300 personnes en moyenne, et le plus grand refuge, qui peut en accueillir 900, fermera vraisemblablement ses portes avant la fin de l’année.
Qui plus est, la ville hanséatique fournit une aide structurée à de petits groupes de bénévoles engagés dans le soutien actif des nouveaux arrivants. «Il est primordial de mesurer l’ampleur du travail accompli par ces groupes, de les en remercier, et de souligner le fait que sans participation citoyenne, l’intégration des réfugiés est tout simplement impossible», résume Imogen Buchholz, représentante du service de l’aide sociale, de la jeunesse et de la santé à la mairie d’arrondissement Altona. S’appuyer sur toutes les bonnes volontés, cela paraît en effet moins idiot que de les poursuivre en justice.
Par ailleurs, la ville a investi d’importants moyens financiers dans l’éducation préscolaire. Chaque centre compte une garderie et une école avec un accent mis sur l’apprentissage de l’allemand. Une filière d’apprentissage de la langue d’un an est offerte à tous les niveaux de scolarité (collège, lycée, etc.). Les femmes sont fermement invitées à s’inscrire elles aussi à ces cours. Prévoir un volet Education, cela paraît moins idiot que les coups de pied au cul.
A Paris, entre Jaurès et Stalingrad, l’apprentissage du français se fait en extérieur, avec des cours sauvages offerts par des bénévoles, au bord du quai. La demande est authentique mais, à Paris, tout ce que les réfugiés voient de l’école, c’est le gymnase.
Enfin, constatant que nombre de ces réfugiés sont destinés à rester et que 60% d’entre eux avaient suivi une scolarité d’au moins dix ans, la deuxième plus grande ville d’Allemagne a lancé un ambitieux projet d’évaluation des compétences des nouveaux arrivants dont l’objectif est d’établir le niveau d’instruction et le parcours professionnel que les réfugiés peuvent faire valoir devant les employeurs. Car, ils peuvent travailler : «les demandeurs d’asile qui signent une convention de stage peuvent travailler dans leur entreprise pendant les deux ans suivant le rejet de leur demande et présenter ensuite une demande de résidence ordinaire», indique le rapport.
Reste l’hébergement. Exemple avec Notkestraße, 2 dans l’arrondissement d’Altona.
La construction de ce grand complexe modulable a débuté en novembre 2015 et les lieux ont été inaugurés le 19 juillet 2016. En huit mois !!!!! Cela va d’évidence beaucoup plus vite quand on s’est déjà mis d’accord avec les râleurs.
L’ensemble, qui a coûté 25 millions d’euros, regroupe neuf bâtiments de plusieurs étages divisés chacun en quatre appartements comptant trois chambres, deux salles de bains et une cuisine. Un bâtiment réservé aux équipements sociaux abrite une équipe de huit travailleurs sociaux qui, avec trois techniciens, composent le personnel du centre. Chaque travailleur social est spécialisé dans un domaine particulier, tel l’éducation, la langue et l’intégration, l’assistance psychologique ou l’insertion professionnelle.
Le complexe compte environ 650 résidents, la plupart en provenance d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak et d’Érythrée. «Pour éviter que les habitants ne se regroupent selon leurs origines, le centre a délibérément choisi de mêler les nationalités, prévoyant toutefois des exceptions pour les résidents qui en font la demande et ceux qu’opposent des inimitiés particulières d’ordre ethnique ou religieux», souligne le rapport.
Noter enfin que Jan Pörksen, secrétaire d’Etat secrétaire du ministère du Travail, des Affaires sociales et familiales et de l’Intégration de la cité-État, attribue la réussite du plan d’hébergement d’urgence des réfugiés de Hambourg, «mis en oeuvre sur un territoire urbain dense et dans des échéances serrées», au fait que l’Allemagne ait accepté d’assouplir les régulations et normes applicables (avec l’écueil d’une réglementation à deux vitesses…).
Notkestraße, 2 n’est qu’un exemple parmi les 150 centres d’hébergements que compte Hambourg aujourd’hui à travers la ville. Une telle démarche globale, claire, cohérente, applicable à tout le territoire urbain et comprise par tous, cela s’appelle une politique. En Allemagne, elle a certes ses détracteurs mais, que l’on y adhère ou pas, elle a au moins le mérite d’exister. A Hambourg au moins, ça a l’air de marcher !
«En même temps», en France, en août 2016, la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, annonçait le doublement du nombre de places d’accueil pour les migrants. «D’une capacité de 2.000 places, ces centres devraient atteindre les 5.000 avant la fin septembre», dit-elle. Quel effort ! Et en un mois à peine ! «A terme, 50 nouvelles structures vont s’ajouter aux 147 existantes et être réparties sur l’ensemble du territoire, couvrant 78 départements», assurait la ministre. C’était comme si c’était fait. Quelqu’un depuis a-t-il vu passer des projets d’architectes ?
Un an plus tard, alors que la crise des migrants a pourtant décéléré, nous assistons sidérés à une énième évacuation à Paris. A la 35ème fois, pas étonnant qu’il y ait autant de râleurs. Toc toc, une idée quelqu’un ? A part freiner des quatre fers, quelle est la politique de la France en la matière ? Mystère. Sauf évidemment à considérer la «bienveillance» des pouvoirs publics comme une politique. Heureusement, avec les bons vœux de Jupiter, tout sera réglé «avant la fin de l’année».
C’est comme si c’était fait.
Christophe Leray
* La Fabrique de la Cité est un ‘think tank’ dédié à la prospective et aux innovations urbaines. Dans une démarche interdisciplinaire, des acteurs de la ville, français et internationaux, se rencontrent pour réfléchir aux bonnes pratiques du développement urbain et pour proposer de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes. Créée par le groupe VINCI, son mécène, en 2010, La Fabrique de la Cité est un fonds de dotation, dédié de ce fait à la réalisation d’une mission d’intérêt général. L’ensemble de ses travaux est public et disponible sur son site, son compte Twitter et sa publication Medium.
**Voir notre article Dans le XVIe à Paris, le projet Aurore menacé d’obscurantisme