En avril 2022, pour combler le déficit de sanitaires publics, la ville de Lyon et la métropole ont déployé des urinoirs publics de façon expérimentale qualifiés d’inclusifs. Loin de faire l’unanimité entre l’absence d’intimité, le manque d’esthétisme ou le choix des emplacements, la question du financement de ces édicules vient de mettre le feu aux poudres entre la majorité municipale écologiste et la Région Auvergne (LR, droite).
Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a proposé depuis plusieurs mois une aide d’un million d’euros à la municipalité afin de renforcer le réseau de vidéo-surveillance de la ville. Après avoir refusé cette aide dans un premier temps, le maire de Lyon, Grégory Doucet, l’aurait finalement acceptée début septembre mais pour financer, notamment, des toilettes publiques inclusives, accessibles aux femmes. D’où une polémique qui ne semble pas prête de s’éteindre.
Querelle éternelle, comme les enfants de Lyon – Guignol, le canut frondeur, et Gnafron, l’amateur de beaujolais – dont l’une des maximes favorites reste d’actualité : « la plus noble faculté de l’homme est la digestion ».
Plusieurs élus de l’opposition ont menacé de solliciter l’avis de l’architecte des Bâtiments de France puisque l’un des sites choisis pour implanter ces « urinoirs, écologiques, hygiéniques et inclusifs » n’est autre que la place Louis Pradel, classée au patrimoine mondial de l’Unesco ! Pour la métropole de Lyon, la polémique n’a pas lieu d’être car « ce sont des structures amovibles qui ne sont reliées à rien. Il n’y a donc pas besoin d’une autorisation de l’ABF ». En effet, il n’y a pas d’eau courante dans ces tinettes d’un nouveau genre et l’urine récoltée par les sanitaires pourra même être utilisée comme fertilisants pour l’agriculture locale !
Une querelle analogue s’était développée à Paris à l’époque où le maire, Jacques Chirac, avait confié à J.C. Decaux, spécialiste du mobilier urbain, le soin d’édifier des sanisettes payantes sur des emplacements stratégiques. Les « titis » parisiens avaient critiqué le montant exigé pour soulager leur vessie mais s’étaient contentés de taguer les vespasiennes d’un vengeur : « chie…raque » qui ravissait les plaisantins.
Etat des lieux… d’aisance
Les architectes et les décorateurs ont souvent à connaître de ces lieux de méditation où l’on peut satisfaire ses besoins, essentiels, faut-il le rappeler, à la bonne humeur et inhérents à la condition humaine. Les « gogues » ! Mais tous les récits de Maupassant, les contes de Flaubert, les bavardages des Goncourt, sont pleins de leur fumet rustique.
Vue depuis les W-C, la scène gastronomique parisienne est parfois pittoresque. Marcel Duchamp, en son temps, avait fait classer parmi les œuvres d’art un urinoir appelé Fontaine, visible à la Tate Modern de Londres. Philippe Starck a depuis longtemps repris le flambeau. Il a fait appel à l’industrie verrière pour composer d’étranges cosmogonies. Chez Baccarat, dans l’ancien hôtel particulier de Marie-Laure de Noailles, des glaces rouges reflétaient à l’infini un lustre de cristal ; au Kong, c’est une boule à facettes qui distribuait la lumière. Au premier Café Costes, dès 1982, il inventait un monument libératoire et ondin. Les miroirs et la somptuosité lumineuse du mur fontaine attiraient comme des mouches les antiphysiques et autres Charlus de la capitale, qui venaient y comparer leurs avantages, au grand dam des clients ordinaires.
Dans le même « esprit », les Grandes Marches, aménagé par Christian et Elisabeth de Portzamparc, propose un mur d’eau incliné en guise d’urinoir. Au Belga Queen à Bruxelles, les portes individuelles des toilettes sont parfaitement transparentes, ce qui en surprend plus d’un. Mais lorsque la targette est fermée, la lumière s’éclaire et le verre devient opaque.
Versailles semblerait aujourd’hui aux bonnes âmes pire que le Monomotapa du bon La Fontaine, ou que la Yakoutie à la belle époque de la bouse de vache séchée. A la table de Louis XIV, on mange fort, on rote, on pisse quasiment en public, sinon derrière les contrevents ou dans le grand escalier. Et c’est à Versailles, cependant, que l’on invente le service à la française, comble de la civilisation culinaire que toutes les cours d’Europe envient alors à la France.
Aujourd’hui, quelques lieux d’aisances sont protégés par l’administration des Monuments historiques, comme les immenses urinoirs de la maison Goumard (ex-Prunier), rue Duphot (1er), qu’appréciait le général de Gaulle en raison de leur taille.
Jacques Manière, chef talentueux et irascible des années 1970 -1980, a chèrement payé d’avoir un jour répondu à deux messieurs comme il faut, qui se plaignaient de l’état des toilettes dans la cour de son premier restaurant à Pantin : « Vous venez ici pour manger ou pour chier ? ». C’était deux inspecteurs du Michelin. Il fut banni du Guide rouge à jamais ! L’on vous recommande pour leur rusticité, les cabinets dits « à la turque », conservés jalousement par économie ou passéisme dans quelques bars à vin, comme Le Baron rouge au marché d’Aligre, à Paris (XIIe). Ils font la joie des touristes – c’est bon signe, la soupe sera bonne, l’aligot parfait – sauf des Japonais, adeptes du jet d’eau tiède et séchoir modulable. Un magasin commercialise cet appareil à Paris, à l’enseigne bien nommée : le Trône (rue d’Assas). Le japonisme ne se contente plus d’envahir nos assiettes !*
Selon une enquête menée il y a quelques années auprès de 5 664 adultes dans six pays de l’Union, 74 % des Européens sont irrités par la saleté et les odeurs méphitiques des toilettes des restaurants. La distinction doit cependant être faite entre l’hygiène et l’hygiénisme que Valérie Péan, chercheuse en sciences sociales, définit comme l’idéologie de la tornade blanche, avec ses relents moralistes et identitaires.**
Et madame ? Une petite invention permet au beau sexe – signe supplémentaire de parité – d’uriner debout comme un homme. L’engin – une sorte de gouttière – très répandu en Hollande est en train de conquérir Paris sous la marque GoGirl ! Mesdames, vous auriez pu, grâce à cet accessoire, aller aux toilettes du Train Bleu, à la Gare de Lyon, qui avaient vue sur les quais, et, comme Salvador Dali « pisser en regardant circuler les trains ». Hélas, ce n’est plus possible depuis la pudique rénovation de la gare par Jean-Marie Duthilleul en 2014. Reste de cette époque une pissotière sur le boulevard Arago (XIVe), face à la prison de la Santé, qui devrait un jour rejoindre les collections du Musée Carnavalet.
Syrus
*Lire notre article Au Japon, les toilettes publiques ne se cachent pas. Ici, mieux vaut les cacher
**Lire notre article Viens chez moi, j’habite dans les toilettes
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