Le coût de l’environnement est souvent mis en avant pour le dénigrer. L’environnement coûte cher, est-il dit et redit, et pose un vrai problème en période de crise économique et de déficit budgétaire chronique. La transition énergétique vient se rajouter à ces dépenses, des dizaines de milliards d’euros par an selon un rapport récent de France Stratégie*. Chronique de l’intensité.
L’environnement serait ainsi un gouffre financier, consenti sous la pression des écolos. Eux-mêmes n’hésitent pas à parler de ces dépenses, et en demandent toujours plus. L’administration n’est pas en reste. Le ministère en charge de l’environnement publie régulièrement des notes** sur les dépenses engagées pour protéger l’environnement : soixante milliards en 2021, dernière année dont les données ont pu être réunies aujourd’hui.
Dans tout bilan, il y a les recettes et les dépenses, et il faudrait mettre en regard les bénéfices de cet argent dépensé, notamment les coûts évités. Il s’agit souvent d’un service rendu à la population ou aux entreprises, parfois pour gérer leurs besoins et parfois pour leur améliorer le cadre de vie.
La gestion des déchets, par exemple, est le premier poste de dépenses, près de 20 Md€, ou le traitement des eaux usées, 14 Md€. Combien coûterait l’absence de ces services ? Le calcul a été fait dans d’autres domaines. La dépense pour la qualité de l’air, de l’ordre de 8 Md€, et celle consacrée au bruit, 2,4 Md€, sont à rapprocher des coûts de la pollution atmosphérique et du bruit, respectivement 100 et 147 milliards d’euros chaque année***. Les dépenses engagées pour réduire une nuisance sont infiniment plus légères que le coût de la nuisance elle-même.
C’est d’ailleurs par ce constat que s’ouvre le rapport sur les effets économiques du réchauffement climatique : « À long terme, au niveau mondial, le coût économique de l’inaction excède de loin celui de l’action ». Le concept de « coût évité » est manifestement absent de nombreuses analyses qui ne prennent en compte que les dépenses.
Une des difficultés du décompte des dépenses au titre de l’environnement est que l’environnement est partout, dans toutes les activités humaines qui prélèvent des ressources naturelles, impactent le lieu de leur installation, produisent des déchets ou d’autres effets, positifs ou négatifs, sur leur environnement. Une dépense dans l’environnement doit avoir des effets positifs dans bien d’autres domaines. Une dépense intense dans ses effets.
Prenons l’exemple du bâtiment, gros consommateur d’énergie (pour la construction et pour le fonctionnement), d’espace, et cadre de nos activités personnelles ou professionnelles. Le choix de l’emplacement et de l’orientation d’une construction impacte le paysage, le microclimat, le régime des eaux, avec des effets pour les utilisateurs et pour la collectivité en général. Le bâtiment et ses occupants consomment et rejettent, et il doit être conçu pour faciliter au maximum la gestion de ces flux.
La santé dépend largement de la qualité d’un bâtiment. Choix des matériaux et pollution de l’air intérieur, renouvellement d’air, confort thermique et acoustique, lumière naturelle, vues sur l’extérieur, ergonomie, tous ces paramètres influent sur notre qualité de vie, laquelle se déroule aujourd’hui pour l’essentiel dans des locaux, entre le logement, le bureau ou l’atelier. Environnement et bâtiment sont très liés, et il doit être bien difficile d’attribuer une dépense, ou un bénéfice, à l’un ou l’autre. Le plombier qui chasse les fuites d’eau et installe des mousseurs ou autres systèmes d’économie intervient-il au titre de l’environnement ou du logement ?
La rénovation thermique est à l’ordre du jour. Motivée par des considérations climatiques, elle est aussi porteuse de bien d’autres améliorations de confort, de santé et d’économies, si elle est menée globalement. Les bénéfices sont sociétaux autant que climatiques. La lutte contre la précarité énergétique a un coût, mais elle produit aussi de larges bénéfices financiers en termes de santé, de résultats scolaires des enfants, de baisse de l’absentéisme des parents, et d’insertion sociale.
Abordé exclusivement sous l’angle énergétique, le risque est grand de passer à côté de plusieurs « co-bénéfices » qui font de l’intervention une opération très rentable. C’est ce caractère transversal de l’environnement qui rend difficile l’évaluation de son potentiel économique. Le cloisonnement des décisions, des évaluations et des financements est un obstacle à des opérations qui seraient largement bénéficiaires dans une approche globale.
L’institut de recherche de Postdam sur le changement climatique publie dans la revue Science datée du 22 août 2024 une analyse des politiques climatiques conduites dans les pays de l’OCDE. Beaucoup se révèlent inefficaces mais celles qui fonctionnent sont des combinaisons de mesures. Plusieurs objectifs à la fois et une évaluation globale. Faisons des politiques d’environnement un moteur du décloisonnement. Des politiques de l’intensité. Au-delà de leur intérêt environnemental pur, elles seront alors source de performance globale et d’économies.
Dominique Bidou
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*« Les incidences économiques de l’action pour le climat », rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mai 2023
** « Dépenses de protection de l’environnement en France – Synthèse des connaissances en 2023 » (30/11/2023), complétée par « La dépense pour les actions transversales de protection de l’environnement en 2021 » (12/08/2024)
*** Selon le rapport de la Commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air au Sénat publié le 15 juillet 2015, et un rapport de L’Ademe et le Conseil national du bruit (CNB) publié en octobre 2021.