Avec les projets Euravenir, Saussure et Saint-Urbain, tous trois réalisés en fin de ZAC, Umberto Napolitano et Benoit Jallon (LAN), «distillent» une architecture qui, si elle est bien présente, se révèle finalement bien calme et silencieuse. Ces projets «rotules» complètent le territoire, anticipent les usages, fédèrent les quartiers et s’articulent avec la ville. Entretien avec Umberto Napolitano.
LAN fait partie de ces agences qui, en quinze ans à peine, ont réussi à imposer une architecture à la fois variée et reconnaissable, que ce soit en plein champ pour le Centre des Archives d’EDF à Bures qu’au sein de métropoles denses. En témoignent les projets Euravenir à Lille à l’intersection d’Euralille 1 et 2, les logements de la rue Saussure en lisière de la ZAC Clichy-Batignolles à Paris et, à Strasbourg, le projet de l’îlot Saint-Urbain, dernier terrain à urbaniser de la ZAC Étoile. Trois projets qui posent la question des limites.
A Paris, quand Umberto Napolitano et Benoit Jallon font le pari de la réinterprétation de l’immeuble de rapport haussmannien, la ZAC Cardinet était en bout de chemin. «Quand on arrive en fin de ZAC, dans un contexte préétabli, ce n’est pas du tout la même chose que d’y participer dès le processus initial. En l’occurrence, nous pouvions relativement visualiser le devenir général du territoire et nous avions le recul nécessaire sur la cohérence entre le propos du début et la première phase», souligne Umberto Napolitano.
Une ZAC correspond à un moment de la ville, à un temps de son histoire plutôt court dans le long processus de sa création. D’où la volonté affichée de LAN d’ancrer ses projets dans une ville plus vaste et plus dense que le seul territoire concerné, leur permettant de converser autant avec la ville qui les a vus naître, qu’avec l’écoquartier qui les accueille. En témoigne le futur projet de l’îlot Saint-Urbain à Strasbourg ou Euravenir.
«A Lille, il y a eu en plus le moment d’observation du projet urbain, qui se basait sur des choses extrêmement fortes, montrant à la fois ses qualités et ses limites. En réalité, la tour Euravenir, s’il est le dernier projet d’Euralille 1, est aussi le premier d’Euralille 2. Il témoigne de la fin d’un dispositif urbain et marque en même temps la cohésion avec ce qui se met en place juste en face», indique-t-il.
S’installer en fin de ZAC pose la question de la limite et de la frange. A Lille, Strasbourg et Paris, les projets sont à la fois en limite temporelle du quartier et matérialisent sa limite physique. «A Paris, en fin de restructuration d’un quartier haussmannien, nous avons essayé d’assumer la création d’une rotule, une articulation entre le tissu du boulevard Perreire et les nouveaux principes du quartier. La position de l’îlot nous a permis de traiter la question de la limite et de la frange», explique l’architecte. «A Strasbourg, Saint-Urbain se situe vraiment à l’intersection de différents moments de l’urbanisation. Globalement, nous avons essayé d’amener le projet vers Neudorf en prenant en compte les changements d’échelles des différents quartiers», dit-il.
Chacun de ces trois projets, au croisement de quartiers actuels ou futurs, agit comme une articulation urbaine. Il est donc naturel que l’architecture assume son rôle de signal urbain, plus ou moins haut, plus ou moins lumineux, mais toujours puissant.
«Ces trois projets, comme tous les projets de l’agence, sont porteurs d’une seule valeur, celle que l’architecture ne soit pas une réponse à un moment contingent mais que la forme de la ville même générerait la forme de l’architecture». Pour LAN, la forme ne suit pas la fonction mais naît des tensions urbaines. Umberto Napolitano citant la préface de l’Architecture de la Ville, convoque Aldo Rossi, l’architecte italien dont la ville a été le thème central de son œuvre.
«Une forme est quantifiable, mesurable et géométriquement compréhensive. On peut regarder la ville comme un artefact, fait par les hommes pour les hommes. C’est seulement si on regarde la ville comme un moment accompli que l’architecture devient ce moment d’interprétation», relève-t-il.
A Lille, Euravenir participe ainsi à l’évolution de la forme urbaine du grand quartier d’Euralille. «La forme oublie un moment son programme. Elle est générée uniquement par les forces urbaines en tension sur le site, jouant sur les axes et les échelles. Cela finit par créer un bâtiment Totem, né de l’urbanité». A Paris, le projet Saussure réinterprète la façade de l’immeuble de rapport dans une écriture contemporaine qui permet de créer un pont entre les nouveaux quartiers et la ville en s’émancipant de toute intention de pastiche. A Strasbourg, une notion d’urbanité plus forte a été réintroduite dans ce petit quartier. «Strasbourg est une ville assez mouvementée du point de vue urbain. C’est ce qui en fait son identité. Nous avons joué la carte à fond : relier les moments de la ville et créer une identité propre», dit-il.
Selon Aldo Rossi, la forme survit à la fonction et à l’évolution de la matière. «Dans cette triade matière/forme/fonction, la matière est l’arme de l’architecte pour parvenir à résoudre l’équation et à rendre visible son intention», poursuit Umberto Napolitano qui en appelant au peintre Paul Klee pour argumenter que la forme n’est pas une fin mais plutôt le début du processus. «Ce qui nous intéresse est comment les formes génèrent des histoires, des usages. Pour arriver à gérer tout ça il faut rendre les formes visibles. Klee parle de forme en mouvement. Appliquée à l’architecture, c’est ce qui fait que quand on voit un plot de 45 cm on s’assoit. Il y a une correspondance dimensionnelle entre les sens, la forme, sa lisibilité dans l’espace et l’usage qu’elle génère. Pour moi, c’est la base même de l’architecture !» dit-il.
Considérer la forme architecturale pour ce qu’elle propose d’usage et de concordance serait néanmoins beaucoup trop simple pour l’architecte italien. La forme doit ainsi se suffire à elle-même, sans aucun détail pour la comprendre, à l’image du photographe japonais Horoshi Sugimoto. Sur des séries de photographies d’architecture, l’artiste restitue l’ensemble de la forme, qu’il floute néanmoins. Les détails sont gommés mais la forme et l’essentiel du projet restent demeurent compréhensibles.
«En rendant floue la fonction, il nous fait mieux regarder l’architecture. Il efface les détails. Matisse disait que les détails nuisent à la pureté des lignes. Ici, c’est un peu la même chose. On comprend tout le projet de l’opéra de Sydney, sans s’attarder sur la matière». D’où le choix rue Cardinet d’un béton noir qui devient franchement doré au coucher du soleil.
Finalement, si LAN affirme une architecture contemporaine, elle s’efface néanmoins dans les tissus urbains dans lesquels elle s’insère. «La matière, en réalité, nous la choisissons pour mieux l’effacer, pour que ce bâtiment contemporain soit une évidence, que les gens puissent se dire qu’il a toujours été là», conclut Umberto Napolitano.
Léa Muller