
L’équerre 2025, comme les années précédentes, propose un condensé d’écologie à la petite semaine. Par là même, ces prix réduisent le champ de l’excellence. Au détriment des lauréats eux-mêmes ?
Les différents prix de l’Équerre d’argent ont été attribués le 24 novembre 2025 à la Maison de la Radio à Paris. L’Équerre d’argent est la plus haute distinction française annuelle pour un projet d’architecture. Il y a bien un Grand Prix National d’architecture – qui récompense l’œuvre d’un homme de l’art – mais encore jamais une femme de l’art – et pléthore de prix catégoriels selon les matériaux – bois, acier, paille, etc. – ou la typologie, de type Pyramide d’or, mais l’Équerre, à l’échelle du pays, demeure le prix le plus prestigieux des prix d’architecture en France. Cela est plus du fait de son histoire sinon, désormais, de son impact puisque les limites de ce prix sont chaque année toujours plus évidentes.
La première est son échantillon puisqu’il se résume à environ 300 projets dont les agences sont suffisamment sûres d’elles-mêmes pour payer la cotisation et, comme un sondage sur internet, entre les architectes et maîtres d’ouvrage qui ne veulent surtout pas participer et la grande majorité qui s’en fout, ces 300 projets ne sont pas véritablement représentatifs de ce qu’est l’architecture en France.
Par exemple, parmi les lauréats 2025, aucune de ces gares du Grand Paris pourtant acclamées dans le monde entier. Pour autant voilà des réalisations qui sont amenées à être exploitées pendant un siècle au moins et, du fait du transport en commun de millions de gens, soit autant de bagnoles en moins, d’un bilan carbone imbattable à l’échelle du siècle justement. Parmi les lauréats, pas un musée non plus, ou un théâtre, pas un stade, pas un aéroport… Aucun nom connu hors nos frontières, aucune grosse agence. L’Equerre est devenue un bal champêtre au pays des nains.
D’ailleurs l’Equerre 2025, comme les années précédentes et de plus en plus d’ailleurs, propose un catalogue de petites choses plus ou moins bien serties. Surtout, en prônant encore et toujours, ad nauseam, les vertus du bois et des matériaux biosourcés, ces prix présentent un condensé d’écologie à la petite semaine et par là même réduisent le champ de l’excellence, comme si l’architecture était une histoire de matériaux et de bouts de ficelle. Ce n’est pas parce que le groupe scolaire Simone-Veil, à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) de l’agence Le Penhuel & associés a été réalisé « en pierre, terre crue et bois » qu’il mériterait l’Équerre mais peut-être parce que l’agence depuis longtemps travaille les sujets de l’école et de la mutualisation des espaces, au point d’en écrire un « Manuel de pratiques vertueuses pour penser et construire les écoles du futur » (Park Book, 2024).
Idem avec le prix de la première œuvre attribué à l’agence Hemaa. Ce ne sont pas les sempiternels matériaux bois et biosourcés qui en font l’intérêt mais la composition autour d’une cour ouverte et protectrice, l’élévation qui lui confère solennité et statut public, et la connexion avec le stade et la forêt avoisinants. Dans les deux cas, les matériaux de ces projets sont anecdotiques. Penser autrement est réduire le travail et l’intelligence des ouvrages à une juxtaposition astucieuse de produits, comme si le talent de Picasso était lié à sa marque de peinture. Gagner pour ces raisons en est presque désobligeant pour les architectes.
Limitation plus problématique, dans la Catégorie Habitat de l’Équerre 2025 avons-nous « Réhabilitation d’un îlot en 14 logements sociaux à Aurillac (Cantal) » qui coche toutes les cases merveilleuses : un travail propre, une belle histoire en patois, une restructuration astucieuse, des circuits courts. Pour autant, le pays connaît une spectaculaire crise du logement et notre meilleur projet de l’année ce sont 14 logements à Aurillac (Cantal) ? Il s’agit sans conteste d’un projet formidable, sensible comme tout, mais si dans ce domaine les lauréats de l’Équerre sont censés représenter ce qui se fait de mieux en France, je n’ose dire l’élite, ce projet ne peut jamais concourir dans la même division, voire le même stade, que des lauréats dans d’autres concours à l’étranger sur le même thème du logement. Est-ce ce projet-là que vous voulez pour représenter le pays aux Oscars ? Ce serait comme envoyer ma petite sœur sur le ring face à Mike Tyson.
Et encore s’agit-il d’une réhabilitation, pratique aujourd’hui mise en exergue ! Voyons par exemple, s’il est question de réhabilitation, le projet Kunstsilo, réalisé à Kristiansand en Norvège par les agences Mendoza Partida+Bax Studio + Mestres Wage. Il est non seulement parmi les nommés du Prix Versailles 2025 des plus beaux musées du monde mais également Prix d’architecture espagnol (décerné par l’équivalent du CNOA). Il s’agit de la transformation d’un immense grenier industriel portuaire – vaste bâtiment de 3 300 m² construit en 1935, réparti sur trois étages et composé de 30 silos à grains – devenu depuis mai 2024 le plus grand musée du sud de la Norvège.

La rénovation préserve la structure et les matériaux du silo, ouvre le rez-de-chaussée au public et ajoute une terrasse panoramique sur le toit. Son intégration avec l’Opéra de Kilden et l’École de Culture renforce son rôle de pôle culturel. Telle une cathédrale de béton, le lieu inspire un sentiment de grandeur et de poésie ; ce que l’escalier vertigineux amplifie au fil d’une ascension propice à la méditation avec au sommet une vue panoramique sur le littoral. Toutefois, l’aspect le plus spectaculaire de l’édifice demeure ces gigantesques silos de béton qui soulignent l’échelle monumentale de l’ouvrage.
« Le projet répond à des exigences élevées en matière de développement durable grâce à l’optimisation de l’inertie thermique du béton, à la mise en œuvre de stratégies d’éclairage passif et à la priorité accordée à l’efficacité énergétique », soulignentses auteurs. Qui précisent : « Kunstsilo est une référence en matière de régénération urbaine et de développement durable, conciliant conservation du patrimoine, innovation architecturale et inclusion sociale ». Tous les éléments de langage dont nous avons coutume sont bien là !
Alors, en termes de réhabilitation, ma petite sœur ou Mike Tyson ?
Il est vrai cependant que, comme toutes les gares du Grand Paris, autres cathédrales contemporaines en leur nom propre, le Kunstsilo est une ode au béton. Ceci expliquant peut-être cela.
De fait, combien de ces Équerres tiennent la route ? Nous savons de quelques bâtiments célébrés cinq minutes qui vieillissent vite et mal. Peut-être faudrait-il que ces prix soient attribués dans chaque catégorie à des bâtiments de plus de 10 ans, de plus de 25 ans et de plus de 50 ans. Là, les modes passées, il sera bien question, au-delà des matériaux, d’architecture !
Car, à la fin, si l’Équerre est à chaque fois plus décevante, c’est sans doute qu’on aurait envie d’audace, de prise de risque, de pied de nez aux marchands de bonheur. Qu’on aurait envie d’être surpris par le souffle de projets d’envergure qu’assurément on soutiendrait alors jusqu’aux Oscars. Au moins jusqu’à l’Eurovision.
Christophe Leray
Le palmarès 2025 :
– Équerre d’argent 2025 : Groupe scolaire à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis)
Architectes : Le Penhuel & Associés ;
– Habitat : Réhabilitation d’un îlot en 14 logements sociaux à Aurillac (Cantal)
Architectes : Boris Bouchet
– Culture, jeunesse et sport : Aménagement du château de Foix (Ariège)
Architecte : Cros & Leclercq
Architecte associé : Antoine Dufour
– Lieux d’activité : Bureaux et logements à Nantes (Loire-Atlantique)
Architecte : Alexandre Chemetoff – Bureau des paysages
– Espaces publics et paysagers : Parc sportif et paysager à Elancourt (Yvelines)
Maîtrise d’œuvre : D’ici là
– Infrastructures et ouvrages d’art : Passerelle cyclo-piétonne à Cormoranche-sur-Saône (Ain)
Maîtrise d’œuvre : Atelier Tropisme Mécanique