Le Tour de France contemporain de Chroniques est l’occasion pour les suiveurs de traverser bourgs et villages, comme ici en Savoie et dans l’Ain, où l’audace architecturale des édiles fait plaisir à voir…
Après plusieurs jours dans les Alpes, retour dans l’Ain pour une étape de transition accidentée mais sans difficulté où les coureurs vont pouvoir récupérer, et encore… Les équipes de sprinteurs devraient en effet logiquement prendre la course en main, s’il en reste cependant suffisamment pour la contrôler. Sinon, il s’agit là de la dernière occasion pour les gros rouleurs, les obscurs, les soutiers des cadors, les malchanceux, d’inscrire leur nom au palmarès de ce Tour et les 184 km risquent d’être avalés à toute vitesse. Les suiveurs du Tour de France de l’architecture contemporaine quitteront également sans traîner l’ambiance fiévreuse des cols alpins et découvriront aujourd’hui une catégorie de projets de réaménagements de centres-bourgs au travers de quatre exemples singuliers et exemplaires.
Dès potron-minet donc, les suiveurs, encore en Savoie, iront découvrir à quelques encablures de Moutiers, à Esserts-Blay, la maison forte de Blay qui accueille une salle d’animation réalisée par l’architecte haut-savoyard Guy Desgrandchamps. Cette bâtisse médiévale est passée près de l’abandon jusqu’aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992 comme en témoigne Daniel Blanc, président de l’association de sauvegarde de ce patrimoine « C’est à l’occasion des Jeux Olympiques de 1992, alors que l’édifice était magnifiquement éclairé, que nous avons véritablement pris conscience de sa valeur, et décidé de créer une association pour le sauver ».
Une salle d’animation de 200 places va y être installée pour redonner vie à l’ouvrage en reprogrammant un usage nécessaire aux travaux de sauvegarde. Le programme est en adéquation avec la précédente affectation des différents espaces. La salle d’animation prend place dans l’Aura, salle d’apparat de l’ancien château, l’office dans les anciennes cuisines et l’espace accueil sanitaire dans l’ancien hall.
« Cette philosophie générale, ainsi que le parti pris de reconstruire dans le volume des murs, sans surélévation, n’excluaient pas pour autant la modernité : à l’instar du hall d’entrée vitré conçu dans la partie en redent de la bâtisse », indique le concepteur.
Cette approche respectueuse et malicieuse permet d’implanter à l’ancien emplacement d’une tour disparue ou jamais construite une nouvelle tour en bois qui permet de rejoindre le toit terrasse qui complète le dispositif. Ce volume contemporain en mélèze à claire-voie incarne la nouvelle vie du bâtiment, un ajout minimum mais pas minimal qui témoigne de la délicatesse de l’intervention.
Les suiveurs reprennent la route et, toujours en Savoie, s’arrêtent peu avant Chambéry à Saint-Jean-d’Arvey pour découvrir le bâtiment multifonctionnel de la commune réalisé par Vincent Roques Architectes. Ce projet emblématique des programmes de centre-bourg regroupe la mairie, la bibliothèque municipale, un pôle petite enfance, une garderie périscolaire et un gîte d’étape. Ce projet de 2012 apparaît comme un pionnier de la mise en œuvre de bois locaux puisqu’intégralement construit en essences du massif des Bauges auquel il est adossé.
« Comme nous le pratiquons habituellement, ce bâtiment aurait pu être réalisé avec du lamellé-collé du Nord et des bardages français, mais venant de plus loin… Ce qui change ici, c’est l’origine du bois (…) c’était très clair dans le concours : nous devions imposer au charpentier l’utilisation du bois de la commune mais aussi mettre en avant l’efficience du bois local. Montrer qu’on est capable de faire un tel bâtiment avec une forêt standard, qui n’a pas été plantée pour ça », précise l’architecte.
Il a fallu mobiliser 522 m3 de sapin, sélectionné dans des bois droits, sans nœud, sans défaut et avec un accroissement régulier, pour réaliser l’ouvrage qui s’intègre avec précision dans la déclivité du terrain existant, ménageant ainsi des relations directes avec le terrain pour les trois niveaux du projet.
« Nous avons trouvé des solutions pour que les trois niveaux du bâtiment s’inscrivent dans la pente en respectant le terrain naturel et soient accessibles aux personnes à mobilité réduite, indépendamment les uns des autres. Chaque niveau est un lieu distinct en lien direct avec l’extérieur. Une option qui a notamment facilité les questions de sécurité incendie », souligne Vincent Roques.
Ce projet précurseur apparaît comme un jeune cousin de l’architecture contemporaine du Voralberg qui influence durablement les acteurs publics de la construction locale, lesquels y trouveront une parenté opportune et un exemple à suivre.
Les suiveurs continuent leur périple jusqu’à la commune de Novalaise qui borde les rives du lac d’Aiguebelette pour revoir un projet exemplaire à bien des égards, de la commande et de l’architecture locale, découvert en reconnaissance. Comme bon nombre de communes de l’Arc Alpin, Novalaise a besoin de reconfigurer son centre-bourg pour lui conserver son attractivité et offrir aux habitants une qualité de vie locale à taille humaine et à portée de main, de coup de pédale ou de promenade.
Le programme, qui devait incarner une centralité géographique et de fonctions, embrasse ici un concentré chimiquement pur de ces demandes et besoins : un aménagement de la place du Bourniau, une halle de marché, des commerces et des logements. L’agence Patey Architectes a répondu à cette demande par une proposition audacieuse et habile, à la fois radicale et amicale : le bâtiment principal est tout simplement coupé par la route qui le traverse.
L’ouvrage instaure ainsi une position classique de centre-bourg où les constructions séculaires frappent les alignements jusqu’aux frottements avec les véhicules. Point de retraits ou de pudeurs urbanistiques, le bâtiment est la limite de la voirie en assumant son rôle de porte d’entrée dans la commune.
Son gabarit et sa faille dominent les voitures, leur intimant en les surplombant, de ralentir car ici commence la vie du centre. Cette tranche théorique l’est tout autant sur le plan formel. Le bâtiment matérialise une faille qui n’est rien d’autre que la soustraction pure et simple d’une partie du volume laissant apparaitre deux pignons animés d’ouvertures désordonnancées à la manière de certaines constructions vernaculaires.
« C’est un petit bâtiment mais c’est un bâtiment très important pour le village. L’idée était de donner l’impression que le bâtiment construit avait toujours été là, tout en créant un dispositif urbain nouveau : on a coupé franchement le grand volume monolithique du bâtiment, pour que la rue retrouve son lit d’origine. Les voitures qui circulent ont conscience de passer la porte du village, ce qui les fait considérablement ralentir », précise Christian Patey, de l’agence éponyme.
Les suiveurs reprennent la route et, arrivés dans l’Ain, ont largement le temps de rejoindre l’arrivée et d’assister aux cérémonies. Une fois bouclées leurs obligations sportives, les suiveurs du Tour de Chroniques poursuivent jusqu’à Treffort-Cuisiat pour découvrir la Maison Commune du village réalisée en 2021 par l’agence lyonnaise DLD, acronyme de Doucerain Lièvre Delziani.
Le projet de réhabilitation et d’extension de la mairie s’inscrit dans un long processus de reconfiguration du centre-bourg initié depuis plusieurs décennies, qui en augmentant son programme initial, Mairie-école, par l’ajout de nouveaux programmes, salle polyvalente et associative, renforce la centralité du bourg en intensifiant les espaces dédiés aux habitants en cet endroit.
DLD insère une extension à ce bâtiment de 1875 en l’inscrivant dans la pente et en prolongation du soubassement de la Mairie. Il réinstalle le projet vers l’Ouest par la création d’un parvis bas et un nouvel accès dans la continuité du champ de foire. L’intégrité de la construction historique est à la fois respectueusement conservée et amplifié par cet ajout qui l’épaule et porte les signes de son époque en signifiant les 150 années qui séparent les deux périodes constructives.
Le nouvel ouvrage à simple rez-de-chaussée offre sa toiture comme un nouvel espace public accessible qui offre un balcon opportun vers la vallée à l’Ouest. Le projet amplifie tout à la fois les fonctions et le regard qui sort de la place de la mairie pour se projeter vers le grand paysage.
« L’extension profite de la pente pour s’encastrer dans le sol, en prolongement du soubassement du bâtiment existant, et offrir son toit une terrasse accessible, qui met en valeur la vallée à l’Ouest », précise le trinôme. La reconfiguration de la mairie est organisée autour de l’escalier monumental central existant qui, de par sa conception historique, est le centre de gravité de la construction, en plan et en coupe, entre deux murs de refends. Il conserve son rôle structurant et continue de desservir l’intégralité des niveaux. Un ascenseur, judicieusement disposé en dédoublement du nœud de circulation, assure la mise en accessibilité du lieu tout en conservant l’intégrité spatiale de l’escalier monumental.
Cette disposition programmatique en nappe horizontale superposée irriguée par la distribution centrale assure à l’ensemble de fonctionner indépendamment.
« La mairie conserve sa place au dernier étage. Le rez-de-chaussée, ancien niveau d’accès principal de la mairie, est dévolu à la salle du conseil et à deux salles associatives. Une troisième occupe le rez-de-jardin, nouvel accès principal au bâtiment, dont le hall permet l’accès à la salle polyvalente en extension », indiquent les architectes.
Le dialogue architectural entre les deux époques constructives ne passe pas par une architecture adjuvante cherchant le pastiche mais bien par l’établissement des épopées constructives de chaque époque assumant distinctement leurs histoires et leurs époques.
Après les clameurs du jour, sur la place de la mairie, à L’Embellie, les suiveurs du Tour de France de l’architecture contemporaine profiteront de la quiétude de Treffort autour d’un verre local de Bugey Chardonnay de Jean-Christophe Pellerin. Ils pourront méditer alors de la qualité de ces projets qui mettent autant à l’honneur les commanditaires que les architectes. Ces paysages alpins et préalpins dessinent la cartographie d’un aménagement du territoire morcelé et à la qualité architecturale hétérogène. Démonstration est cependant faite que des élus locaux peuvent s’emparer avec ambition et énergie de leurs centres-bourgs pour les réactiver et leur rendre la contemporanéité qu’ils méritent.
Guillaume Girod (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018